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Un collectif d'universitaires, chercheurs et doctorants, s'annonce en tête des prochaines manifestations. Ni “casseurs” ni “terroristes”, ils s'insurgent contre le "mensonge" comme "mode de gouvernement et de domination".
Depuis des semaines, le gouvernement et les médias utilisent les mêmes « éléments de langage » pour faire croire que les manifestations seraient composées de gens raisonnables qui ne comprennent pas encore les avantages de la « loi travail », loi européenne et non El Khomri, d’une part et, de l’autre, de casseurs, délinquants, étrangers et dangereux. Mais qui fréquente les têtes de manifestation afin de se joindre à ces personnes et de vérifier ces propos ? Il me semble donc très étonnant que les commentaires des journalistes et hommes politiques participent de fantasmes superbement élaborés, même dans les milieux intellectuels.
L'équivalence faite entre manifestant et casseur est une manipulation politique et médiatique que nous refusons. Elle est d'autant plus artificielle que nous savons que des policiers de la Brigade Anti-criminalité (BAC), et autres briseurs de mouvement, s'infiltrent dans les cortèges. Le chaos et la répression qu'ils y provoquent, dès lors, favorisent indûment l'assignation aveugle d'identités et de responsabilités préfabriquées.
Cependant, pour avoir l'habitude des manifestations et des "têtes de manif", je crois pouvoir affirmer que le fantasme est plus fort que la réalité et que le gouvernement socialiste, les représentants politiques des partis les plus puissants de France, les médias dominants font du mensonge un mode de gouvernement et de domination.
Mardi 14 juin à Paris, en tête de manifestation, il y avait des jeunes lycéen(nes), étudiant.es et travailleur(euses) qui, depuis des années voient leur avenir détruit par des politiques répressives, le développement d'un capitalisme de plus en plus agressif, des patrons et des ministres de la République expliquant qu'en refusant de se faire gratuitement matraquer ils/elles deviennent des terroristes ou des "casseurs", laissant entendre qu'ils/elles sont soit idiot.es, soit fachos, soit délinquant.es.
La réalité est plus simple pour l'immense majorité de ces gens en noir : comme moi, ils veulent défendre leur avenir et celui de leurs enfants ; comme moi, ils ne veulent pas d'une flexibilité professionnelle dont les "plans sociaux" seront payés par leurs impôts ; comme moi, ils refusent la privatisation des bénéfices et la socialisation des coûts liés aux erreurs et aux vols du patronat et de l’actionnariat ; comme moi ils veulent manifester leur opposition à un projet de société qui repose sur la productivité du capital et l’abstraction de toute richesse ; comme moi, ils pensent que la démocratie ne se gagne pas tous les cinq ans dans les urnes mais chaque jour dans les actes de chacun et de tous ; comme moi, ils pensent que les élections sont devenues une permission pour la domination impensée ; comme moi, ils constatent que s’opposer majoritairement à une loi c’est prendre le risque d’être criminalisé ; comme moi ils ne souhaitent pas recevoir des coups de matraques, des balles de LDB, des grenades de désencerclement à hauteur du visage, être gazés ; comme moi, ils ont compris que les ordres sont de casser du manifestant pour casser l’opposition ; comme moi ils ne supportent plus la morgue du Premier ministre ainsi que celle du ministre de l'Intérieur et de bon nombre d'hommes et femmes politiques... les mensonges répétés du chef de l’État.
Alors comme moi, ils achètent des masques à gaz, des protections utiles pour le sport, des vêtements noirs afin de ne pas être identifiables, car chacun sait après avoir manifesté ces derniers mois que le délit de sale gueule est très largement partagé dans la police et dangereux ; comme moi ils ont envie de crier que "tout le monde déteste la police" lorsque, comme mardi 14 juin et alors qu'il ne se passe rien de notable, les CRS font une sortie, faisant tomber des dizaines de manifestants, les frappant à coups de matraque et de tonfa à la tête, sur la colonne vertébrale ; comme moi, ils comptent mieux les blessés (petits et grands) de la manifestation du 14 au nombre de plusieurs centaines que le ministre de l’Intérieur ; comme moi, ils sentent la haine monter en eux lorsque, voyant un(e) manifestant(e) à terre, sans connaissance, dans un état visiblement grave, les CRS continuent de gazer et de matraquer jusqu'à faire une deuxième victime au même endroit alors que certains des manifestants portaient secours au blessé ; comme moi ils ont compris que les socialistes ne comprennent rien à la dynamique qui aujourd'hui existe dans le pays ; comme moi ils savent que protéger l'hôpital Necker des deux hurluberlus qui s’y sont attaqués (sur la masse d’individus cela signifie que les manifestants sont très disciplinés) était un jeu d'enfants pour des forces de l'ordre qui coulissaient en grand nombre le long des manifestants afin de les agresser, de les blesser, de les détruire, mais qu'aucun ordre n'a été donné pour cela ; comme moi ils savent que les "casseurs" des services publics ne sont pas ceux qui s'attaquent à une baie vitrée mais ceux qui font disparaître les moyens humains et matériels de ces mêmes services au profit de services privés et que ces "casseurs" sont les cols blancs des ministères, les lobbies patronaux, les partis politiques et la commission européenne.
Comme moi sans doute, ils ont aujourd'hui plus de rage encore que lundi 13 au soir, car mardi 14 juin l'État a montré à quoi servait le monopole de la violence, lorsqu'il est entre les mains d'un pouvoir délétère : il fait tomber tout espoir de "vie bonne" ; comme moi ils savent qu'en 1789 les "casseurs" ont pris la Bastille, qu'entre 1939 et 1944 des "terroristes" luttaient et résistaient contre la terreur nazie ; comme moi ils ont compris et savent que le langage, comme l'avait analysé Klemperer, est un outil du pouvoir et de l'idéologie dominante et que l’idéologie dominante est celle de la classe dominante.
Alors comme eux, peut-être, je me prépare à de prochaines manifestations. Je ne suis pas un "casseur", pas un "terroriste". Je veux encore être libre ! Libre de pouvoir participer à des décisions collectives sans menaces de 49,3, sans menaces de militarisation de l'espace public. Libre de manifester sans prendre de risques pour ma santé, sans que des enfants prennent de risques pour la leur. C'est pour cela que lors de la prochaine manifestation, comme eux, je serai encore prêt ! Avec mon masque à gaz, mes protections, mon foulard, mes vêtements noirs, car ainsi on se protège individuellement tout en protégeant le collectif, en évitant les identifications faciles, la haine visible de certains représentants des « forces » dites de l’ordre.
J'assume pleinement mes propos et je serai en « tête de manif » lors des prochaines manifestations où qu’elles soient ; je viendrai en aide à ceux qui, parmi nous, femmes et hommes, lycéens, étudiants, chômeurs, travailleurs précaires ou pauvres, seront en difficulté et agressés et m’engage à me défendre et à nous défendre contre toute agression policière ou gouvernementale, par les moyens dont je disposerai. C'est dans l'action militante et la défense de nos libertés que ce "je" deviendra un "nous" !
Patrick Vassort, sociologue, Université de Caen
Signataires :
Dominique Archambault, professeur, Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis ; Nathalie Auger, maître de conférences, Université Rennes 1 ; Michel Barthélémy, sociologue, Cnrs ; Christine Bertrand, maître de conférences, Université Paris 6 ; Claude-Isabelle Biason, monteuse vidéo, Toulouse ; Martine Boudet, agrégée de Lettres modernes, Toulouse ; Claire Brisson, doctorante en géographie, Université Paris-Sorbonne ; Dominique Burlot, documentaliste, Toulouse ; Magali Busquet, ingénieure, Lyon ; Claude Calame, directeur d’études, EHESS, Paris ; Sylvie Considère, maître de conférences, ESPE Lille ; Laure Crombé, doctorante Paris Ouest Nanterre La Défense ; Carole David-Bordier, professeur d'EPS, L'Ile-d'Elle ; Sophie Desrosiers, enseignant-chercheur, EHESS ; Jeanne Dressen ; Jean-François Dubost, historien, professeur des universités, Université Paris-Est Créteil ; Pascale Dubus, historienne de l’art, Université Paris 1 ; Nicolas Elefantis, documentaliste, Université Toulouse III ; Laure Emperaire, Institut de Recherche pour le Développement (IRD) ; Jérémie Ferrer-Bartomeu, doctorant en histoire moderne, École nationale des chartes ; Artemisa Flores Espinola, sociologue, Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis ; Henri Fourtine, biatss scd p ; Caroline Gallez, chercheuse, Paris ; Pascal Garcelon, enseignant, Toulouse ; Florent Gaudez, professeur, Université Grenoble Alpes ; Karine Ginisty, géographe, post-doctorante, EHESS ; Fabien Granjon, sociologue, Université Paris 8 ; Nacira Guénif, anthropologue, professeure, Université Paris 8 ; Michaël Gutnic, maître de conférences en mathématiques, Université de Strasbourg ; Mathieu Hocquelet, postdoctorant, Freie Universität, Berlin ; Sophie Jallais, maître de conférences, Université Paris 1 ; Chantal Jaquet, philosophe, professeur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; Aurélie Jeantet, sociologue, Université Sorbonne Nouvelle ; Anne Jollet, historienne, Université de Poitiers ; François Jouve, professeur, Université Paris Diderot ; Patricia Kajnar, cinéaste ; Helin Karaman, doctorante en sociologie et urbanisme, EHESS ; Isabelle Krzywkowski, Littérature comparée, Université Grenoble Alpes ; Adrien Krauz, doctorant en urbanisme, Université Paris Ouest Nanterre La Défense ; Marc Langenbach, géographe, premier assistant, Université de Lausanne ; Christian Lavault, professeur émérite, Université Paris 13 ; Sylvain Leder, enseignant, Paris ; Noémi Lefebvre, chargée de recherche et d'enseignement, écrivain, Lyon ; Romain Legé, doctorant en géographie, Université de Nantes ; Françoise Lemmet, retraitée ; Kolja Lindner, docteur en science politique, ATER à Sciences Po, Paris ; Olivier Long, enseignant-chercheur et peintre, Université Paris 1 ; Frédérique Longuet Marx, anthropologue, maître de conférences, Université de Caen ; Pascal Maillard, travailleur de l’Université, Strasbourg ; Jean Malifaud, maitre de conférences retraité ; Toufan Manoutcheri, comédienne, Paris ; Nicole Mathieu, Directeur de recherche émérite au CNRS ; Jacob Matthews, enseignant-chercheur, Université Paris 8 ; Tiphaine Maurin, doctorante en préhistoire, Université de Bordeaux ; Sarah Mekdjian, enseignante-chercheuse, Université Grenoble Alpes ; Pierre Mercklé, sociologue, ENS de Lyon ; Bernard Mezzadri, anthropologue, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse ; Christophe Mileschi, professeur des universités, Paris Ouest Nanterre ; Sylvie Monchatre, sociologue, Université de Strasbourg ; Charlotte Monteil, doctorante géographe, Université d'East Anglia (UK) ; Emmanuel Munch, doctorant en urbanisme, Université Paris-Est ; Dimitri Nicolle, psychologue, Paris ; Françoise Nassoy, éducatrice spécialisée, Paris ; Alexandra Oeser, sociologue, MCF, Université Paris Ouest Nanterre La Défense ; Anthony Pecqueux, sociologue, CNRS, Grenoble ; Evelyne Perrin, économiste, Directrice de recherches urbaines, Ministère de l’équipement, retraitée ; Mary Picone, anthropologue, EHESS ; Joel Pothier, enseignant-chercheur, Université Paris 6 ; Manuel Rebuschi, enseignant-chercheur, Université de Lorraine ; Simon Ridley, Doctorant en sociologie, enseignant moniteur en sociologie, Université Paris Ouest Nanterre La Défense ; Stéphane Rosière, professeur, Université de Reims Champagne-Ardenne ; Bertrand Rouziès, docteur de l'Université de Rouen ; Laëtitia S., étudiante en géographie, IGA ; Michel Savaric, enseignant-chercheur, Université de Franche-Comté ; Hélène Tallon, géographe, chercheur associé UMR Innovation, Montpellier ; Romain Telliez, maître de conférences, Université de Paris-Sorbonne ; Jérôme Valluy, maître de conférences en science politique, Université Paris 1 ; Stéphanie Vincent-Geslin, sociologue, UNIL, Lausanne ; Sophie Wahnich, directrice de recherche, CNRS, Paris ; Caroline Zekri, maître de conférences, Université Paris-Est Créteil.