Ma rencontre avec Salah Hamouri
Gilboa, le 14 avril 2010
« Un cimetière à numéros »…
Il fait beau ce mercredi matin 14 avril où je vais rencontrer, pour la troisième
fois, Salah Hamouri dans sa prison de Gilboa. Le rendez-vous est fixé à 11
heures, grâce au Consul de France à Haïfa, Monsieur Jean-Christian Coppin.
Nous partons ensemble en voiture depuis les hauteurs de Haïfa, une ville
lumière que lèche une mer d’un bleu profond.
Le Consul a pris avec lui trois livres pour les donner à Salah ainsi que deux
lettres. Nous roulons dans un environnement fait de champs qui semblent très
fertiles et puis, toujours cette désagréable impression, la prison grise surgit d’un
seul coup. Contrairement aux fois précédentes, il n’y a personne sur le parking :
les familles de prisonniers ont en effet décidé de faire grève, avec les prisonniers
eux-mêmes, pour protester contre le fait que les détenus issus de la bande de
Gaza n’ont droit à aucune visite depuis très longtemps. La grève est suivie à
100%.
Avec le Consul nous allons vers une porte « réservée » mais blindée où l’on
nous attend. Ouverture et fermeture des portes métalliques. Bruit sourd. On
donne nos pièces d’identité et nos portables téléphoniques au surveillant. On
passe sous un détecteur puis nous voilà dans une petite cour. Le Consul donne
les trois livres et les lettres au gardien qui nous accompagne. Ils devront d’abord
être lus avant d’être donnés, peut être, à Salah. Le Consul précise que ce ne sont
pas des livres politiques. Le tout disparaît de notre vue et l’on nous dirige vers
une pièce dans laquelle se trouvent des sièges en bois avec des rabats pour
écrire. Salah apparaît sourire aux lèvres. Je l’embrasse fortement…
Il s’assied et pose un petit bloc de papier où toute une page est écrite. Il me dit
d’emblée qu’il a préparé ce rendez-vous avec ses compagnons d’infortune. Il
veut me dire des choses précises mais aussi me demander des informations.
Il veut soulever 6 points. Je l’écoute et je prends des notes. Son premier point, ce
sont les conditions de détention dans la prison. Il repose la question des livres
qu’on refuse absolument aux prisonniers depuis plusieurs mois.
L’administration pénitentiaire a même trouvé une nouvelle « astuce » devant les
protestations d’avoir droit à des livres et de lire. Elle a proposé aux prisonniers
une liste de livres non-politiques parmi lesquels ils pourraient choisir. Un
libraire israélien les fournirait leur a-t-on dit. Ils l’ont fait. Ils ont choisi.
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Salah a choisi quant à lui un roman de Tahar Ben Jelloun. Il ne l’a toujours pas.
Aucune explication. Aucun prisonnier n’a reçu le moindre livre commandé à
partir d’une liste pourtant préparée par l’administration pénitentiaire. Salah
revient avec insistance sur ce point. C’est un vrai lavage de cerveau, dit-il. « A
notre souffrance générale ils ajoutent une souffrance collective particulière. Ils
veulent nous couper du monde », assène-t-il. Et cela est vrai dans toutes les
prisons. « Il faudrait faire campagne contre cela » dit-il.
Puis il enchaîne sur les « droits de visite ». Il dit qu’il est contraire à la 4ème
Convention de Genève de transférer des populations. Je l’arrête, étonné, pour lui
demander d’où il tient ses sources concernant les Conventions de Genève.
« Nous avons cela dans la bibliothèque », me répond-il. Et il insiste sur les
prisonniers issus de Gaza. « Il y a environ 8.000 prisonniers palestiniens
aujourd’hui, dont 1.000 de Gaza. Ils ne peuvent recevoir aucune visite. On nous
dit que c’est à cause de la capture de Gilad Shalit, détenu dans un lieu inconnu.
Mais c’est faux car cela était vrai avant qu’il soit capturé. Ils n’avaient pas
droit aux visites bien avant. Alors ? Pour les prisonniers de Cisjordanie,
poursuit-il, ils n’ont droit de voir qu’une personne. Pas deux. Si bien que des
enfants en bas âge sont obligés de venir seuls pour voir leur père ou leur mère.
Parmi les prisonniers il y a aussi ceux de Jérusalem. Ils sont 300. Et il y a aussi
200 « arabes israéliens ».
C’est contre cette situation qu’ils sont en grève et les familles solidairement. Et
ils entendent continuer, sous d’autres formes encore, malgré toutes les menaces
qui pèsent sur eux. Une grève de la faim est envisagée.
Il parle des « malades et des enfants emprisonnés ». Il y a environ 300 à 350
enfants emprisonnés. Ils sont traités comme des adultes. Rien de particulier pour
eux dans ce « monde » spécial. Ils sont perdus. Ils ne comprennent rien. L’un
d’entre eux vient d’être libéré. « Il avait 12 ans et il était en prison depuis l’âge
de 9 ans. Comment est-ce possible ? » Il demande : « Est-ce qu’au moins
l’UNICEF est informée de cette situation et fait quelque chose ? » Je ne sais que
répondre…
Il enchaîne sur les malades. « Tous les soirs, raconte-t-il, un docteur passe dans
les cellules pour demander aux prisonniers si tout va bien. Quelque soit le mal
ou le symptôme dont vous vous plaignez, on vous donne de l’aspirine. C’est
tout. Toujours de l’aspirine. C’est ainsi que 18 prisonniers ont le cancer et
n’ont pas été soignés autrement qu’avec de l’aspirine. On refuse de les libérer
même dans ce cas alors qu’ils sont en fin de vie. On les estime trop dangereux
car ils n’ont plus rien à perdre… Dans ma cellule il y a un aveugle. Il a 25 ans.
Il est traité comme les autres. » Ils demandent que des médecins palestiniens
puissent venir les consulter. Seuls les dentistes sont des Palestiniens.
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Il m’interroge alors sur la campagne contre le mur et sur Bil’in. Je lui raconte ce
qui se fait.
Il me demande pourquoi la résistance n’est pas généralisée. Il est très clair :
« Devant la situation actuelle et l’échec des négociations politiques nous
n’avons pas d’autre choix que celui de la résistance. Il faut élargir le
mouvement et lutter avec l’aide de tous ceux qui dans le monde se mobilisent
pour la Palestine. Les Etats étrangers doivent faire cesser cette occupation qui
se moque des lois internationales. Celles-ci doit être appliquées, à commencer
par la résolution 194 avec le droit sacré au retour des réfugiés. Aujourd’hui le
peuple palestinien est confronté à un gouvernement d’extrême droite des plus
racistes qui utilise tous les moyens pour détruire l’objectif d’un Etat palestinien.
On le voit avec ce mur d’apartheid qui est un mur politique visant à tracer
unilatéralement les frontières afin d’effacer l’idée d’un véritable Etat
palestinien. Ils veulent renforcer leur slogan historique : « La Palestine est une
terre sans peuple pour un peuple sans terre ». La colonisation continue. Surtout
à Jérusalem. Ils veulent vider notre capitale pour que Jérusalem devienne
effectivement la capitale de l’Etat sioniste. Ce qui se passe à Jérusalem est un
nettoyage ethnique. Et le gouvernement israélien vient de prendre la décision
d’expulser les Palestiniens qui ne sont pas enregistrés par l’administration
israélienne. Cela vise les habitants de Gaza mais aussi de Cisjordanie ainsi que
les internationaux qui se mobilisent à nos côtés. Ils se livrent à un véritable
génocide politique. » Je ne pourrai pas lui dire, et pour cause, que l’ONU vient
de condamner cet ordre militaire israélien numéro 1650. Verbalement…
Salah a un discours charpenté. Il est moins « tendu » que les fois précédentes où
je l’ai rencontré. Il fait des analyses politiques. Presque sereinement. En tout cas
froidement.
Il parle maintenant du rapport Goldstone qui reste sans suite réelle et du siège de
Gaza qui est illégal et dur. Encore une preuve pour lui de la différence de
traitement dont bénéficie la politique israélienne qui n’encoure jamais d’actes
fermes de la communauté internationale à son endroit pour que le droit
international soit respecté.
Il reparle alors de la solidarité qui se manifeste vers lui et les prisonniers. Il me
dit que sans cette solidarité « Notre sort et notre existence seraient inconnus.
Les prisons israéliennes nous les appelons « des cimetières à numéros ». Vous
ne pouvez pas imaginer tout ce que cette solidarité nous apporte et je n’aurai
jamais des mots assez forts pour vous le dire. Grâce à vous ils sont obligés de
parler de nous. On parle de nous. C’est considérable ! »
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Il en vient à son cas personnel. Nous parlons déjà depuis plus d’une heure et
demie… Il me dit « officiellement » qu’il se refuse, dans le cas d’une procédure
de remise de peine, à présenter des « excuses. Ni directes ni indirectes ». Il parle
d’excuses « indirectes » car l’idée avait existé que son avocat en présente à sa
place en quelque sorte. Il refuse cela. « Ce n’est pas à moi de présenter des
excuses mais aux autres, en face. Moi je n’ai rien à regretter. Je suis fier de
mon peuple et de sa résistance contre l’occupation. » Je lui demande de préciser
ce qu’il entend par « Je viendrai en France » afin de lever toute interprétation. Il
me redit qu’une fois libéré il compte bien venir en France, en effet, mais pas
pour y vivre durablement. » Aucune autre interprétation n’est possible sur ce
point. Et il me dit en me regardant droit dans les yeux : « Je ne comprends pas
pourquoi Nicolas Sarkozy ne fait rien pour moi qui suis pourtant aussi
Français ». Je souris. Jaune…
Puis il reparle des autres mais plus de lui. Il a réfléchi, avec ses camarades, à des
idées pour aider les prisonniers.
Il se demande comment mettre en place une aide spécifique et solidaire pour les
enfants de prisonniers. Imaginer des actions avec les Centres culturels français ?
On parle de cela. On imagine. On va voir… Il dit qu’il faut trouver les moyens
pour que les prisonniers qui sortent soient pris en charge psychologiquement. De
même il pense que des prisonniers qui sont libérés et qui possèdent des diplômes
devraient pouvoir être aidés pour poursuivre leurs études, peut être à l’étranger ?
Il me parle d’une idée : pourquoi ne pas filmer un enfant de prisonnier durant
plusieurs semaines pour montrer sa vie. Quand il va et sort de l’école, sans la
présence de son père à la maison ni devant l’école. Comment il doit se lever très
tôt pour aller tout seul lui rendre visite en prison au milieu des adultes. « Ce
serait bien de montrer comment vivent les enfants de prisonniers. » On parle de
tout cela, dans les détails.
Deux heures se sont déjà écoulées depuis le début de notre entretien. Il va falloir
que nous nous quittions. On se lève. Je l’embrasse encore très fort. On se salue
par signes de la main tandis qu’il avance vers une porte derrière laquelle il
rejoindra sa geôle. Il me lance une dernière phrase : « Il faut dire à ma mère que
les visites reprendront le 2 mai ! ». Le message sera transmis le soir même mais
finalement ce sera le 9 mai. La lourde porte se ferme derrière lui. Nous sortons
de la prison. Le soleil est toujours là pour nous. Mais toujours pas pour lui…
Jean-Claude Lefort
Le 28 avril 2010
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