Interview de Leila Khaled, combattante historique de la cause palestinienne et dirigeante du FPLP, republiée à l’occasion de sa visite au Vénézuela
Leila Khaled, combattante historique de la lutte pour la cause palestinienne, militante et membre du Bureau politique du Front populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), se trouvait au Vénézuela dans la semaine du 15 novembre. Elle a notamment donné une conférence devant les militants communistes de Cantaclaro, où elle revenait sur l’histoire et l’actualité de la lutte de son peuple pour le droit à disposer de lui-même.
Pour les camarades qui ne connaîtraient que le nom ou l’icône de Leila Khaled, les communistes vénézueliens proposaient une interview accordée récemment par Leila Khaled (publiée dans un premier temps par Kaosenlared) et dans laquelle elle revenait sur son parcours, son engagement, sa lutte de toute une vie pour la liberté du peuple palestinien.
Q : Etes-vous une terroriste?
Leila Khaled : Les institutions, gouvernements et pays qui sont contre la paix ont toujours considéré la résistance comme un acte terroriste, mais en réalité, l’occupation c’est le terrorisme. Par conséquent, la base du terrorisme dans le monde, ce sont les Etats-unis et Israel. Je me considère comme faisant partie du peuple palestinien qui résiste à l’occupation, et la résistance est un droit qu’a tout peuple occupé.
Qu’est-ce que le terrorisme?
Le terrorisme se définit par l’occupation et par les institutions qui occupent les territoires par la force militaire. Emprisonner des personnes seulement parce qu’elles ont une idéologie différente de la votre, cela se définit également comme du terrorisme. Tout comme la destruction de maisons et d’arbres en Palestine, ainsi que la prise de possession des points d’eau. Toutes ces façons d’agir, qui violent les droits du peuple palestinien, c’est du terrorisme.
Durant les années 1940, la violence a secoué la Palestine, par l’activité de groupes armés tels que Irgun (Etzel). Le 22 juillet 1946, une centaine de personnes sont mortes à l’Hôtel du roi David à Jérusalem après une action de ce groupe mené par Menachem Begin, et qui sera plus tard premier ministre d’Israël et prix Nobel de la paix. En ce sens, dans le documentaire « Leila Khaled Hijacker » de Lina Makboul, on soulève une question : « Est-il juste d’être terroriste? Toujours quand vous gagnez... »
Nous n’acceptons jamais le terrorisme. Ce que l’on accepte, c’est la résistance ; c’est ce que reconnaît tout le monde. Même dans la constitution de l’ONU, il y a un article qui reconnaît aux peuples occupés le droit à résister, y compris avec les armes. Les Etats-unis ont transformé le concept de terrorisme, en accusant des peuples comme ceux d’Irak, du Liban, de Palestine, d’Afghanistan, d’être des terroristes, simplement pour avoir résisté à l’occupation.
Pourquoi après la guerre des Six-jours, à 25 ans, avez-vous décider d’intégrer le FPLP et de prendre les armes? (1)
Simplement par le fait qu’il y avait une occupation et que j’étais une réfugiée au même titre que 8 autres millions qui se trouvaient hors de Palestine.
Comment a évolué le rapport des palestiniens à la Jordanie, après les événements de Septembre noir, en 1970, et au Liban, après les combats dans le camp de réfugiés de Nahr Al Bared, en 2007?
En 1948, un très grand nombre de palestiniens ont fui (après la fin du mandat britannique et le début de la Guerre de Palestine, ce qu’on appelle Nakba ou Désastre) et se sont réfugiés à Jordanie, au Liban et en Syrie, vivant dans des camps de réfugiés. Mais après plusieurs années, ils ont commencé à vivre dans les villes. En 1951, la Jordanie a intégré la Cisjordanie à son territoire, ce par quoi les palestiniens résident dans la région sont devenus citoyens jordaniens. Les palestiniens en Jordanie représentent plus de 75% de la population.
D’autre part, au Liban, il y a des palestiniens qui vivent en ville et il y a ceux qui vivent dans les camps de réfugiés, mais il leur est interdit de travailler dans le pays. Cela leur complique énormément la vie et facilite leur expulsion. De nombreux jeunes Palestiniens se sont vus contraints à aller travailler dans les pays du Golfe (Persique) pour pouvoir nourrir leurs familles. Néanmoins, il y a toujours une unité entre palestiniens et libanais pour s’opposer à l’occupation et aux agressions d’Israël.
Comment décririez-vous la situation des réfugiés, en particulier des femmes?
Il y a deux types de réfugiés : ceux qui vivent en Palestine même et ceux qui vivent en-dehors, en Jordanie, en Syrie etc. La situation de chaque réfugié dépend du pays. En Jordanie, ils sont citoyens avec égalité de droits. En Syrie aussi, mais ils ne peuvent pas être fonctionnaires ni voter, et ne peuvent pas non plus demander la nationalité ; ils ont également une carte d’identité spécifique. Au Liban, comme je l’ai déjà dit, ils n’ont pas le droit de travailler, seule l’UNRWA (Agence des nations unies pour les réfugiés palestiniens au Proche-orient) leur offre des postes de professeurs. Les femmes souffrent de la même façon, mais si nous disons qu’un homme ne peut pas arriver à trouver de travail, alors cela sera d’autant plus impossible pour une femme.
Quelle est la politique menée par Israël par rapport aux camps de réfugiés?
Quelle est la politique menée par Israël par rapport aux camps de réfugiés?
Israël tente de les éliminer. Même ceux qui se trouvent hors de Palestine. En 1982, ils ont commis un massacre horrible au Liban, aux camps de Sabra et Chatila. Les réfugiés palestiniens subissent des agressions continues. Les conditions de vie sont exécrables... les conditions sanitaires très mauvaises.
Le taux de chômage à Gaza et en Cisjordanie, selon des données de 2001 de l’Initiative Palestine pour la promotion du dialogue et de la démocratie dans le monde (MIFTAH), s’élève à 57%. Cela comprend non seulement ceux qui ont perdu leur emploi en Israël, mais aussi ceux qui ne peuvent pas sortir travailler à cause du blocage des routes...
Ce qui explique le fait que ce taux soit aussi élevé, c’est qu’il n’y a pas de base industrielle en Palestine. Les dernières statistiques indiquent que le taux de chômage atteint les 80% à Gaza et les 45% en Cisjordanie. La majorité des palestiniens dépend de l’agriculture ; ils plantent principalement des oliviers, des amendiers, des orangers et également des légumes. Mais la situation empêche que ces produits puissent être commercialisés hors de Gaza, parce qu’elle est assiégée et que personne ne peut en sortir. En Cisjordanie, ils ont moins de difficultés. D’autre part, le gouvernement israélien a confisqué et continue de confisquer des terres, nombre d’entre elles pour construire ses colonies.
Laissant de côté le versant politique, quelle est l’attitude de l’Union Européenne envers la Palestine sur le plan économique?
La meilleure aide que puisse apporter l’UE aux palestiniens, au-delà de celle économique, est celle d’ordre politique. Toutefois, comme cela s’est vu en 2006, quand le Hamas a gagné les élections, l’UE a fermé le robinet. Ils donnent de l’argent au gouvernement palestinien en fonction de son orientation politique. De plus, toute aide doit passer par le contrôle des Etats-Unis. L’UE est sous forte influence des Etats-Unis.
Le 29 novembre dernier, le premier ministre Israélien, Ehud Olmert, a mis en garde dans une interview au quotidien Haaretz : « Soit on met en place deux Etats, soit Israel disparaîtra ».Il comparait la situation avec celle de l’Afrique du sud, quand la majorité noire a réussi à vaincre l’apartheid. La démographie est-elle l’arme la puissante des palestiniens?
Je n’ai pas entendu parler de cette nouvelle, mais ce que je peux te dire, c’est qu’Israël va toujours rester là pour des raisons militaires, économiques... C’est une réaction très naturelle de la part des palestiniens que d’avoir des enfants, voyant chaque jour tant d’entre eux mourir sous leurs yeux. Par ailleurs, traditionnellement, ils aiment avoir des familles nombreuses. Normalement, autour de sept et dans certains cas, douze ou treize.
Le FPLP a sollicité la communauté internationale pour qu’elle rompe les accords économiques avec le gouvernement Israélien, concrètement on demande « un boycott des produits israéliens, ainsi que l’annulation des accords militaires »
Nous avons espoir que les pays socialistes soutiendront d’une certaine façon les palestiniens. Nous leur demandons pas d’aller lutter en Palestine, mais simplement qu’ils ne fournissent pas l’armement des israéliens. Nous demandons également le boycott pour affaiblir leurs entreprises et que cela provoque des pertes pour l’économie d’Israël et, de cette façon, que cela facilite un peu la poursuite de la résistance contre l’occupation.
Et une fois venu le moment de négocier, le faire dans les conditions les plus équilibrées entre les deux parties.
Dans les négociations tenues jusqu’à présent, on n’a vu aucunement cette égalité. Ce sont des négociations sans but, car pour le moment elles ont toujours été favorables aux intérêts israéliens. C’est pour cela que nous, FPLP, rejetons les négociations. Nous sommes conscients que nous allons parvenir à aucun point d’accord entre les parties.
Tu veux parler des pourparlers de Annapolis entre Mahmud Abbas et Ehud Olmert du mois de novembre dernier?
Je parle pour tous les pourparlers, de Oslo jusqu’à Annapolis.
Vous ne partagez pas ce qui a été signé à Oslo?
Lors de ces négociations, on a parlé de tout sauf de nos droits. On n’a pas parlé de retirer les troupes israéliennes du territoire palestinien, des frontières de 1967 (avant la guerre des Six-jours) ; on n’a pas parlé de Jérusalem, ni des installations illégales des colons ; ni des réfugiés, ni de l’eau. Alors, qu’est-ce qu’on a réglé?
Israël a simplement rencontré des dirigeants palestiniens et ne s’est pas gêné pour se comporter comme une force occupante, leur déléguant toute la responsabilité de la situation. Le gouvernement de la Palestinienne n’a aucun pouvoir sur sa propre situation, ni sur l’eau, ni sur ses frontières. Si le président veut sortir du pays, il doit même demander la permission à Israël.
Toutefois, avec Oslo a été posé la reconnaissance mutuelle des deux Etats.
On n’a jamais rien reconnu concrètement dans le cadre de ces accords. Ainsi, les Etats-Unis on présenté une autre feuille de route pour résoudre le conflit. Ils ne sont parvenus à rien... avoir un État palestinien, si, mais dans la pratique il n’existe pas.
Quelles sont, pour vous, les principales erreurs et les principales réussites de Yasser Arafat?
Ce fut, principalement, celle d’avoir mené la résistance armée et d’avoir été le représentant également de l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) et donc le représentant du peuple palestinien et de la révolution. L’erreur qu’il a commise fut de signer les accords d’Oslo avec Israël. Nous avons pu voir comment ils l’ont maintenu trois ans ’incarcérés’ (reclus et bombardé dans la Muqtaa, siège de l’Autorité nationale palestinienne) jusqu’à sa mort. Dans les faits, on voit que Arafat a tenté de former un État palestinien à côté de celui Israélien, mais Israël ne veut pas de cela.
Quel serait pour le FPLP la carte rêvée de la région?
La meilleure solution serait que les réfugiés reviennent en Palestine, et qu’Israël l’accepte et travaille dans ce sens. Ainsi, nous pourrions vivre ensemble avec les Israéliens sur cette terre, avec les mêmes droits et avec la possibilité de prendre des décisions politiques en toute égalité. Nous croyons que former un État politique uni et démocratique peut résoudre le conflit.
Un État où vivraient palestiniens et israéliens, et non deux Etats?
Oui, absolument.
Quel rôle jouent les pays voisins de la Palestine, en particulier l’Iran, et les courants islamistes les plus extrémistes de ce pays, dans votre affrontement avec Israël?
Les pays les plus proches de la Palestine sont l’Égypte, la Syrie, le Liban et la Jordanie. L’Égypte et la Jordanie ont signé des accords de paix avec Israël. Israël a envahi le Liban quatre fois et a même occupé une partie de son territoire. Une grande partie de la Syrie a également été occupée. Par conséquent, palestiniens, syriens et libanais partagent la même souffrance.
La Syrie, en outre, est un des pays qui a rejeté le plan israélo-américain pour la région, et soutient la résistance du peuple palestinien ; tout comme le font certains groupes religieux libanais. Et je ne connais aucun pays extrémiste islamiste, je ne connais que l’Iran, qui est un pays islamiste.
En Palestine, on constate une islamisation progressive des mouvements de résistance quand, traditionnellement, cette espace avait été occupé principalement par des formations laïques. A quoi cela est-il dû?
C’est vrai. Le mouvement nationaliste de Gamal Abdel Nasser (ancien président de l’Egypte et symbole de l’anti-colonialisme arabe) n’a pas réalisé ses objectifs. Les projets nationalistes des mouvements laïcs Palestiniens non plus. Cela a renforcé le pouvoir d’attraction des mouvements islamistes, et de plus en plus de gens se sont dirigés vers leur idéologie. Les croyances religieuses ont une forte influence sur le peuple palestinien ; de nombreuses personnes croient que cela va les aider à conquérir la paix. D’autre part, les mouvements communistes ont fini par se désintégrer.
Le 11 avril 1944, deux jours après votre naissance, en pleine seconde guerre mondiale, Anna Frank écrivait dans son journal : « Qui a fait les juifs différents du reste des gens? Qui a permis que nous souffrions tant jusqu’à ce jour? C’est Dieu qui a fait cela, mais ce sera aussi lui qui nous relèvera encore et encore... »Considères-tu que la situation que vivent les palestiniens en Israël est similaire à celle qu’a vécu les juifs en Europe?
Tout d’abord, Dieu n’a rien à voir avec la création de gens différents. Nous sommes tous égaux. Tous les gens naissent égaux, en dépit des différences de couleur, de sang ou de tout autre type. C’est l’homme lui-même qui crée les différences. Le mouvement sioniste a utilisé ce type de raisonnement pour propager l’idée que le juif était différent du reste de l’humanité et, par conséquent, a justifié les souffrances d’aujourd’hui par la paix qui suivra.
Il est évident que les nazis ont mis l’Europe à feu et à sang et ont tué énormément de gens. Ils n’ont toutefois pas tué que les juifs, mais aussi d’autres personnes. De manière regrettable, nous voyons que des actes barbares qu’ont commis auparavant les nazis envers le peuple juif, sont aujourd’hui commis contre les palestiniens.
(1) - En 1969, elle a détourné le vol TWA 840 Rome-Athènes et l’a dévié vers Damas ; en 1970, elle a participé au détournement de quatre avions, dans le cadre de Septembre noir, et elle fut incarcérée – son camarade Patricio Arguello mourut – et libérée 28 jours plus tard dans le cadre d’un échange de prisonniers.
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