Le rapport de Goldstone n’a pas réussi à traiter les crimes de guerre commis par Israël à Gaza d’une manière équitable.
Même avant que cela ne heurte la conscience politique israélienne, il ne me semblait pas approprié d’associer si étroitement le rapport Golstone avec le président de la commission, le juge Richard Goldstone. Après tout, en dépit de sa réputation méritée comme juriste international, il était le moins qualifié des quatre membres en ce qui concerne le fonds de l’affaire.
La réaction d’intense hostilité d’Israël s’expliquait en partie sans doute par le sentiment que Goldstone -un sioniste passionné- s’était rendu coupable de trahison. Et même peut-être de "diffamation du sang"* parce qu’il semblait faire passer sa loyauté à la loi avant sa loyauté au clan ; il n’aurait d’ailleurs jamais dû se compromettre du tout avec une organisation aussi suspecte que le conseil des droits de l’homme de l’ONU !
Ce qu’il fait remarquer - et c’est quelque chose d’immuable - c’est l’importance extrême que les dirigeants israéliens attachent à la pureté de leur réputation d’acteur politique respectueux des lois. C’est le cas même quand l’organisme de contrôle est le Conseil des droits de l’homme de l’ONU qu’Israël ainsi que le gouvernement étasunien ne cessent de dénoncer et diffamer.
Leur fureur est une reconnaissance implicite du fait que l’ONU est un lieu central d’affrontement dans la guerre de légitimité qu’ils mènent contre les revendications palestiniennes à l’autodétermination.
Cette vision de choses a trouvé une confirmation embarrassante dans la réaction du Sénat étasunien au reniement de Goldstone. Le Sénat a passé une résolution unanime le 14 avril demandant à l’ONU "de réfléchir au rejet par l’auteur des principaux faits établis par le rapport Goldstone, d’abroger le rapport et de reconsidérer les futures actions de l’ONU en conséquence." Il a aussi demandé au secrétaire général, Ban Ki-moon, " de faire tout ce qui était en son pouvoir pour réparer le tort causé à la réputation d’Israël."
Cette déclaration enflammée et inexacte dans les faits est tout à fait extraordinaire, notamment quand elle cite Goldstone comme étant l’auteur du rapport, alors qu’en réalité il s’agissait d’une tâche commune. Sa contribution a probablement été la plus petite et les autres auteurs ont réaffirmé leur adhésion au rapport tout entier.
Ce que l’initiative du Sénat révèle c’est le degré de parti pris de Washington en faveur d’Israël, et cela devrait inciter -pour le moins- l’Autorité Palestinienne à chercher d’autres endroits pour les futures négociations avec Israël que ceux proposés par le gouvernement étasunien.
Ce que l’initiative du Sénat révèle c’est le degré de parti pris de Washington en faveur d’Israël, et cela devrait inciter -pour le moins- l’Autorité Palestinienne à chercher d’autres endroits pour les futures négociations avec Israël que ceux proposés par le gouvernement étasunien.
Il est probable que, si Goldstone n’avait pas été aussi calomnié pour avoir participé à ce rapport, ce dernier aurait eu le même sort que des milliers d’autres rapports de l’ONU parfaitement documentés concernant des événements controversés. En associant son nom à la mission de recherche et à ses conclusions, Goldstone est devenu le paratonnerre et donc la cible des attaques les plus vicieuses.
Mais il a aussi été admiré à l’époque par des personnes sincères du monde entier pour son intégrité face à ces violentes attaques. On peut dire que Goldstone est devenu l’épouvantail sacrificiel ; il a échoué dans sa mission de tenir les oiseaux de proie à distance raisonnable
Les faits et la préméditation d’Israël
Par une sorte de double ironie, Goldstone a été choisi pour mener cette entreprise délicate en parti parce qu’il était connu comme un fervent supporter d’Israël et donc il serait plus difficile pour Israël de se plaindre de parti pris. Et cependant -justement parce que la crédibilité de Goldstone posait un problème à la machine de propagande israélienne- le niveau des attaques contre lui a atteint les sommets de l’hystérie et la pression a été telle qu’il s’est finalement renié.
Deux autres aspects de la situation sont souvent négligés ou mal présentés. D’abord, plusieurs autres études internationales sérieuses ont déjà confirmé la plupart des conclusions du rapport Goldstone avant même qu’il ne soit publié en septembre 2009. Des rapports antérieurs sur les violations du droits international ont été publiés par Human Rights Watch, Amnesty International, B’Tselem, Al Haq sans compter le rapport exhaustif d’une équipe de recherche qui fait autorité sur le sujet. L’équipe était composée d’experts en droit international reconnus et était dirigée par John Dugard, un juriste sud africain très estimé ancien rapporteur de l’ONU pour la Palestine occupée ; elle était appointé par la Ligue Arabe.
Le rapport Goldstone en substance n’a rien révélé qui n’ait déjà été établi par tout un réseau d’ONG, de journalistes, d’employés d’organisations humanitaires et de civils qui étaient présents au moment des attaques. Un consensus aussi unanime et aussi bien documenté ridiculise les efforts de département d’état des USA et du Sénat pour rejeter ce rapport.
Le second élément qu’il ne faut pas oublier bien qu’il ne soit pas souvent reconnu même par ceux qui soutiennent à 100% le rapport, c’est qu’il n’était pas -comme le prétendent les médias- excessivement critique d’Israël. Au contraire, à mon sens, le rapport était bien biaisé mais au profit d’Israël.
D’ailleurs il semble que l’argument de la sécurité ait été artificiellement fabriqué après coup pour rationaliser l’assaut militaire violent et illégal contre Gaza. L’attaque avait pour but de détruire le Hamas ; d’obtenir le retour du soldat israélien capturé, Gilad Shalit ; et de punir les Gazaouis pour avoir voté pour le Hamas en 2006.
De plus, il y a des preuves que l’armée israélienne avait planifié l’opération Cast Lead (plomb durci) six mois avant l’assaut du 27 décembre 2008. Ils avaient toute une série d’impératifs en plus de celui de garantir la sécurité du sud d’Israël : attaquer Gaza avant qu’Obama ne prenne ses fonctions ; influencer -en faveur de Kadima- les élections intérieures israéliennes qui allaient avoir lieu ; restaurer la confiance dans l’armée après l’échec de la guerre du Liban en 2006, et envoyer à l’Iran le message qu’Israël n’hésiterait pas à utiliser une force excessive si c’était son intérêt.
Les morts et les cicatrices de la guerre
Le rapport Goldstone a bien mis en évidence les graves violations du droit de la guerre commises par Israël en attaquant de manière disproportionnée et sans discernement une société très dense et très urbanisée. Mais il n’a pas mentionné une caractéristique particulière de ces attaques : à savoir qu’Israël a empêché la population civile de fuir la zone de guerre et de se réfugier ailleurs au moins temporairement.
Le fait que les civils -surtout les enfants, les personnes du troisième âge et les handicapés- aient été forcés de rester sous les bombardements a occasionné des blessures psychiques inguérissables comme cela a été mentionné dans beaucoup d’études réalisées après les attaques et par les résidents de Gaza. Outre les blessés psychiques il faut aussi prendre en considération le grand nombre des morts et de blessés : une partie de l’horreur qu’a suscitée l’opération Cast Lead vient du ratio de 100 pour un de perte, un ration qui achève de démonter la vulnérabilité de la population de Gaza. Et pourtant, ce chiffre sous estimait énormément les pertes réelles des Palestiniens.
Si on ajoute aux victimes palestiniennes les personnes psychologiquement atteintes et qu’on soustrait, du côté israélien, les victimes qui sont tombées sous les tirs de leur propre camp (ce qui ramène le nombre des morts israéliens de 13 à 6 ou 7), le ratio devient ridiculement inégal.
Si l’on ajoute à cela que c’est Israël qui a attaqué et que c’est la puissance occupante, on voit bien que le rapport a donné une importance exagérée aux violations du Hamas des lois humanitaires qu’il fallait bien sur mentionner mais sans les mettre sur le même plan que celles d’Israël.
Comme les médias l’ont noté et comme d’ailleurs Goldstone l’a dit lui-même, sa rétractation se limitait à la question relativement importante de savoir si la politique d’Israël avait été de tuer intentionnellement des civils. Pourtant même cette rétractation très partielle n’est pas convaincante car elle repose sur une enquête conduite par Israël qui, selon une mission d’investigation de l’ONU qui a suivi le rapport Goldstone et qui était menée conjointement par un juge américain Mary McGowan Davis et un juge suédois, Lennart Aspergen ne répondait pas aux normes internationales. Comme cela a été mentionné précédemment, la rétractation de Goldstone a été sérieusement affaiblie par le fait que les trois autres membres ont tous réitéré leur adhésion au rapport dans sa totalité.
Je ne plaisante qu’à moitié en suggérant que le rapport soit rebaptisé et s’appelle désormais rapport Chinkin ou tout simplement "rapport des crimes de guerre du Hamas et d’Israël pendant l’opération Cast Lead".
Quel que soit le nom qu’il porte, ses principales allégations ont été confirmées encore et encore et c’est maintenant aux gouvernements de décider s’ils veulent que le monde entier croie que seuls les pays d’Afrique sub-sahariens doivent rendre des comptes à la Cour internationale pour les méfaits qu’ils commettent.
La définition du mot Goldstone
De nombreuses personnes se sont demandé si la rétractation de Goldstone signifiait l’enterrement du rapport. A mon sens, si c’est ce que Goldstone voulait, il a adopté la mauvaise stratégie ; car en réalité il lui a donné une seconde vie. Le rapport a encore de grande chances de moisir dans les armoires de l’ONU à cause de la pression géopolitique exercée par les USA pour garantir une fois de plus l’impunité à Israël. Mais cette nouvelle controverse a stimulé la société civile et l’a encouragée à intensifier la lutte pour la justice menée par le Mouvement de Solidarité avec la Palestine qui prend de l’ampleur.
Jamais auparavant le rapport Goldstone n’avait reçu autant d’attention des médias, et surtout des médias américains dominants. A la surprise générale, même le journaliste du New York Times Roger Cohen a critiqué l’effort tardif de Goldstone pour se distancer du rapport allant jusqu’à suggérer qu’il était à l’origine d’un nouveau verbe : "Goldstoner".Cela signifierait : établir des faits pour ensuite se rétracter partiellement pour des motifs obscurs". Voici la définition formelle de Cohen : -Goldstoner (familier) : Semer la confusion, cacher un secret, faire des dégâts."
L’histoire a de drôles de manières de renverser les situations. Juste au moment où la plus grande partie du monde était prête à laisser derrière elle les allégations contre Israël concernant les épouvantables attaques de 2008-2009 sur Gaza, Richard Goldstone, par inadvertance, réveille tous les souvenirs horribles de cet événement meurtrier tout en causant un tort irréparable à sa propre r
Il revient aux personnes qui ont une conscience de saisir cette opportunité pour exiger que la loi soit appliquée de manière plus équitable à l’ensemble des politiques de la planète. On entend beaucoup de belles paroles en ce moment à l’ONU et ailleurs sur "la responsabilité de protéger" et on nous affirme que la menace de Kadhafi contre les civils libyens justifiait "un espace d’exclusion aérienne" et une véritable intervention militaire aérienne mise en oeuvre avec la bénédiction de l’ONU et les bombes et les missiles de l’OTAN. Mais on n’entend pas le moindre murmure pour proposer une zone d’exclusion aérienne au dessus de Gaza pour protéger le peuple encore assiégé de Gaza, malgré un blocus illégal destructeur qui dure depuis presque quatre ans -une terrible forme de punition collective qui viole clairement l’article 33 de la Quatrième Convention de Genève.
Un blocus qui continue d’empêcher l’entrée du matériel de construction dont Gaza a besoin pour reconstruire tout ce qui a été détruit il y a plus de deux ans.
Richard Falk
Note : * Diffamation du sang : L’accusation que les Juifs tuaient des enfants chrétiens pour faire du pain azyme (matzot) pour la Pâques.
Richard Falk est Professeur Emeritus de droit International Albert G. Milbank à Princeton University and Visiting Distinguished Professor en Etudes globales et internationales à the University of Californy, Santa Barbara. Il est l’auteur de nombreuses publications sur une période de 50 ans, et a récemment publié "International Law and the Third World : Reshaping Justice (Routledge, 2008).
Il a été mandaté par l’ONU pour six ans comme Rapporteur Spécial sur les droits humains des Palestiniens. Il effectue actuellement sa troisième année.
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