Mardi 1er Novembre. Rendez-vous en 2022 ! Ce n’est pas avant une dizaine d’années que l’on pourra commencer à songer à l’évacuation du combustible fondu dans les réacteurs de Fukushima. Selon le journal japonais Mainichi (1) dans un article du 26 octobre, c’est l’annonce que fait la Commission de sûreté nucléaire japonaise dans un avant-projet de rapport que le journal a pu se procurer. Et comme le souligne le quotidien,« c’est la première fois que cet organisme gouvernemental établit de façon officielle qu’il faudra « plus de trente ans » pour démanteler les réacteurs 1 à 4 de la centrale ». A partir de 2015, toujours selon ce rapport, ce serait le combustible usé auquel s’attaquerait en priorité la mission de nettoyage… Avec obligation d’apporter toute une batterie de grues capables d’extraire ces barres de combustible de bâtiments partiellement effondrés et les transporter dans un lieu de stockage intermédiaire. Une mission difficile et à haut risque, pour laquelle, toujours selon le rapport cité par Mainichi, devrait être constituée tout exprès une« organisation chargée du suivi de ces travaux de démantèlement». L’idée que l’opérateur privé TEPCO ne soit pas lui-même juge et partie sur la sûreté des travaux commencerait donc à faire son chemin…
L’ampleur de la catastrophe oblige à prendre au sérieux le découplage entre autorité de sûreté, gouvernement et opérateurs. Comme l’a rappelé dans son discours d’ouverture, le 24 octobre, le président de la commission de l’énergie atomique Shunsuke Kondo devant une assemblée d’ingénieurs réunis à l’université d’Osaka (2), sera installée en« avril prochain l’agence de sûreté et sécurité nucléaire (NSSA), l’actuelle agence de sûreté nucléaire et industrielle étant séparée du ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie ». Et ce, afin d’ « assurer une véritable culture de sûreté ». Cette séparation tardive sera-t-elle convaincante ? Devant cette assemblée d’ingénieurs, il a osé rappeler que la tâche ne serait pas facile sachant qu’actuellement, au Japon, « plus de 70% du public est favorable à l’arrêt de l’énergie nucléaire ».
Question cruciale que cette indépendance, évoquée par André-Claude Lacoste, le président de l’autorité de sûreté française ASN dans une toute récente interview à ParisTech Review (3) et pour qui, au Japon, « la répartition des rôles est confuse ». Mais d’assurer, en revanche, que l’ASN française est...« totalement indépendante », à l’instar de la NRC (nuclear regulatory commission) américaine.
Pendant ce temps, dans les zones contaminées de l’archipel, on commence à s’interroger très concrètement sur les difficultés des opérations de décontamination des sols : où entreposer les immenses quantités de terre et déchets ? comment s’assurer que certaines actions ne recontaminent pas plus fortement d’autres zones ? Une mission de 12 experts de l’AIEA a eu lieu du 7 au 15 octobre, spécialement sur ce sujet, mais on doute qu’un premier rapport déjà mis en ligne (4), au style parfaitement bureaucratique, n’apporte de réelle avancée. On se contentera d’y relever deux ou trois choses : l’équipe de l’AIEA s’est ainsi réjouie d’avoir visité « deux écoles, dont la contamination a été pour une large part éliminée par des volontaires bien organisés, essentiellement les parents des élèves ». On ne sait pas, pour notre part, si les « 400 écoles », annoncées comme « déjà décontaminées », l’ont toutes été de cette façon.
Par ailleurs, on apprend dans ce compte-rendu qu’un système de suivi de la radioactivité en temps-réel est « en train d’être installé (…) et qu’environ 2700 stations couvriront à terme l’ensemble du Japon. Les premières, au nombre de 20, ont été déployées dans la préfecture de Fukushima et on peut suivre leurs mesures sur le site de www.r-monitor.jp » . Problème : il suffit de regarder la carte sur le site pour voir à quel point ces mesures sont effectuées très loin les unes des autres alors même que la radioactivité déposée peut varier rapidement sur le terrain. En quoi ces mesures, qui ne valent que très localement, apportent-elles une information pertinente, serait-elle « en temps réel » ? On ne comprend pas très bien, sauf à penser que, par leur simple présence, ces stations de mesure sont destinées à créer un sentiment de contrôle et à rassurer les visiteurs-internautes… En espérant qu’elles n’enregistreront pas une nouvelle poussée de radioactivité indésirable - durant les opérations de démantèlement ?
Enfin, voici une information qu’agriculteurs et consommateurs vont certainement suivre attentivement : selon le groupe d’experts de l’AIEA, après examen de résultats préliminaires de travaux effectués au Japon, le césium (dont un des isotopes, le césium 137 a une demi-vie de 30 ans et demeure donc dans les sols) passerait moins facilement du sol aux plantes que ne l’avaient évalué de premiers travaux sur le sujet. Le facteur de transfert retenu jusqu’à présent était de 0,1. Autrement dit, comme on ne peut commercialiser du riz contaminé au-delà de 500 Bq/kg, les sols ne devaient pas dépasser 5000 Bq/kg… Ce sont ces niveaux qui vont être remis en question, l’équipe estimant que ce « facteur de transfert conservateur pourra être abandonné quand les tests seront terminés et que des facteurs réalistes auront été fermement établis ». Vu l’importance du riz dans la consommation quotidienne des Japonais, il faut espérer qu’un suivi tout aussi ferme (par des associations de consommateurs ?) de la radioactivité des lots de céréales finalement mis en vente sera effectué après adoption de ces nouveaux facteurs de transfert.
1) Lire la version anglaise de l’article du 26 octobre sur le sitehttp://mdn.mainichi.jp/mdnnews/national/archive/news/2011/10/27/20111027p2a00m0na014000c.html
Dominique Leglu : directrice de la rédaction de Sciences et Avenir
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