« Il faut prendre l’argent où il se trouve, c’est-à-dire chez les pauvres. D’accord ils ne sont pas riches mais ils sont nombreux. » - Alphonse Allais
Il était une fois la Grèce un petit pays qui fut pour l’Europe la matrice de la civilisation et de la démocratie et qui traverse une période noire. Le plus triste est que des pays qui ont jailli du néant se permettent de faire la leçon. On lit quelques morceaux d’anthologie dans les dépêches main stream sur la morgue envers la Grèce : « A la veille du G20, mercredi soir, lors d’un mini-sommet de crise, la France et l’Allemagne ont posé un ultimatum à la Grèce : un référendum oui, mais pour décider si la Grèce reste ou non dans la zone euro. En attendant, le pays ne recevra plus un centime. (...) Pour Christophe Barbier le chevalier à l’écharpe rouge, de l’Express, la Grèce joue à la roulette russe. Le référendum grec est illégitime mais peut-être nécessaire. Illégitime, car les Grecs n’ont pas à décider du sort des Européens, et nécessaire si le oui l’emporte. (...) La zone euro peut « se passer » de la Grèce, déclare le ministre français des Affaires européennes Jean Leonetti sur RTL. « Parce que c’est 2% du PIB de la zone euro et c’est 4% de la dette de la zone euro. Donc, on peut les aider, on peut les sauver, on ne peut pas sauver non plus les gens malgré eux », a-t-il souligné. On ne peut pas « faire le bonheur des Grecs malgré eux », lance Jean-Claude Juncker lors d’un entretien à la télévision allemande ZDF.
On le voit, la façon dont on traite le peuple grec réduit à un ensemble de bras cassés appartenant aux « pays du Club Med » d’une façon péjorative, avec dans la même charrette l’Espagne, l’Italie et le Portugal est proprement scandaleuse. Elle dénote, de la part des gouvernants européens du Nord, une suffisance mal placée et une condescendance qui n’a pas lieu d’être. En fait, soulever les peuples les uns contre les autres est l’une des techniques du néolibéralisme sauvage qui permet à l’oligarchie des nantis des banques des détenteurs de continuer à diriger le monde selon leur doxa.
Qu’en est-il exactement de ces Grecs nés avec « un poil dans la main » qui les empêche dit-on de travailler ? Alex Andreou déconstruit l’argumentaire morbide du néolibéralisme. Nous lisons : « Ce qui est en train de se passer à Athènes en ce moment, c’est la résistance contre une invasion à peu près aussi brutale que celle de la Pologne en 1939 ». « Ce sont eux qui nous imposent toutes ces privatisations. Des sites historiques tels que l’Acropole pourraient être privatisés. Ils transformeront le Parthénon et l’ancienne Agora en Disneyland, et ils sous-paieront des gens à se déguiser en Platon ou en Socrate pour jouer les fantaisies des riches. » Poursuivant son amer constat, il écrit : « Laissez-moi donc démystifier un peu la mythologie développée par certains médias ». « Mythe n°1 : les Grecs sont paresseux : Et pourtant, les données de l’OCDE montrent qu’en 2008, les Grecs ont travaillé en moyenne 2120 heures par an, soit 690 heures de plus que les Allemands. » « Mythe n°2 : les Grecs partent trop tôt à la retraite : (...) En regardant les données d’Eurostats, on se rend compte que l’âge moyen de départ à la retraite était de 61,7 ans en 2005, soit plus que l’Allemagne, la France ou l’Italie. » « Mythe n°3 : la Grèce est une économie faible, qui n’aurait pas dû intégrer l’Union européenne : une des affirmations fréquemment adressées à la Grèce est que son adhésion à l’Union européenne lui a été accordée grâce au sentiment que la Grèce est le ’berceau de la démocratie’’. » (1)
« En 2005 poursuit-il, la Grèce était classée 22e pays mondial en termes de développement humain et de qualité de vie - soit mieux que la France, l’Allemagne, et le Royaume-Uni. Pas plus tard qu’en 2009, la Grèce avait le 24e plus haut ratio de PIB par habitant, selon la Banque mondiale. « Mythe n°4 : le premier plan de sauvetage était censé aider le peuple grec, mais a échoué. Non, ce plan n’était pas destiné à aider la Grèce, mais plutôt à garantir la stabilité de la zone Euro, et surtout à gagner du temps. » « Mythe n°5 : le second plan est conçu pour aider la Grèce et va certainement réussir. J’ai regardé la déclaration commune de Merkel et Sarkozy l’autre jour.(...) Leur propos était dénué de tout autre sens que ce dont nous sommes en train de discuter : de l’extension de la misère à venir, de la pauvreté, de la douleur et même de la mort de la souveraineté d’un partenaire européen. » En fait, la plupart des commentateurs s’accordent à dire que « ce second package a le même objectif que le premier : acheter du temps pour les banques, à grands frais pour le peuple grec ». « Mythe n°6 : les Grecs veulent le plan de sauvetage, mais pas l’austérité. C’est le mythe le plus tenace : les Grecs protestent car ils ne veulent pas du tout de plan de sauvetage. C’est une pure contre-vérité. Ils ont déjà accepté des restrictions budgétaires qui seraient aujourd’hui, inacceptables au Royaume-Uni (imaginez la politique de Cameron... et multipliez-la par 10). Or, les résultats ne sont pas au rendez-vous depuis six mois. » (1)
Dans une démocratie, c’est le peuple qui est souverain. Le peuple grec doit absolument être consulté dès lors qu’une décision cruciale sur son destin est en jeu. De plus, le peuple a confié la souveraineté à ses élus, il ne la leur a pas donné et ceux-ci n’en disposent pas. En effet, les élus n’ont pas le droit de transmettre cette souveraineté à quiconque sans l’accord du peuple. C’est ce qui est en jeu actuellement : la disparition de la Grèce comme pays souverain, et aussi la dilapidation de son patrimoine national (télécommunications, aéroports, ports, bâtiments publics, services publics). C’est l’ingérence européenne au contraire qui est illégitime puisqu’elle ne provient pas du peuple, et c’est le pillage euro-américain qui est scandaleux. L’Europe montre son vrai visage, c’est une dictature et la Grèce n’est pour elle qu’un protectorat.
Pourquoi la dette de la Grèce est devenue un tonneau des Danaïdes ?
On dit que ce qui était humainement possible de faire a été fait par le Premier ministre Papandréou. Le peuple grec a été pressuré. Mais rien n’y fait, la dette est toujours là comme ce fut le cas pour l’Algérie, la dette des années ’80 a été payée plusieurs fois, sans que le principal n’ai été entamé ; grâce en soit rendue à Michel Camdessus, directeur du FMI, qui venait souvent nous encourager à plus de désespoir en jetant sur le bord de la route, des centaines de milliers de travailleurs pour être dans la ligne du Consensus de Washington... La situation des pays endettés est partout la même, elle est aggravée en Grèce par l’évasion fiscale, on dit que plus de 120 milliards d’euros appartenant à des Grecs seraient en Suisse. Les paradis fiscaux malgré quelques actions cosmétiques sont plus florissants que jamais. On dit que sur l’île de Jersey habitent 35.000 habitants et 350.000 comptes en banque. Cherchez l’erreur !!!
Pour Eric Toussaint président du CADTM : « Il faut une solution radicale au problème de la dette publique, à travers un processus d’audit qui permette d’identifier la part illégitime de la dette et de la répudier ; cela implique une mobilisation citoyenne car les gouvernements actuels ne sont en aucun cas convaincus par cette voie. Ensuite, nous ne pouvons pas laisser les banques agir de la sorte : il faut socialiser ces entités et non leurs pertes. Les pouvoirs publics doivent mettre au point un dispositif afin de disposer d’un secteur public de crédit pour la population, de relancer l’économie, créer de l’emploi, etc. Nous devons nous doter d’une nouvelle discipline financière, rigoureuse, à l’égard des marchés financiers. » (2)
Une dépêche de Reuter de Vendredi 4 novembre à 9 heures nous apprend que « le gouvernement grec joue sa survie vendredi soir au Parlement lors d’un vote de confiance mais le sort du Premier ministre Georges Papandréou semble scellé après l’échec de sa proposition de référendum. Selon des sources gouvernementales, le chef du gouvernement socialiste a conclu jeudi un accord avec ses ministres par lequel il s’engage à démissionner et à laisser la place à un gouvernement de coalition s’ils l’aident à remporter le vote de confiance, lui accordant ainsi une sortie honorable. La proposition de référendum sur le plan européen d’aide financière à la Grèce, après avoir pris par surprise les dirigeants européens et toute la classe politique grecque, a finalement explosé au visage du Premier ministre. L’opposition de droite demande que Papandréou laisse place à un gouvernement d’intérim composé de techniciens, et de convoquer des élections anticipées. Ce qui devait arriver arriva, le peuple ne sera pas consulté, Papandréou a fait voter le n ième plan de rigueur, conformément aux odres du tandem d’enfer Merkel-Sarkozy.
Quelles conséquences pour la Grèce après une sortie de l’euro ?
Nous ne croyons pas que ce plan pas plus que les précédents ne soit la solution. Les Grecs revivent à leur façon les douze travaux d’hercule. Au lieu de nettoyer « les écuries d’Augias » de l’incurie, de l’évasion fiscale et de la corruption, Papandréou essaie de remplir un « tonneau des Danaïdes. Pourquoi la Grèce se fait elle laminer sans espoir réel de voir le bout du Tunnel ayant perdu son « fil d’Ariane » ? Peut être que la sortie de l’euro est préférable.
« En cas de sortie, lit-on dans une contribution du journal Le Monde, que pourrait-il se passer ? Référendum, nouveau plan d’aide, restructuration de la dette, abandon de l’euro, diminution de sa note par les agences de notation... Un an et demi après le premier plan d’aide accordé par l’UE et le FMI à la Grèce, les probabilités de faire sortir la Grèce de la zone euro n’ont jamais été si grandes. Une sortie de la Grèce de la zone euro fait partie des scénarios envisagés face à la gravité de la crise. Plusieurs économistes dressent prudemment un même scénario en deux actes : le chaos avant le retour à la compétitivité. Il y aura un mouvement de panique bancaire. Le retour à la drachme - qui irait de pair avec l’annonce d’une dévaluation compétitive - entraînerait irrévocablement une fuite des dépôts. Chaque épargnant grec préférant retirer son argent en euros plutôt qu’en drachme dévaluée. « L’inflation entraînant une baisse du pouvoir d’achat des ménages, faillites en série. » (3)
« Pour les particuliers comme pour les entreprises, les perdants seront ceux qui se sont endettés en euros. Les entreprises seront asphyxiées par leur crédit en euros. « Il faudra du temps avant que les investisseurs acceptent de prêter de l’argent à la Grèce », explique André Sapir. Le Wall Street Journal racontait par exemple la semaine dernière que des grandes firmes pharmaceutiques hésitaient d’ores et déjà à fournir des médicaments aux hôpitaux grecs. Au-delà des efforts nécessaires pour retrouver de la compétitivité qui passe par la baisse des salaires, les Grecs connaîtront une forte diminution de leur pouvoir d’achat conjuguée à une forte hausse du taux de chômage. Déprécier sa monnaie comme elle pourrait le faire en sortant de l’euro lui permettrait à moyen terme de renouer avec cette compétitivité. « Ce ne sera pas la fin de la Grèce, assure M.Fitoussi. Au prix de souffrances considérables, l’exemple argentin a montré qu’un pays pouvait se relever de la faillite. Pour la Grèce, cela passe par une politique monétaire maîtrisée et par une politique fiscale qui permette une collecte et un contrôle efficaces. » (3)
Conclusion
« Justement, l’Argentine est le contre-exemple d’un pays qui a résisté au bulldozer néolibéral et s’en est sorti. Pourquoi pas la Grèce ? La criante de l’Europe est ailleurs ; une sortie de la Grèce de la zone euro représente un saut dans l’inconnu. Cela signifierait que l’Euroland n’est pas une zone économique solidaire.
L’agence de notation Fitch a averti qu’un « non » des électeurs grecs menacerait la viabilité de toute la zone euro. L’effet contagion aux autres maillons faibles de la zone euro est déjà une réalité : les taux italiens à dix ans, déjà sous pression du fait de la difficile situation financière de Rome, s’inscrivaient nettement au-dessus de 6% mardi. Alors que le capitalisme connaît sa crise la plus sérieuse depuis celle des années 1930, les principaux partis de gauche semblent muets, embarrassés. Au mieux, ils promettent de ravauder le système. Plus souvent, ils cherchent à prouver leur sens des responsabilités en recommandant eux aussi une purge libérale. Combien de temps ce jeu politique verrouillé peut-il durer alors qu’enflent les colères sociales ? On ne distingue plus que deux catégories de population : la poignée de ceux qui profitent du capitalisme contemporain et la grande majorité qui le subit.
Notamment à travers le mécanisme de la dette. Au cours des trente dernières années, les maillons faibles de l’économie mondiale se situaient en Amérique latine, en Asie ou dans les pays dits « en transition » de l’ex-bloc soviétique. Depuis 2008, l’Union européenne, à son tour, suscite le doute. Alors que la dette extérieure totale des pays d’Amérique latine atteignait en moyenne 23% du Produit intérieur brut (PIB) fin 2009, elle s’établissait à 155% en Allemagne, 187% en Espagne, 191% en Grèce, 205% en France, 245% au Portugal et 1137% en Irlande. Du jamais vu. »
Serge Halimi rédacteur du Monde Diplomatique s’interroge sur la disparition en tant qu’alternative de progrès d’un projet socialiste porteur, en phase avec le mouvement du monde. Il écrit : « Les Américains qui manifestent contre Wall Street protestent aussi contre ses relais au sein du Parti démocrate et à la Maison-Blanche. Ils ignorent sans doute que les socialistes français continuent d’invoquer l’exemple de M. Barack Obama. Contrairement écrit-il, à M.Nicolas Sarkozy, le président des Etats-Unis aurait su, selon eux, agir contre les banques. S’agit-il seulement d’une méprise ? Qui ne veut pas (ou ne peut pas) s’attaquer aux piliers de l’ordre libéral (financiarisation, mondialisation des flux de capitaux et de marchandises) est tenté de personnaliser la catastrophe, d’imputer la crise du capitalisme aux erreurs de conception ou de gestion de son adversaire intérieur. En France, la faute incombera à « Sarkozy », en Italie, à « Berlusconi », en Allemagne, à « Merkel ». Fort bien, mais ailleurs ? » (4)
« Ailleurs et pas seulement aux Etats-Unis, des dirigeants politiques longtemps présentés comme des références par la gauche modérée affrontent eux aussi des cortèges indignés.
En Grèce, M.Georges Papandréou, président de l’Internationale socialiste, met en oeuvre une politique d’austérité draconienne qui combine privatisations massives, suppressions d’emplois dans la fonction publique et abandon de la souveraineté de son pays en matière économique et sociale à une « troïka » ultralibérale. Les gouvernements d’Espagne, du Portugal ou de Slovénie rappellent également que le terme de gauche s’est à ce point déprécié qu’on ne l’associe plus à un contenu politique particulier.
Renvoyant dos à dos la Droite et la Gauche actuelle, il pointe du doigt la fatalité des comportements socialistes européens qui deviennent, d’une certaine façon des victimes consentantes du modèle néo libéral. Il écrit : « Un des meilleurs procureurs de l’impasse de la social-démocratie européenne se trouve être le porte-parole... du Parti socialiste (PS) français. « Au sein de l’Union européenne, relève M. Benoît Hamon dans son dernier livre, le Parti socialiste européen (PSE) est historiquement associé, par le compromis qui le lie à la démocratie chrétienne, à la stratégie de libéralisation du marché intérieur et à ses conséquences sur les droits sociaux et les services publics. Ce sont des gouvernements socialistes qui ont négocié les plans d’austérité voulus par l’Union européenne et le Fonds monétaire international [FMI]. (...) Une partie de la gauche européenne ne conteste plus qu’il faille, à l’instar de la droite européenne, sacrifier l’Etat-providence pour rétablir l’équilibre budgétaire et flatter les marchés. (...) Nous avons été en plusieurs lieux du globe un obstacle à la marche du progrès. Je ne m’y résigne pas. » » (4)
Pr. Chems Eddine Chitour
Ecole polytechnique enp-edu.dz
3. Quelles conséquences pour la Grèce après une sortie de l’euro ? Le Monde 4.11.2011
4. Serge Halimi, novembre 2011 : Où est la gauche à l’heure de la tourmente économique ? http://www.monde-diplomatique. fr/2011/11/Halimi/46895
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