Il n’y a pas que la finance qui s’abrite derrière sa part d’ombre, le discours politique dispose aussi de la sienne quand il prétend en expliquer les ressorts.
Les marchés portent pourtant des noms, et nous les connaissons. Ces investisseurs anonymes qui défont les rois et imposent leur loi quittent parfois leurs manteaux couleur de muraille. Parfois, ils ne parviennent plus à se cacher et permettent de répondre aux interrogations présentes sur toutes les lèvres : qui sont-ils, pour faire si irrésistiblement monter les cours obligataires, et pour quelles raisons agissent-ils ainsi de manière si inflexible, que l’on ne nous avoue pas ?
La réponse n’est pas si mystérieuse : la faute est largement imputable aux banques, têtes émergées du système et composantes des marchés, qui depuis des mois se délestent de leurs actifs de la dette souveraine. Désormais dans l’obligation de les comptabiliser au prix du marché, cela accroît d’autant leurs besoins de recapitalisation, afin de respecter les ratios qui leur sont imposés. Il faut donc s’en débarrasser.
Un puissant flux vendeur en résulte, qui se chiffre en dizaines de milliards d’euros, aboutissant à faire monter les taux et basculer les États dans le rouge. Il ne faut pas chercher ailleurs, c’est l’effet de la réduction de l’exposition bancaire qui principalement nous vaut ce qui est présenté comme la sanction des marchés. Les banques ne cherchent en réalité qu’à se protéger. Prises dans une contradiction, elles accentuent le danger d’une décote portant sur le reliquat de leurs possessions, tant qu’elles n’auront pas tout vendu.
Une nouvelle fois, en dépit de toutes les proclamations expliquant avec assurance que les banques doivent se renforcer par elles-mêmes, leur sauvetage s’opère sur le dos des finances publiques, cette fois-ci indirectement, créant de surcroît une spirale infernale qui ne peut être stoppée. Étonnante illustration des contradictions d’un système implosant et d’une situation qui aboutit à lézarder chaque jour davantage son propre pilier : la dette à risque zéro. Plus étonnant encore, le coup est masqué derrière le sauvetage des États dispendieux et irresponsables.
« La faute est aux régulateurs ! », protestent les banques qui se présentent comme des victimes n’en pouvant plus, oubliant qu’il existe d’autres voies pour se renforcer, mais qui sont taboues car pesant sur leur rendement financier. Une autre solution est donc proposée actuellement, afin d’enrayer ce mécanisme devenu incontrôlable : l’intervention de la BCE. Celle-ci pourrait soulager les banques de leurs obligations souveraines par une intervention massive et financer les États en difficultés, avec comme risque de devenir à son tour et pour longtemps une bad bank. Comme si un tapis était indispensable pour planquer ce que l’on ne saurait voir, et encore moins rembourser.
Mais ce n’est pas tout de stabiliser la situation, faut-il ensuite revenir à la normale ! Doter de béquilles financières les États tombés dans le trou, ou en passe de le faire, est déjà mission quasi-impossible sans briser un autre tabou, celui de la monétisation de la dette publique. Mais remettre ultérieurement le système sur ses rails risque d’être une autre paire de manches. Pourquoi les banques achèteraient-elles des obligations souveraines tant qu’elles sont risquées, ce qui en prend le chemin pour au moins la décennie à venir ? Après le capitalisme financier, voici donc venu le temps du capitalisme bancal.
Délestées et soutenues par des injections de liquidité de la BCE suppléant au marché interbancaire, les banques devraient se sentir mieux. L’Autorité bancaire a bien suggéré que soit mis en place un système de garantie des échanges bancaires qui la déchargerait de la tâche, c’est pour l’instant sans résultat. Mais la grande question reste quand et comment les États bénéficiant d’une couverture financière pourront-ils revenir sur le marché, n’en ayant plus besoin ? Pour s’en tenir aux faits, les résultats des plans de sauvetage en cours d’exécution ne sont pas spécialement probants à cet égard. Corroborant l’idée que nous sommes entrés dans une nouvelle période, qui va avoir deux grandes caractéristiques.
En premier lieu, elle va être marquée par une longue récession économique et la poursuite de la mise en cause de l’État-providence, nec plus ultra d’une pensée libérale toujours à la recherche de certitudes et de bien-être pour ceux qu’elle protège. Marco Buti, directeur général aux affaires économiques et monétaires de la Commission, vient de le confirmer : « Une récession profonde et prolongée et de nouvelles turbulences sur les marchés financiers ne peuvent plus être exclues ».
En second lieu, la période va donner à voir un fonctionnement hétérodoxe du système financier qui va s’appuyer sur un succédané de marché, un comble qui ne semble pas exagérément gêner ces mêmes libéraux (sauf quand ils sont libertariens).
Pris dans un cercle vicieux, ces derniers attendent un miracle. Soit une stabilisation résultant de la « clarté politique » qu’ils appellent en Grèce et en Italie, voulant voir dans son absence la cause de la crise. Soit une intervention de la BCE, sous la forme d’un coup de théâtre et l’utilisation d’une machinerie mise au rencard par étourderie, qui procéderait d’une nouvelle fuite en avant. Induisant une insidieuse interrogation : et si cette intervention se révélait trop tardive ?
C’est quand il est annoncé que les copies vont être ramassées que les plus grosses âneries sont à la va-vite couchées sur le papier, sans plus avoir le temps d’y penser !
François Leclerc
Source : bloc de Paul Jorion
Dessin : crayon de nuit
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