Pierre Stambul, coprésident de l'Union juive française pour la paix (UJFP), revient dans cet entretien sur l’engagement et le rôle de Bernard-Henri Levy en Libye et évoque l'assassinat de Mouammar Kadhafi, ainsi que la politique extérieure du Qatar. Il aborde également les réactions en Israël quant aux «révolutions» dans les pays arabes.
Le Temps d'Algérie : Le journaliste et philosophe Bernard-Henri Lévy (BHL) a, lors de la convention nationale du CRIF, reconnu avoir agi, en Libye, pour le compte de deux pays, Israël et la France. Que pensez-vous de cette déclaration ?
Pierre Stambul : Il ne faut pas fantasmer sur ce personnage. Il s'agit de quelqu'un qui est riche, possède des médias et est imbu de sa personne. Il est assez mégalomane et avide de notoriété. Il n'est, hélas, pas le seul personnage de ce type dans une société médiatique qui privilégie le fric et l'apparence sur l'honnêteté et les convictions. Il était risible de voir BHL à Benghazi avec Sarkozy et Cameron. Il essayait désespérément de monter sur la tribune et de se faire photographier.
Avant la Libye, il a produit le même genre de spectacle en Afghanistan ou en Bosnie. Il s'est aussi fait photographier sur un char de Tsahal.
Dans le même genre, Bernard Kouchner s'était fait photographier avec un sac de riz en Somalie. Le problème fondamental en Libye n'est pas celui de BHL. C'est, comme l'a expliqué Rony Brauman, qu'après le désastre complet des interventions impérialistes en Somalie, en Irak ou en Afghanistan, l'intervention en Libye remet à l'ordre du jour ces interventions et essaie de les légitimer.
Sinon, la première réaction israélienne au début des processus révolutionnaires dans le monde arabe a été celle de Zvi Mazel, ancien ambassadeur israélien au Caire, qui a déclaré : «les révoltes arabes sont une catastrophe pour les Juifs». Israël est davantage préoccupé par ce qui se passe en Egypte, où son ambassade a été attaquée. Je ne pense pas qu'ils aient eu la moindre influence sur ce qui s'est passé en Libye.
«Je ne l'aurais pas fais si je n'étais pas juif», a-t-il expliqué quant à son engagement dans la crise libyenne. Pourtant, des juifs épris de paix, comme vous, l'Union dont vous faites partie, et bien d'autres, sont pour la paix et contre l'injustice et l’intervention militaire d'où qu'elle vienne. BHL peut-il s'exprimer au nom de tous les juifs ?
Les juifs ont été en Europe des parias décrétés inassimilables, discriminés et assassinés en masse par un génocide au nom de ces conceptions racistes. L'ancien président Bush a déclaré la «guerre du bien contre le mal», le mal étant évidemment d'après lui «les musulmans ou les Arabes». Le gouvernement français est l'auteur d'une politique xénophobe d'Etat. Dans ce contexte, certains (BHL, le CRIF, des dirigeants israéliens…) voudraient que les juifs passent de l'autre côté du miroir et prennent leur part dans cette «guerre». Ces forces, aujourd'hui, sont, à mon avis, du mauvais côté sur tous les terrains. Elles ne luttent pas contre le racisme, ne défendent pas les sans-papiers, tolèrent le parti Front National ou lui font des appels du pied et soutiennent la destruction de la Palestine par le gouvernement israélien. Il ne fait pas de doute qu'on assiste, aujourd'hui, à une gigantesque manipulation de l'histoire, de la mémoire et des identités juives pour enrôler les juifs dans la croisade voulue par Georges Bush. Pour moi, BHL est représentatif de cette manipulation.
L'ambassadeur de France en Algérie a déclaré que BHL n'a pas été mandaté par le président français Nicolas Sarkozy pour le représenter en Libye, alors qu'on l'a vu l'accompagner dans ce pays après la chute du régime de Kadhafi. Que pensez-vous justement de cette question ?
Encore une fois, BHL fera tout pour se faire de la publicité, y compris affirmer qu'il renversera tout seul les régimes. Il ne faut pas donner une importance exagérée à ce mégalomane même si on le voit régulièrement sur toutes les télévisions faire la promotion de son livre. Quant au président Nicolas Sarkozy, il faut rappeller qu’il avait reçu avec tous les égards le guide libyen Kadhafi en 2007.
Il avait conclu avec lui de nombreux accords commerciaux et un engagement que la Libye arrête et enferme les immigrés africains en route pour l'Europe. Aujourd’hui, il a signé les mêmes accords avec le nouveau régime libyen. Et il a très vite obtenu le retour de Total dans les champs pétrolifères. C'est ce qui l'intéresse, à mon avis.
Quelles seraient, selon vous, les raisons réelles de l'assassinat de Kadhafi le 20 octobre dernier à Syrte ?
Le journal Le Canard Enchaîné a écrit, sans être attaqué en justice, qu'Obama et Sarkozy avaient donné l'ordre d'exécuter sans jugement Kadhafi pour qu'il ne parle pas, c'est-à-dire qu'il ne raconte pas en détail les rapports excellents qu'il avait avec l'Occident avant le début de l'insurrection. En Syrie, toutes les forces de l'opposition au régime se sont prononcées contre toute intervention étrangère et en particulier contre toute immixtion de BHL. Voilà une position de bon sens.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait déclaré que «les révolutions» dans des pays arabes causeraient leur retard plutôt que leur développement. Partagez-vous cette lecture ?
Pour Israël, les révoltes du monde arabe marquent un virage fondamental. Dans le cadre de la «guerre du bien contre le mal», les pays arabes étaient condamnés, selon des dirigeants israéliens, à avoir des chefs d’Etat dictateurs pour les préserver de l'intégrisme. Voilà que partout éclatent des révoltes exigeant liberté, démocratie et dignité.
Israël a déjà perdu son complice et allié privilégié dans la région (Hosni Moubarak) et pourrait en perdre d'autres. La question palestinienne s'est invitée dans les révoltes en cours comme l'ont montré l'ouverture de la frontière avec Ghaza ou l'attaque de l'ambassade israélienne au Caire. Donc Nétanyahou a raison d'être inquiet de ces mouvements de révoltes dans les pays de la région.
Comment voit-on au CRIF les «révoltes» dans le monde arabe ?
Franchement, le CRIF a d'autres chats à fouetter. Aux nouvelles que j'ai eu dernièrement, il y a des guerres de personnalités en son sein (pas sur des questions idéologiques) et BHL agit pour lui-même et pas pour le CRIF.
Croyez-vous que la Ligue arabe est utilisée pour internationaliser la situation en Syrie, comme cela a été fait avec la crise libyenne?
Les révoltes dans le monde arabe ont touché tous les régimes. Mais il y a un modèle qui s'en sort mieux que les autres, c'est le modèle des pays du Golfe que je qualifierai de féodal, patriarcal, esclavagiste et ultralibéral. Ces pays, qui soutiennent la révolte des Syriens, sont intervenus militairement en Libye aux côtés des Occidentaux et au Bahreïn pour écraser la révolte d'un peuple qui réclamait également liberté et démocratie.
L'Arabie Saoudite est puissante grâce au pétrole et à ses liens très anciens avec l'impérialisme.
Ce pays féodal a accueilli les dictateurs Ben Ali et Saleh, pratique dans la loi un antiféminisme forcené, inflige des conditions proches de l'esclavage aux immigrés et applique avec une grande cruauté la peine de mort. Son armée est intervenue pour écraser la révolte au Bahreïn.
De fait, les pays du Golfe contrôlent, aujourd'hui, la Ligue arabe qui devient ainsi le poisson pilote des Etats-Unis. Il me semble que la défense de la liberté et de la démocratie ne peut pas être à géométrie variable.
Que pensez-vous justement de la politique extérieure prônée par le Qatar et la couverture des événements par la chaîne de télévision satellitaire Al Jazeera ?
Cette question rejoint la précédente. Al Jazeera a souvent servi de média apportant l'information quand elle était bâillonnée. Cela a été clair pendant le massacre à Ghaza. Mais cette chaîne de télévision est très liée au gouvernement qatari qui est intervenu en Libye avec les impérialistes. L'histoire nous dira si le Qatar tire les ficelles de la Ligue arabe.
http://www.letempsdz.com//content/view/66824/1/
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