Le bilan est sans nuance : il ne reste plus que cinq réacteurs nucléaires en activité sur les 54 du parc japonais. Quatre unités supplémentaires doivent être stoppées d’ici mai prochain, la totalité d’entre elles pourrait même être arrêtée l’été prochain, période de pic de la consommation en raison de la climatisation des locaux et habitations.
Les autorités japonaises reconnaissent ne pas avoir de plan de remise en service des réacteurs, stoppés par précaution ou par des opérations de maintenance. Car leur redémarrage est soumis à la réalisation préalable de tests de résistance et doit être approuvé par les autorités locales, qui n’y sont pas favorables. Elles-mêmes sont sous la pression d’une opinion publique qui ne s’exprime que peu ouvertement mais n’en pense pas moins : le choc créé par la catastrophe de Fukushima est plus profond que n’en laisse paraître l’absence de réaction.
A l’arrivée, le Japon est en passe de réaliser une sortie inédite de l’électro-nucléaire, en dépit des résistances très fortes du lobby de cette industrie, une grande première à observer de près. Celle-ci sera provisoire ou définitive, suivant l’évolution du rapport de force, et pourra impliquer, si elle se confirme, une redéfinition des modèles de consommation et de production énergétique.
Dans l’immédiat, les conséquences de la catastrophe de Fukushima se révèlent dans toute leur étendue.
Sur le site même de la centrale, la situation n’est stabilisée qu’en apparence. L’opérateur contrôle celle-ci du bout des doigts et avec des moyens de fortune. Le système de refroidissement des réacteurs et des piscines est précaire et les structures des installations sont fragilisées, la menace que représenterait un nouveau puissant séisme est en conséquence toujours présente.
Fukushima-Daïchi est devenu une machine à fabriquer de l’eau contaminée en énorme quantités, dont l’évacuation et le stockage posent de tels problèmes que Tepco, l’opérateur, a cherché à en déverser à nouveau dans la mer. Les installations fuient de partout et l’eau contaminée a envahi les sous-sols techniques et ruisselle dans les sols et très probablement dans la mer. Il n’est pas donné d’information sur la cadence à laquelle l’eau est décontaminée, comparée au rythme de sa production.
Plus problématique, la situation des trois coriums reste une inconnue. La tentative de commencer à la déterminer de visu grâce à un endoscope a tourné court. Le réacteur numéro 2 avait été choisi, car le niveau des radiations y est inférieur, mais ce dernier a néanmoins perturbé les observations en raison des artefacts visuels qu’il a provoqués. La méthode n’a pas fonctionné. Faute d’évaluation précise de l’état interne des réacteurs et de la situation des coriums, il n’est pas possible de concevoir les technologies qui permettront un jour – dans dix ans est-il prévu – de les extraire, dans le cadre des opérations de démantèlement actuellement estimées durer 40 ans.
L’évaluation des effets de la contamination radioactive créée par la catastrophe ainsi que les problèmes liés à la décontamination sont passés au premier plan. En premier lieu en raison de la découverte de pollutions alarmantes qui se renouvellent, montrant que le danger peut être partout. Cela a en premier lieu été dans l’alimentation, dont la chaîne n’était pas strictement contrôlée, ou bien à l’occasion de la découverte de plaques géographiques, voire de lieux restreints, où elle est concentrée. Des bêtes envoyées à l’abattoir ont été contaminées par du fourrage provenant de la zone interdite. Un immeuble de logement a été récemment construit avec du béton radioactif utilisant du gravier prélevé dans celle-ci un mois après la catastrophe. Il en ressort que la dissémination de la contamination n’est pas 100% contrôlable quand elle a atteint une telle échelle. Créant un sentiment d’insécurité permanent.
Elle l’est d’autant moins que les conditions dans lesquelles la décontamination est effectuée sont problématiques. Les aspersions d’eau sur les façades ou les trottoirs ou les arasions de terre et de revêtement des sols ne font souvent que déplacer le problème, l’eau contaminée ruisselant dans les égouts et vers les nappes phréatiques, la terre et les débris étant stockés dans des excavations creusés dans le sol et exposés aux intempéries, donc aux ruissellements.
C’est semble-t-il le prix à payer pour que tout rentre en apparence et rapidement dans l’ordre. Dans la même intention, le gouvernement voudrait symboliquement favoriser le retour prochain d’une partie des 80.000 réfugiés dénombrés dans les lieux de la zone interdite, où la contamination est estimée la moins élevée.
Mais l’impact d’une décision prise par le gouvernement au début de la catastrophe trouve actuellement un nouvel éclairage. Celui-ci a alors promulgué un relèvement de la zone admissible d’exposition aux radiations, augmenté à 20 millisieverts par an, avec pour intention de limiter les évacuations de population et de minimiser ses conséquences.
Un rapport de l’Académie des sciences américaine vient de mettre en cause l’idée selon laquelle l’exposition à de faibles doses de radiations serait sans effet. Il montre comment, à la longue, celle-ci pourrait avoir des effets importants, tout spécialement sur les enfants et les femmes (et donc plus particulièrement les jeunes filles). Nous rappelant que les données utilisées pour mesurer la dangerosité d’une exposition aux faibles doses reposent sur une exposition concentrée dans le temps (une explosion atomique par exemple) et non à la longue et donc cumulée.
Enfin, le moment des décisions est arrivé en ce qui concerne le volet économique et financier. En dépit de ses résistances, l’opérateur privé Tepco devrait être nationalisé, ne pouvant faire face aux conséquences de la catastrophe qu’il doit assumer aux titres de l’indemnisation des victimes et du démantèlement de la centrale. Il est question d’une nationalisation provisoire pendant dix ans, qui s’apparenterait à la prise en charge par l’Etat de ces opérations avant que l’entreprise soit reprivatisée dans des conditions qui ne sont pas précisées.
Faisant suite à d’autres aides financières, un fonds auquel participe l’Etat et des opérateurs privés de l’électro-nucléaire doit prochainement injecter l’équivalent de 10,3 milliards d’euros dans Tepco, nationalisant l’entreprise dans l’immédiat, mais seulement de fait. Celle-ci a cherché à emprunter sur le marché, mais les banques auraient posé comme condition, selon la presse, une augmentation de 10% des tarifs d’électricité et le redémarrage du parc des réacteurs nucléaires !
Essentiellement centré concernant le Japon sur le tremblement de terre et le tsunami qui ont ravagé des régions entières, le rapport sur les « risques globaux » rédigé dans le cadre du prochain Forum économique mondial de Davos pratique l’art de l’escamotage. Il y décèle prioritairement une interrogation sur « le rôle du leadership, un défi à la communication en cet âge de l’information et la nécessaire conception de modèles économiques résilients en réponse aux crises de grandeur imprévue. »
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