Mais c’est vrai que des morts
Font sur terre un silence
Plus fort que le sommeil (Eugène Guillevic, 1947).
Gabriel Péri fut de ces martyrs qui nourrirent l’inspiration des meilleurs poètes : Pierre Emmanuel, Nazim Hikmet, ou encore Paul Eluard :
Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
Tutoyons-le sa poitrine est trouée
Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
Tutoyons-nous son espoir est vivant.
Et puis, il y eu, bien sûr, l’immortel « La rose et le réséda » qu’Aragon consacra à Estienne d’Orves, Guy Môquet, Gilbert Dru et Gabriel Péri :
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
(…)
L’un court et l’autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda.
Le privant d’un procès où il aurait sûrement triomphé, le pouvoir pétainiste livra le député communiste Gabriel Péri à l’occupant nazi qui le passa par les armes, comme otage, le 15 décembre 1941 au Mont-Valérien.
Cet infatigable journaliste qui signa plus de 4200 articles durant sa courte vie d’écriture, ce militant de tous les instants fut, assez bizarrement, un dandy à la mise recherchée qui trompa hardiment sa femme sous le regard réprobateur des autorités du parti communiste et qui n’hésita pas à travestir certains moments de son passé, comme quand il prétendit être bachelier et avoir fréquenté l’université. Si près de 400 places et rues de France portent son nom, c’est parce que Péri, avant de mourir courageusement sous les balles du peloton d’exécution, avait été un authentique « ouvrier de la révolution », toujours prêt à donner « sa vie, son audace et son sens critique » à la cause du prolétariat.
Secrétaire des jeunesses communistes à Marseille en 1921, Péri rejoint la campagne antimilitariste qui dénonce l’action de l’armée française, toujours engagée contre la Russie des Soviets et dans des expéditions coloniales. Il est, une première fois, condamné à de la prison avec sursis. En 1922, il écrit dans Le Conscrit : « L’armée nationale du XXe siècle étant devenue en chaque pays une vaste gendarmerie assurant l’ordre intérieur, le devoir de l’ouvrier devenu soldat est donc de tirer sur ses exploiteurs. » Poursuivi en compagnie de Vaillant-Couturier et de Cachin, il est condamné à six mois de prison ferme.
Péri est, dans les années vingt, un des acteurs (parfois critique mais toujours enthousiaste) de la réorganisation du parti communiste sur le modèle du parti communiste russe. Un parti bolchevik sans fraction, sans tendance, centralisé, capable d’agir aussi bien dans la légalité que dans l’illégalité.
En 1924, à vingt-deux ans, il se voit confier la rubrique internationale de L’Humanité. La même année, en épousant Mathilde Taurinya, il devient le beau-frère par alliance d’André Marty, avec qui il entretiendra toujours des relations plutôt conflictuelles, pour des raisons politiques et personnelles. En 1928, il est à nouveau condamné à de la prison avec sursis pour provocation de militaires à la désobéissance (il s’est prononcé pour la fraternisation avec le peuple chinois). En 1929, il est arrêté pour avoir dénoncé les conditions de détention du dirigeant communiste italien Umberto Terracini, condamné à 23 ans de prison pour le régime fasciste. Depuis sa cellule de la prison de la Santé, Péri écrit pour L’Humanité 270 articles en 12 mois.
En 1932, il est le candidat communiste pour les législatives à Argenteuil. Il l’emporte devant le candidat sortant radical-socialiste. En 1934, il devient le porte-parole du parti communiste en matière de politique étrangère. En 1936, il critique durement la politique de non-intervention en Espagne. En 1938, il est atterré par la passivité des puissance occidentales face à l’annexion de l’Autriche par Hitler. « Quelle sera la prochaine Espagne ? » demande-t-il, avant de qualifier l’accord de Munich de « Sedan diplomatique », en qui il voit le « triomphe de l’égoïsme de classe ». Il se montre ensuite très dubitatif face au pacte de non-agression Ribentrop-Staline. Il le juge « éminemment instable et provisoire » et prévoit à court terme une entrée en guerre des Etats-Unis et de l’URSS contre l’Allemagne.
En septembre 1939, bien qu’il ait été exempté de service militaire pour raisons de santé, il demande à être incorporé. Quelques jours plus tard, il signe – par discipline car il était plutôt contre – une lettre de l’ancien groupe parlementaire communiste (rebaptisé « groupe ouvrier et paysan ») à Edouard Herriot, président de la Chambre des députés, demandant que soient engagées des négociations de paix avec l’Allemagne. La justice lance alors un mandat d’arrêt contre tous les signataires. Activement recherché par la police, Péri devient un militant clandestin hors-la-loi.
En juin 1940, il exprime son désaccord avec les démarches engagées par le parti visant à faire reparaître légalement L’Humanité. Comme Thorez, Frachon ou Fried, il est profondément hostile à cette initiative de Jacques Duclos.
Gabriel Péri est arrêté le 18 mai 1941. Il partage plusieurs mois sa cellule avec son collègue picard Jean Catelas, qui sera guillotiné comme otage le 24 septembre 1941. Fin août 1941, Péri se voit notifier – de manière rétroactive – deux chefs d’inculpation : infraction au décret relatif à l’interdiction du parti communiste, insoumission en temps de guerre. Il écrit alors trente pages pour sa défense. Le 15 décembre 1941, il est fusillé sans procès en compagnie de soixante-huit autres otages, dont plus d’une cinquantaine qualifiés de « juifs communistes ». Les corps seront enterrés de façon anonyme dans plusieurs cimetières parisiens, si bien qu’on n’a jamais vraiment su où se trouvait sa dépouille.
Quelques heures avant l’exécution, il écrit à son avocate une lettre où il rend hommage à deux camarades : Paul Vaillant-Couturier et Marcel Cachin, son « bon maître » qui lui donne « la force d’affronter la mort ».
Alexandre Courban. Gabriel Péri : un homme politique, un député, un journaliste. Paris : La dispute, 2011.
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