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vendredi 24 février 2012

Hugo Chavez l'homme à abattre : si l'Amérique Latine nous montre le chemin de ce socialisme du 21 eme siècle , le vrai adversaire du président du Vénézuela reste l'impérialisme américain et ses satellites


Un homme à abattre … Cette expression évoque de mauvais souvenirs pour les Burkinabè. Pourtant, il ne s’agit ni de Thomas Sankara ni de Norbert Zongo, ni même d’un Africain. L’homme dont il est question est l’actuel Président du Venezuela, Hugo Chavez. La majorité de la presse occidentale le diabolise. Il est qualifié de dictateur fou, de clown sinistre, de « populiste belliqueux », on l’accuse d’antisémitisme et d’ « anti-américanisme primaire ». On lui reproche de censurer les médias de l’opposition. On blâme sa politique économique, la nationalisation du pétrole vénézuélien, la criminalité en hausse dans son pays, ses amitiés sulfureuses avec Amadjinedja d’Iran ou le Hamas palestinien. Tout est bon pour le discréditer. Pourtant, son combat a produit des résultats dont peuvent s’inspirer bien de peuples. C’’est peut-être à cause de cela qu’il dérange certains milieux.
La campagne de dénigrement contre le président Chavez a porté ses fruits empoisonnés jusque dans le parti socialiste français qui s’est joint à « la chorale des diffamateurs ». L’influence négative de la presse française a joué en retour sur l’opinion africaine, les partis de l’opposition restant indifférents, et ceux du pouvoir se méfiant comme de la peste de ce leader charismatique (ce qui expliquerait que la langue espagnole ne soit quasiment plus enseignée au Burkina Faso). Pourtant, cet homme qui, en 2009, au IIème sommet Afrique-Amérique latine, a rendu hommage au dirigeant martyr Thomas Sankara, a de quoi susciter notre intérêt.
« La fermeté dans nos relations avec le monde africain est (…) un de nos piliers culturels. Nous avons davantage à faire avec notre continent frère, la Mère Afrique, après avoir fixé nos yeux sur l’univers occidental et capitaliste. Caracas doit devenir un pont pour toutes sortes de coopération culturelle et économique entre l’Afrique et l’Amérique Latine. », avait-il déclaré.
Pourquoi le président Hugo Chavez fait-il l’objet d’un tel déchainement de haine ? Une investigation moins partisane ne peut que provoquer de la surprise. Malgré ses difficultés persistantes, le Venezuela va nettement de l’avant. Ainsi apprenons-nous que : « 71,8% des Vénézuéliens décrivent comme positive l’administration du président Hugo Chavez, selon les résultats de l’enquête menée par l’Institut vénézuélien de données (IVAD) entre le 24 septembre et 2 octobre 2011. » et que : « 63,8 % jugent que la gestion du gouvernement dans les 11 dernières années a été positive ». Les prochaines élections auront lieu en octobre 2012. « Si elles avaient lieu aujourd’hui, toujours selon l’IVAD, Hugo Chavez serait crédité de 53,7% des voix en sa faveur contre 34,6 % à son principal concurrent ». Seulement 53,7% des voix ? C’est peu pour un dictateur… Par ailleurs, personne n’a jamais accusé de fraude ou d’irrégularités les quatre scrutins qui de 1998 à 2006 ont maintenu Chavez au pouvoir.
Le Venezuela avant Chavez
Pour comprendre le rôle de Chavez, il faut rappeler dans quel état se trouvait le Venezuela lorsqu’il a été élu, et évoquer quelques jalons de l’histoire de l’Amérique latine « découverte » par Christophe Colomb vers 1500. Les « Conquistadors » espagnols et portugais, au nom du Christ, pillèrent le continent sans vergogne et massacrèrent férocement les indiens, s’emparant de l’or et de richesses fabuleuses qu’ils rapatriaient en Espagne. L’inépuisable butin contribua à la rapide prospérité de la bourgeoisie européenne au détriment de l’aristocratie. Par la suite, quand la main d’oeuvre indienne -et gratuite- fut décimée, les navires négriers prirent la relève pendant trois siècles. Plus de 50 millions d’Africains furent victimes de ce trafic, et environ une dizaine de millions d’esclaves furent débarqués en Amérique. On peut faire remonter les débuts du capitalisme à ce commerce, car cet enrichissement prodigieux dû à un « libre-échange » sans limites est à l’origine des grandes banques dont certaines existent toujours : La Lloyd Bank, la Barclay’s Bank… Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Plus tard, le style changea mais le pillage des ressources continua. Les futurs Etats-Unis, affranchis de la tutelle de l’Angleterre, prirent la place laissée par une Espagne en déclin. L’Amérique du Sud devint le pourvoyeur d’un nouvel empire impitoyable. Les Etats-Unis n’eurent pas de mal à corrompre la bourgeoisie locale, blanche et héritière des espagnols. C’est ainsi que les populations indigènes, changeant de maitres, furent exploitées par des présidents entièrement acquis aux multinationales états-uniennes. « Les Etats-Unis qui n’ont que la « démocratie » à la bouche ont ensanglanté l’Amérique latine par le nombre incroyable de dictatures qu’ils ont mis en place ».
Amérique latine
L’ascension de la famille Cisnéros est exemplaire. A la tête d’une petite compagnie de transports, Diégo Cisnéros obtient en 1940 la concession sur les ventes de Pepsi Cola. Par des manœuvres maffieuses (accidents, incendies, sabotages), il élimine la concurrence et fait fortune. Il se lie aux dirigeants états-uniens, devient l’ami du très puissant David Rockefeller (« Tout ce qui n’appartient pas à Rocke appartient à Feller » selon un adage connu) fait main basse sur les médias, sur les centres commerciaux, les compagnies d’aviation, l’agriculture. Et par-dessus tout sur le pétrole, première ressource du pays dont les réserves dépassent même celles de l’Arabie Saoudite. Il est surtout grassement récompensé pour avoir vendu son pays – et le pétrole - aux Etats-Unis. Résultat, la plus profonde misère et la criminalité se partagent un pays pourtant gorgé de richesses et qui comporte le plus grand nombre de millionnaires en Amérique latine.
Le tournant de 1998 avec l’élection de Hugo Chavez
Brièvement brossé, tel est le tableau du Venezuela lorsqu’Hugo Chavez gagne le pouvoir par des élections démocratiques en 1998. L’étincelle est venue, en 1989, d’émeutes de la faim sauvagement réprimées par un gouvernement qui sera bientôt renversé par l’armée. Chavez, un officier issu du peuple (ses deux parents sont instituteurs), organise la résistance. Emprisonné, sa popularité grandit à mesure que la crise s’aggrave. Enfin libéré, il propose la tenue d’une Assemblée constituante pour redéfinir les bases et l’avenir du pays, et permettre aux couches populaires de reprendre leur destin en main. En 1998, élu avec 56% des voix, il proclame la « République Bolivarienne » en mémoire du grand libérateur Simon Bolivar et se met aussitôt au travail. Ses premières mesures consisteront à récupérer les secteurs clés de l’économie dont les profits filaient à l’étranger. Soutenu par le peuple, haï par la bourgeoisie « apatride », il échappera à plusieurs attentats et à un putsch organisé en 2002, lorsqu’il se réappropriera le pétrole. Bien qu’une partie des médias acquis à l’oligarchie pro américaine ait juré sa perte, Chavez maintiendra la liberté de la presse. On comprend l’importance de l’enjeu et l’âpreté de la bataille : 60% du pétrole vénézuélien partait aux Etats-Unis. L’occident ne lui pardonnera pas de vouloir développer son pays et de parvenir à rembourser la dette qui l’enchainait au FMI (qu’il surnomme « Dracula ») et à la Banque Mondiale…
Les résultats de la réappropriation des ressources nationales
Le pétrole vendu enfin à un juste prix va pouvoir financer des projets sociaux, et même aider les pays voisins. Dans le domaine de la santé, un accord « pétrole contre médecins » passé avec Cuba permettra à des médecins cubains de venir soigner gratuitement la population dans les nouveaux centres de santé. L’exode rural résultant de l’abandon des terres au profit de l’industrie du pétrole avait généré d’immenses bidonvilles à la périphérie des villes. Chavez met en œuvre une réforme agraire et redistribue aux paysans environ 3 millions d’hectares de terres accaparées par les grands propriétaires fonciers. Cette mesure vise à réduire la pauvreté et à parvenir à la souveraineté alimentaire, objectif difficile à atteindre. Dans un souci de préserver l’environnement et la diversité biologique, la culture des OGM est interdite, ainsi que la pêche intensive le long des côtes. La rente pétrolière a aussi contribué à éradiquer peu à peu l’analphabétisme et à scolariser tous les enfants, cette scolarité s’accompagne de la distribution de repas quotidiens aux élèves, faisant ainsi disparaître la malnutrition. Le chômage a considérablement diminué. L’armée, issue des classes populaires, reste fidèle et participe aux efforts du gouvernement « bolivarien ».
Les difficultés de la tâche
Si les inégalités ont fortement diminuées, il reste des problèmes très difficiles à résoudre. Chavez pensait qu’en améliorant le niveau de vie du peuple, la criminalité allait baisser automatiquement. Erreur : l’abondance des biens en circulation au contraire a fait monter la délinquance. De plus, la multiplicité des polices existantes, leur allégeance aux notables, la corruption endémique rendent bien de nouvelles lois inefficaces. Changer les mentalités forgées par des siècles d’asservissement n’est pas une mince affaire. L’hostilité virulente de la grande bourgeoisie alliée à Washington et aux multinationales états-uniennes menace sans cesse de renverser Chavez. Attaché aux valeurs démocratiques, il ne veut pas s’opposer directement à elle. Il tente de se protéger en s’alliant avec des pays voisins eux aussi gouvernés à gauche (Cuba, Chili, Brésil, Equateur, Bolivie, Argentine, Nicaragua…) et avec des pays producteurs de pétrole. Chavez est menacé aussi dans sa santé : nul ne sait si le cancer dont il souffre est véritablement en voie de guérison.
Les points faibles de Chavez : son populisme théâtral, sa tendance à attribuer des postes importants à sa famille, ses alliances stratégiques avec des dictateurs reconnus, sa difficulté à réduire l’inflation monétaire et à réguler les importations, sont réels, mais les médias occidentaux les amplifient outrageusement au détriment de l’espoir que Chavez représente pour tous les oubliés de la terre, tant les dirigeants qui se soucient vraiment de leur peuple sont rares. Derrière la caricature qu’on nous présente, il y a un grand homme sensible, intelligent et profondément pacifique.
Françoise Gérard
MUTATIONS N. 6 de février 2012, Mensuel burkinabé paraissant chaque 1er du mois (contact : Mutations.bf@gmail.com)
Références
site www.hugochavez.fr - page facebook "Hugo Chavez : la page officielle de réinformation". - « Les sept péchés d’Hugo Chavez » de Michel Collon (Investig’Action Couleur livres, 2009)

EN COMPLEMENT

Qui est vraiment le futur adversaire de Chavez ?
L’opposition vénézuélienne vient d’organiser des primaires pour désigner un candidat unique qui essaiera de vaincre Hugo Chavez aux prochaines élections présidentielles (octobre 2012). Qui est Henrique Capriles, sorti vainqueur de ces primaires, et quels intérêts représente-t-il ? Quel rôle les Etats-Unis jouent-ils dans ces élections ? Investig’Action a interrogé Jean Araud, un Français qui vit à Caracas depuis quarante ans… (Interview de Michel Collon)
1. En Europe, on présente Capriles comme un "centre gauche" qui approuve et maintiendrait les réformes sociales de Chavez. C’est sincère ou c’est une tactique ?
Henrique Capriles Radonsky est tout sauf de “centre gauche”. Il n´a jamais approuvé la gestion sociale de Chavez, sauf très récemment avec des messages ambigus. Pur produit de l’élite, il a été mis en selle par le grand capital dès le début de son parcours politique. Il a été un des principaux acteurs du coup d´Etat manqué en avril 2002 contre Chavez.
Dès qu’il a occupé le poste de gouverneur de l´Etat de Miranda, il a tenté de supprimer les centres de soins de santé Bario Adentro et d’autres missions sociales. Il a aussi tenté d´expulser les médecins cubains.
Alors, pourquoi cette tactique ? Simplement pour tenter d´obtenir des votes du peuple, car celui-ci sait bien qu´un personnage comme lui au pouvoir, ce serait la perte de tous les progrès sociaux de ces dernières années. C’est donc une tactique pour gommer son image de marque.
2. Les Etats-Unis ont-ils joué un rôle dans sa désignation ? Peut-on prévoir quelle sera leur attitude durant cette élection présidentielle ?
Les Etats-Unis jouent, ont joué et continueront à jouer un rôle omniprésent dans la politique vénézuélienne. Avec un seul but : éliminer Chavez et le remplacer par un gouvernement aligné sur les intérêts de Washington. Ils ne tentent même plus de dissimuler leur puissant appui économique à l’opposition.
Leur attitude est très facile à prévoir. Dès le lendemain de l´élection de Capriles aux primaires, le porte-parole du Département d´Etat a immédiatement déclaré : “Avec ces primaires, le Venezuela s´oriente vers la démocratie”.
3. Peut-il l’emporter face à Hugo Chavez ? Quelle est l’ambiance dans l’électorat ?
Capriles n’a absolument aucune chance de gagner dans les urnes face à Chavez. Aux prochaines élections, Capriles sera une simple image. Le véritable adversaire de Chavez, c’est Washington et les pays alignés sur Washington.
Donc, les élections se joueront sur des manipulations médiatiques ou même sur des actions de déstabilisation directe qui ont déjà commencé. Là est le danger. Mais le peuple mesure bien l’enjeu et le risque de retourner vers le passé : une minorité qui se remplit les poches tandis que la population subit la pauvreté.

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