Pages

samedi 24 mars 2012

Mérah : retour sur un fiasco


Héros de la prise d’otages de l’Airbus de Marignane en 1994, Thierry Prungnaud, ancien sous-officier du GIGN, fustige l’intervention du Raid.
La voix est ferme, le mot tranchant. Ancien sous-officier du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale, Thierry Prungnaud, aujourd’hui retraité dans le département de la Vienne, a suivi avec attention le siège de l’appartement de Mohamed Merah.
Et pour cause. Lui qui est entré le premier dans l’Airbus d’Air France lors du détournement de Marignane le 26 décembre 1994, lui qui a tué trois des quatre terroristes et participé à la libération de plus de 200 otages, ne s’explique pas comment cette opération a pu « tourner au fiasco. C’est tout simplement incompréhensible ». Alors que la polémique enfle sur l’intervention du Raid, le tireur d’élite décrypte pour La Nouvelle République le long assaut de 32 heures.
Vous avez suivi les événements de Toulouse. Quelle a été votre première réaction  ?
« J’ai regardé le siège en direct à la télévision. Et dès le début, j’ai vu qu’il y avait un problème. J’ai tout de suite compris que quelque chose clochait. Je pense que lorsque le premier assaut a été donné mercredi à 3 h du matin, il y a eu une erreur manifeste. Est-ce qu’ils sont arrivés avec leurs gros sabots ou le gyro deux tons, je ne sais pas. Mais je ne comprends vraiment pas comment les policiers du Raid ont pu se faire retapisser (*) de la sorte. »
Il y a donc eu une erreur manifeste  ?
« Bien évidemment. Ils connaissaient l’endroit, le quartier était bouclé. Tout le monde dormait. Il suffisait de ne pas se faire repérer, de péter la porte avec des explosifs, de rentrer à quinze et c’était terminé. Là, c’est tout le contraire qui s’est passé. Mohamed Merah les attendait. C’est pas normal. Manifestement, une connerie a été faite. A quel niveau, je ne sais pas. Je n’étais pas sur place. »
La phase de négociation n’a pas suffi à faire sortir Merah. Est-ce normal  ?
« La négo ne fonctionne pas à tous les coups. Elle est faite pour geler la situation, pour fatiguer le gars et pour préparer l’assaut si besoin. L’objectif était de l’appréhender vivant et sans blessures collatérales surtout. Cette fois, ça n’a pas marché. Ça arrive. Mais ce que je ne m’explique pas, c’est pourquoi au lieu de geler la situation, ils l’ont laissé pourrir. Ils n’ont fait qu’exciter ce type qui n’était pas suicidaire au départ. Sinon, il se serait tiré une balle bien avant. »
Schéma tactique débile et intervention ratée
Les choses auraient dû se passer autrement  ?
« Bien sûr. Trente-deux heures et 50 policiers pour un mec tout seul dans un appartement de banlieue de 40 m2, même s’il est lourdement armé, faut pas me la faire. J’ai fait les comptes. Merah avait avec lui un fusil à pompe, un Uzi, une Kalachnikov et un pistolet 9 mm. En supposant qu’il ait utilisé toutes ses armes en même temps, ce qui est fort improbable, et que les chargeurs étaient pleins, il a tiré 70 cartouches maximum. Maintenant, il faut m’expliquer comment le Raid a pu en tirer 300  ! A la télé, on a entendu les gars rafaler dans tous les sens, c’était affolant. C’était pire que dans l’Airbus de Marignane. »
Pour vous, l’assaut final n’a pas été réalisé dans les règles de l’art  ?
« Ils se sont amusés à jeter des grenades dans l’appartement. Ce qui n’a fait qu’exciter le type qui était un jusque-boutiste. A la fin, il a voulu se faire suicider et il a réussi. Le Raid a mis 32 heures pour aller le chercher et au final, ils l’ont tué. Il y avait pourtant d’autres moyens pour l’avoir vivant et obtenir des informations sur les ramifications d’Al-Qaïda. Comme le gaz lacrymogène ou même le chien. Ils disposaient de tout le matériel, fibre optique ou caméras thermiques, pour savoir exactement quand intervenir. »
Avec l’expérience qui est la vôtre, comment qualifieriez-vous cette intervention  ?
« C’est du n’importe quoi de bout en bout. De l’amateurisme dans toute sa splendeur. Il suffisait d’intervenir proprement dans la nuit de mardi à mercredi et tout était réglé en quelques secondes. Au lieu de cela, ils ont laissé la situation dégénérer. L’intervention a été complètement loupée. »
(*) Repéré en argot.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les messages anonymes ne seront pas publier