Les pédagogies alternatives ont du mal à se faire entendre en France. Pourtant, elles gagnent à être connues. Témoin, ce reportage dans une école primaire Freinet de Nantes, qui a fait ses preuves depuis bien longtemps
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Dossier Des écoles différentes
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Des écoles différentes
Un joli ensemble de petits bâtiments blancs à une cinquantaine de mètres de la Loire qui paresse tranquillement au bout du quai Malakoff, un quartier populaire de Nantes. Bienvenue à l'école Ange-Guépin, qui nous ouvre ses portes ce matin et
ne les refermera pas de la journée. « Je sais, ça surprend au début, ici les enfants vont et viennent », sourit Patrice Jounot, le directeur, avant de tendre un dossier rose résumant l'essentiel de la pédagogie.
Cette « bible » d'une douzaine de pages est agrémentée de quelques citations qui annoncent la couleur : « Si je diffère de toi, loin de te léser, je t'augmente » (Saint-Exupéry) ; « La compétition, presque toujours sournoise, est destructrice » (Albert Jacquard).
Dans ce document, un autre auteur, moins célèbre, tient pourtant la vedette : un certain Célestin Freinet, le fondateur de la pédagogie du même nom régissant Ange-Guépin, comme une vingtaine d'établissements en France, tous niveaux confondus, de la maternelle au collège. Et que dit ce monsieur qui tenta de révolutionner l'instruction publique dans la première moitié du XXe siècle ? « On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l'école » ; « L'enfant n'aime pas le travail de troupeau
il aime le travail individuel ou le travail d'équipe au sein d'une communauté coopérative. »
Démocratie, communauté, coopérative. Des mots bien lourds de sens pour de si petites épaules, qu'Agnès Jamet, professeur en CP-CE1, assume avec un sourire. « Ici les enfants sont vraiment pris en compte comme des individus, pas comme des sujets auxquels on doit simplement donner un apprentissage. » Certes, voilà de beaux principes, mais dans la pratique ?
« Quoi de neuf ? », pilier de la pédagogie Freinet
Pour le savoir, direction la classe de Patrice Jounot, qui enseigne sur les trois derniers niveaux de l'école primaire : CE2, CM1 et CM2. Nouvelle surprise du matin : pas de sonnerie, ni de cavalcade dans les couloirs, mais des élèves qui passent dans toute l'école en agitant joyeusement des maracas. Calmement, les derniers rejoignent leur place. Ensuite c'est l'heure du fameux « Quoi de neuf ? », pilier de la pédagogie Freinet : les élèves viennent raconter un fait marquant de leur vie, donnant la parole à ceux qui souhaitent poser des questions.
Puis vient le temps du travail
personnel, en classe. Pas de cours magistral mais des ateliers individuels adaptés à chaque élève. Le professeur va de l'un à l'autre, répond à une question ici, souligne une erreur là, ignore volontairement une petite incartade à gauche, remonte quelques bretelles à droite. Jonglant d'un niveau à l'autre, équipé d'une boussole invisible.
L'école est ouverte à tous les enfants dont les parents sont motivés par la démarche, c'est d'ailleurs la seule sélection prévue. Pour le reste, Ange-Guépin est une école publique et gratuite de cinq classes d'une vingtaine d'élèves, classée hors secteur. C'est-à-dire qu'elle n'est pas réservée aux seuls enfants du quartier, qui disposent par ailleurs d'une école primaire traditionnelle à quelques centaines de mètres.
Le conseil de fin de semaine, autre clé de voûte de cette pédagogie
Résultat, la population de la classe (comme de l'école) se décline en trois bataillons : les enfants de la cité voisine, les fils et filles de la bourgeoisie bohème de la région nantaise, et enfin les cas difficiles dont on ne sait pas quoi faire ailleurs. « Nous prenons l'enfant comme il est, et nous le mettons en situation de progresser, en saluant ce qu'il sait faire plutôt qu'en sanctionnant ce qu'il ne sait pas faire », complète Agnès Jamet.
Suite des opérations dans la classe de Patrice Jounot. Un mystérieux ballet s'engage, les enfants vont et viennent, certains partent travailler en bibliothèque sans le contrôle d'un adulte, d'autres s'installent carrément dans le couloir. Même chose à la récréation : les uns sortent jouer, tandis que les autres restent à leur table pour feuilleter un illustré.
« À première vue, on pourrait croire qu'ils font ce qu'ils veulent, s'amuse Patrice Jounot, en réalité c'est une libre circulation très organisée. » Ceux qui sortent sans surveillance ont fait la preuve de leur autonomie, qu'ils peuvent perdre à toute entorse au règlement, mais récupérer au conseil qui a lieu chaque vendredi.
"Plus de règles qu'ailleurs mais elles sont plus intelligentes"
Fameux rendez-vous que ce conseil de fin de semaine, autre clé de voûte de la pédagogie Freinet et véritable exercice de démocratie participative, selon une expression à la mode. Professeurs, élèves, intervenants sont réunis pour relire la semaine ; bons et mauvais points sont distribués aux uns et aux autres, les enseignants n'échappant pas toujours à cette règle.
« Nous nous appliquons les règles à nous-mêmes, poursuit Patrice Jounot, c'est parfois un peu déstabilisant, mais on joue le jeu. C'est d'ailleurs une des raisons qui éloigne beaucoup de professeurs de la pédagogie Freinet : ils n'aiment pas être remis en cause dans leurs pratiques ou leurs attitudes. Que ce soit vis-à-vis des élèves ou vis-à-vis des parents avec lesquels le dialogue est permanent. »
Et les parents justement ? Réponse en fin de journée avec un groupe de mamans bavardant dans la cour ou les classes, sans avoir attendu la sortie devant la porte fermée comme partout ailleurs. Propos saisis au vol : « Ici, il y a plus de règles qu'ailleurs mais elles sont plus intelligentes » ; « Je n'ai jamais regretté les kilomètres que je fais pour déposer mon fils à Ange-Guépin » ; « Ma fille entre en sixième l'année prochaine. Je ne sais pas si elle sera meilleure que les autres, mais je sais qu'elle a été mieux préparée à apprendre »
« Avec d'autres parents nous avons monté une association pour convaincre l'inspection d'académie d'ouvrir un collège Freinet à Nantes, explique encore Nuria Perez-Roblin. Si nous n'étions pas contents, croyez-vous que nous nous donnerions cette peine ? »
Jean-François FOURNEL
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