Une crétoise, âgée de 32 ans, a « volé » jeudi (14/06) dans un supermarché d’Héraklion, trois briques de lait et une glace, causant un préjudice de 20,77 euros à l’enseigne. Depuis plusieurs jours, ses quatre enfants, étaient nourris exclusivement aux pâtes à l’eau. Prise en flagrant délit, la jeune chômeuse a été aussitôt mise en détention. Elle vient d’être libérée aujourd’hui (vendredi 15/06), et la plainte a été finalement retirée, grâce à la mobilisation de l’intersyndicale ouvrière de sa ville et aussi, grâce à la médiatisation de ce fait décidément… pas trop divers.
Jeudi soir, un homme âgé de 55 ans, chômeur… de longue durée, s’est suicidé dans son jardin à Agrinio, au centre du pays, il a utilisé son fusil de chasse. « C’était dans une mare de sang ont affirmé les voisins, choqués » selon le reportage. Ainsi le fait politique sous les « Troïkans » se réalise aussi par la symbolique et la pratique du sang versé. C’est déjà « acquis » dans les mentalités et à travers le syllogisme collectif, les pulsions de mort sont réveillées, thanatos est sur le point de devenir un lien politique. Le regretter n’a plus de sens, nous ferons avec, mais alors comment ?
En Grèce, on retourne encore une fois à l’essentiel, survivre, mourir, verser son sang et (pour l’instant) voter. Donc, la violence exercée sur la société, est en train de légitimer dans les faits, toute violence. Contre soi-même et contre autrui, et ce n’est plus un très grand moment historique dans la reconnaissance et l’appréciation de l’altérité que nous vivons en ce moment. Les attaques indécentes et incessantes (dernière en date, le papier de Franz-Olivier Giesbert au Point « Et si l’on rendait la Grèce à la Turquie… ») stigmatisant les Grecs en tant que nation et les propos humiliants de certains dirigeants politiques en provenance de l’euro-centre, n’arrangent rien.
Heureusement que nous pouvons encore espérer changer notre sort et peut-être bien, contribuer à inspirer le changement chez les autres peuples en Europe, par le vote.
Hier, au très grand meeting Syriza à Athènes, il y avait beaucoup de monde et on sentait une certaine tonalité déjà plus grave que lors du meeting du mois de mai. La vraie gauche est toujours plus consciente et consciencieuse lorsqu’il s’agit d’agir dans la responsabilité gouvernementale, c’est tellement rare d’ailleurs, qu’elle soit vraie et qu’elle puisse accéder au pouvoir gouvernemental.
En interne chez Syriza, l’inquiétude reste de mise, tandis que sa composante se trouvant plus à gauche (Panagiotis Lafazanis et iskra.gr), est très violemment attaquée par les médias du système. Au même moment, l’intervention de François Hollande n’a pas été accueillie dans allégresse, c’est le moins qu’on puisse dire, et un des thèmes abordés à travers la problématique proposée dans un récent billet sur mon blog.
En cheminant (jeudi) vers les quartiers nord d’Athènes, je suis tombé (le verbe est bien approprié) sur le meeting Aube dorée, sous la statue équestre du Maréchal Papagos, vainqueur de la Guerre civile (contre l’armée communiste en 1949), située en face du Ministère de la défense. Je suis resté une dizaine de minutes, c’est difficile de tenir plus longtemps, c’est presque physique, disons.
Effectivement, il s’agirait d’un « groupuscule » nazifiant, mais ce niveau d’analyse est malheureusement dépassé, car sa récente dynamique politique, renvoie à un mouvement en cours de massification. J’ai observé les participants, beaucoup de jeunes, très jeunes, une « sociographie » en somme très populaire, celle des enfants du Pirée, tels rencontrés déjà en automne 2011, tous stagiaires à l’École de la marine marchande, ouvriers-marins au chômage et « Aubedoriens » dans l’âme, déjà. Sous la statue du Maréchal Papagos ce jeudi, s’y trouvèrent également certains hommes âgés (et leurs épouses), visiblement issus des astéroïdes et autres serviteurs… inoubliables du régime des colonels. Ces hommes, portent alors une petite moustache très caractéristique, ils sont habillés pratiquement de la même façon qu’en 1974. Les revoir ainsi, cela nous replonge dans nos souvenirs d’enfance. À l’époque, ces mêmes « messieurs » alors chargés de la sécurité de l’État, notifiaient à domicile, la peur et la mise en déportation chez tous les démocrates de gauche et parfois même de droite. Le style… ne ment pas, décidément.
Sur place, les méta-nazis de l’Aube dorée vendaient de leur camelote, dont les incontournables emblèmes des colonels. Les miliciens de l’organisation jubilaient. Parmi les slogans : « des baffes, des baffes à la lesbienne », « les immigrés dehors », « la Grèce aux Grecs » (ce dernier, était aussi un slogan d’Andréas Papandréou et du… proto-Pasok entre 1974 et 1985). Il n’y a pas à commenter je pense.
Le premier orateur fut Ilias Kasidiaris (le député agresseur de deux élues de gauche sur le plateau de la télévision Ant-1), enfant du Pirée, chimiste (exerçant son métier), spécialiste de la sécurité sanitaire et de la qualité des aliments, moniteur en arts martiaux, ancien parachutiste et… romancier occasionnel. Il a promis de faire de son acte, « une base de l’action politique future et à tout niveau, mieux apte que quiconque, à rencontrer Angela Merkel », une violence que la population semble bien accepter si j’en crois mes oreilles et les autres signaux du temps qui change.
Nous luttons face au « monstre doux » de la financiarisation ainsi que des variantes de l’Oeucumène « TINAliste » qui en découle, mais au même moment, l’extrême droite qui prétend véhiculer une autre forme du rejet de ce même monstre, est portée par les alizés de la mondialisation et s’y prépare à « solutionner » l’énigme, intronisant son propre monstre. La tâche de l’Aube dorée est plus facile que celle de la gauche, car il n’y a pratiquement rien à faire par ces temps de crise, en Grèce cela crève les yeux. Syriza, la gauche (la méta-gauche et tous ceux qui se sentent concernés), humanistes des Lumières et humanistes tout court, nous devons accomplir presque un miracle : le réveil culturel et philosophique à grande échelle. Ce n’est pas évident.
Nous y songerons lundi 18 juin, dès l’aube. Mais aujourd’hui, nous avons aussi une pensée pour Manos Hadjidakis, il est mort le 15 juin 1994. Il avait composé « Les Enfants du Pirée »
Source : Paul Jorion
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les messages anonymes ne seront pas publier