LA POROSITE DE NOS SOCIETES
AUX IDEES FASCISTES !
« La différence majeure avec les années 1930, écrit Annie Collovald, est qu’il n’est plus besoin d’une montée des « extrêmes » pour qu’une radicalisation aux extrêmes se produise.
« En témoigne le travail d’inculcation idéologique opéré non seulement par le FN depuis 1984 et son entrée sur la scène politique nationale, mais aussi par les autres partis politiques de gauche et de droite quand, chacun à sa façon, ils ont repris dans leurs programmes et dans leurs prises de positions publiques les thèmes défendus par le FN — sécurité, lutte contre l’immigration — et les ont inscrits en préoccupations centrales de la lutte politique. »
Là n'est pas la seule thèse avancée par Annie Collovald.
Mais celle-là suffirait à coup sûr à justifier nos fortes préoccupations. J'ai déjà eu, pour ma part, l'occasion de mettre en évidence ces évolutions des régimes capitalistes, et donc pas seulement en France.
M .P.
Entretien avec Annie Collovald (entretien réalisé par Yannick Sédov)
Le fascisme, antithèse de la démocratie ? Malheureusement, rien n’est moins sûr. S’il y a indiscutablement une vieille haine de la démocratie du côté des droites radicales, haine que leur acclimatation au jeu électoral n’a pas éteinte, il y a aussi — c’est plus inquiétant encore — une porosité accrue des démocraties libérales à des discours et à des pratiques qui ne sont plus le propre de l’extrême droite. Le loup est désormais dans la bergerie. Annie Collovald examine les portes par lesquelles on l’a laissé entrer.
En France, en Italie ou dans des pays de l’Est de l’Europe se développent des pratiques politiques et des comportements qui ne sont pas sans rappeler les années 1930 : dégradation et violence du langage politique, désignation de l’étranger comme bouc émissaire, pratiques autoritaires… Cette comparaison avec les années 1930 vous semble-t-elle pertinente ?
La comparaison avec les années 1930 s’impose en effet d’emblée ; elle a, me semble-t-il, quelque pertinence, mais sous plusieurs conditions.
Parler de « renouveau du fascisme » ou qualifier de fasciste le FN (ou certains élus de droite) est problématique pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui.
En tant qu’étiquette, la qualification de fasciste peut avoir une certaine efficacité dans la lutte politique : d’abord parce qu’elle est véritablement disqualifiante ; ensuite parce qu’elle n’est guère ré-appropriable (du moins pour le moment) par ceux qu’elle désigne.
Se déclarer fasciste n’est guère envisageable à l’inverse de ce qui s’est produit avec le terme de populisme par exemple. Le FN a revendiqué très vite, dès le milieu des années 1990, l’identité de populisme et a trouvé là un très bon moyen de reclassement pour redorer son blason et faire oublier l’identité beaucoup plus insupportable de fasciste et d’extrême droite qui le qualifiait précédemment.
Il a d’ailleurs pu d’autant mieux opérer ce retournement symbolique visant à se désigner comme le « parti du peuple » que les groupes populaires étaient montrés comme voués à tous les errements politiques et moraux et qu’ils trouvaient de moins en moins (à la différence des années 1960-1970) de structures collectives assurant leur défense, qu’ils étaient délaissés jusque dans le vocabulaire employé par les hommes politiques.
Le FN est alors l’une des seules organisations à oser proclamer haut et fort qu’elle parle au peuple, à utiliser des mots vieillis et archaïques comme « ouvriers » ou « chômeurs ». Si l’on veut stigmatiser, susciter l’indignation, alerter sur les dérives que connaît la démocratie, le mot de fascisme peut être utile.
Il risque cependant de fonctionner comme un concept écran si l’on veut comprendre la situation présente. On pourrait dire en effet (et la comparaison sert à faire apparaître les différences) qu’à la différence de la conjoncture des années 1930, il n’y a plus besoin de la solution fasciste pour faire advenir des idées et des pratiques contraires aux idéaux de la démocratie : la justice, la tolérance, l’égalité, le pluralisme.
Comme le rappelait Georges Orwell au sortir de la Seconde Guerre mondiale, « lorsque les fascistes reviendront, ils auront le parapluie bien roulé sous le bras et le chapeau melon ». Il indiquait par là, me semble-t-il, que le déloyalisme à l’égard de la démocratie peut prendre des visages différents selon les conjonctures et peut être porté par des acteurs respectant les convenances de façade.
Sous cet angle, le recours à la violence de rue, l’affichage de marques distinctives (crâne rasé, chemise noire, croix gammée) et d’un racisme brutal dans les discours et les pratiques n’a plus besoin d’avoir cours et d’être promu par des acteurs « marginaux ». Il suffit de laisser faire les acteurs centraux de la politique, les délibérations parlementaires et gouvernementales — de laisser faire, en quelque sorte, la compétition politique telle qu’elle se joue depuis une vingtaine d’années.
Un des apports de l’analyse de Michel Dobry, dans l’ouvrage qu’il a dirigé sur le « mythe de l’allergie française au fascisme » [1], est d’avoir attiré l’attention sur ce point. La réussite du fascisme ne dépend pas des seuls fascistes (les plus visibles et les plus reconnaissables), mais des compromis, transactions, relations établis avec les autres compétiteurs politiques.
Du coup, il invite à penser qu’il peut y avoir des transformations qui s’opèrent dans le cours même de la lutte politique et du jeu ordinaire des concurrences politiques et qui, en modifiant l’offre politique, entraînent une dégradation des idéaux et des principes démocratiques.
Les sociétés les plus formellement démocratiques peuvent se détourner des valeurs dans lesquelles elles se reconnaissent sous l’effet de la dynamique de compétition propre aux élites politiques : elles peuvent ainsi se révéler autoritaires sans emprunter la forme convenue de l’autoritarisme prêté au FN par exemple, et en se conformant aux procédures officiellement démocratiques.
Doit-on parler d’un renouveau du fascisme, ou de sa continuité ?
La différence majeure avec les années 1930 est qu’il n’est plus besoin d’une montée des « extrêmes » pour qu’une radicalisation aux extrêmes se produise.
En témoigne le travail d’inculcation idéologique opéré non seulement par le FN depuis 1984 et son entrée sur la scène politique nationale, mais aussi par les autres partis politiques de gauche et de droite quand, chacun à sa façon, ils ont repris dans leurs programmes et dans leurs prises de positions publiques les thèmes défendus par le FN — sécurité, lutte contre l’immigration — et les ont inscrits en préoccupations centrales de la lutte politique.
Les politiques actuelles en sont certes l’illustration : néolibéralisme à tout crin se traduisant par des licenciements, fermetures d’usines, délocalisations, humiliations ; lutte contre les « flux migratoires » avec son lot de camps de rétention, renvois forcés par charters (et par bateaux maintenant ?), criminalisation de l’action collective et de l’action syndicale…
La liste pourrait être continuée encore notamment dans ces jeux de contournement du droit ou de « déjudiciarisation » des règles démocratiques opérés aux sommets de l’État. Mais ces politiques ne sont possibles et pensables que parce que la configuration et les règles du jeu politique ont changé sous l’effet d’un glissement à droite de l’ensemble du champ politique, d’une forte réorientation sur les enjeux électoraux et d’une modification dans les discours politiques.
Les intérêts sociaux concrets tendent, par exemple, à devenir invisibles dans les débats et discours politiques. On parle ainsi du chômage et non des chômeurs, de l’emploi et non du travail, de la sécurité sociale — et de son « gouffre » — et non des malades ou des accidentés du travail et de la vie.
En quelque sorte, les catégories de pensée politiques et bureaucratiques sont prises pour les réalités qui concernent tout un chacun (et plus encore les groupes sociaux les plus défavorisés) dans la vie de tous les jours.
Une telle « abstraction » de la réalité sociale renvoie pour une part aux formes actuelles du jeu politique telles que les a mises en évidence l’élection présidentielle de 2007. Les hommes politiques (et leur entourage) sont désormais persuadés qu’une campagne électorale doit d’abord mobiliser les commentateurs et non les électeurs — leur opinion ou les « opinions manifestantes » comptant moins que celle de ceux qui « font l’opinion ». Leur principal « terrain » à travailler est un « terrain de papier » : faire la Une, dépasser dans les sondages le concurrent le plus proche. Vivant cette continuelle « course de chevaux » sur le mode de la prouesse personnelle, ils voient dans les enquêtes d’opinion autant de victoires électives, et dans l’élection un sondage grandeur nature.
Plutôt que de chercher des solutions aux problèmes sociaux qui composent la trame des vies ordinaires, ils se réfugient dans un « entre-soi » réconfortant : relations étroites avec les professionnels de la représentation (hommes politiques, conseillers, sondeurs, journalistes) recrutés dans les classes supérieures ; conception commune de ce que doivent être un « bon cheval politique » et une bonne campagne.
Un tel type de compétition politique ouvre sur un zapping programmatique incessant et sur des rhétoriques qui confinent au cynisme dès lors que la seule réalité sociale qui mérite d’être prise en charge et retraduite est celle qui occupe les Unes des sondages ou de la presse, et les conversations en ville. Les sujets de société défendus le sont moins pour eux-mêmes (et pour les projets qu’ils véhiculent) que pour le bruit médiatique qu’ils vont déclencher et par lequel se fera la différence.
Le thème de l’identité nationale et de l’immigration (ou celui aujourd’hui de « l’islam » ou de la laïcité) fournit un triste exemple, justement, de cette mise en avant d’un thème entrevu comme rentable électoralement.
Énième avatar d’un nationalisme de droite et d’extrême droite apparu dans les années 1930, il a constitué une stratégie de scandalisation mûrement réfléchie par M. Sarkozy - à l’instar de M. Le Pen, modèle en la matière — au mépris des conséquences qu’elle pouvait avoir, notamment en termes de légitimation de discours racistes : ceux que l’on a entendu sans grand étonnement et bien plutôt dans la bouche plutôt d’élus — locaux et nationaux — que dans la bouche des membres des groupes populaires puisqu’ils ont été, sans grand étonnement non plus, absents de ces « débats ».
Seules comptent ainsi les « reprises » escomptées qui, en encombrant tous les espaces de discussion, font parler de l’homme politique avec cette particularité de montrer la droite comme ayant simultanément du cœur et du « pragmatisme » : la chasse aux clandestins viserait ainsi à défendre les immigrés eux-mêmes contre les « marchands de sommeil » et contre les passeurs qui « exploitent la détresse » des malheureux.
À ce stade, les mots deviennent détachés non seulement de la réalité qu’ils devraient traduire, mais aussi des convictions de ceux qui les disent. On a affaire ainsi à une sorte de novlangue continuellement électorale, qui rejoint ce que décrivent Victor Klemperer ou Jean-Paul Faye à propos de la langue du totalitarisme : le pouvoir des mots à créer l’injustice en travestissant leur sens ordinaire et en colonisant les mentalités.
Pour preuve, un ministère de l’Identité nationale a été créé, mais visiblement ceux qui l’ont créé ne savaient pas à quoi il correspondait puisqu’ils ont lancé ensuite des « débats » devant selon eux apporter des lumières sur ce qu’est l’identité nationale ! Si je comprends bien, ils ont donné une existence officielle et institutionnelle à quelque chose qui, même à leurs yeux, était un « truc » sans grande consistance.
C’est pour le moins inquiétant comme mode de fonctionnement puisque cela suggère qu’ils ne réussissent plus à distinguer leurs fantasmes et la réalité et qu’il n’y a aucune raison de supposer qu’il n’en est pas de même pour d’autres ministères et d’autres politiques publiques…
C’est aussi inquiétant en termes de levée des censures et d’autorisation à tenir des propos qui hier auraient été impensables dans la bouche de responsables de l’État.
L’une des caractéristiques de la configuration politique des années 1930 était le flou des frontières entre les courants politiques d’extrême droite et de droite. Les individus pouvaient passer de l’un à l’autre assez facilement ; il en était de même pour les thèmes idéologiques. On a le sentiment que le principe, hérité du gaullisme que vous avez étudié, d’une frontière étanche entre la droite et l’extrême droite, a de nouveau disparu…
La nouveauté ne réside pas dans le fait que la frontière qui était établie entre droite et extrême droite est en train de s’abaisser. Cela fait quand même longtemps que c’est le cas : les Longuet, Villiers, Madelin, sont passés au parti républicain dans les années 1970, sous Giscard. Le Club de l’horloge s’est crée dans ces mêmes années 1970 comme lieu de rencontre entre droite et extrême droite. Les passages d’un parti à l’autre et la circulation des idées n’ont donc rien de neuf.
Mais il y avait une barrière symbolique qui empêchait de l’afficher de manière visible et revendiquée. Il y avait des discours de principe refusant les alliances ou connivences avec le FN.
Ces prises de position, même symboliques, étaient très importantes (songeons à Jacques Chirac refusant hautement toute relation avec le Front national). Reste que sur le plan local des alliances étaient possibles : ce fut le cas, par exemple, à Dreux en 1983, ou lors des régionales de 1998. Mais elles étaient désavouées officiellement par les responsables nationaux et souvent entraînaient l’exclusion du parti.
La donne a changé de ce point de vue ; s’il y a rappels à l’ordre, ils sont prononcés du bout des lèvres et sans effet pratique… C’est sans doute lié à ce que j’ai dit plus haut sur le jeu de zapping électoral qui défait tous les principes idéologiques et programmatiques. C’est lié aussi à la transformation qui s’est opérée dans le recrutement du personnel parlementaire et des responsables de l’UMP.
Il faudrait faire des analyses plus précises, mais il y a, me semble-t-il, une montée des cadres du privé et un étiolement des hauts fonctionnaires ou des cadres du public (qui formaient le vivier principal de recrutement des gaullistes).
Quoi qu’on pense de l’ENA et de l’évolution des formations au sein de cette école, elle n’en était pas moins une instance de socialisation à l’État et au service public.
Que Sarkozy soit un avocat d’affaires n’est pas je crois sans importance (et marque une différence avec Villepin). Il incarne parfaitement la recomposition sociale de la droite et sa distance au service public et aux institutions aussi bien dans les manières de penser que dans les façons de faire : les règles de droit sont faites pour être contournées, l’État et ses fonctionnaires sont encombrants, la rationalité de l’action publique est celle du « coup d’éclat » ou du désir du prince, ce qui se traduit par le démantèlement des services publics et la suppression de tous les services de proximité (poste, écoles, hôpitaux, services sociaux, police).
Pas sûr, ensuite, que le parler et le penser vulgaires, sans compter le vaudeville comme storytelling, le « fait du prince » comme conduite politique et les considérations pour les « importants », manifestent un sens de l’institution présidentielle !
Selon l’historiographie classique, la participation à la compétition électorale, particulièrement quand elle se solde par des succès, affadirait la radicalité anti-système : plus on gagnerait des voix, moins on serait d’extrême droite. Cette thèse résiste-t-elle à l’étude du Front national que vous avez menée ?
Cette thèse manifeste une vision très rassurante des choses qui d’une certaine façon disculpe le jeu démocratique (et ceux qui y participent) de la production du pire ou d’un monstre.
Elle repose sur une conception purement formelle ou normative de la démocratie et fait des élections le moment central et unique où se joue son avenir : la définition de la démocratie ne se jouerait pas dès lors dans les transactions et compromis politiques, dans les réappropriations par des acteurs centraux de manières de dire, de penser et de faire venues de secteurs quelque peu réfractaires aux règles du jeu démocratique.
Elle incite aussi à chercher l’explication des comportements ou des phénomènes politiques dans les « valeurs » ou les « idées politiques » proclamées, et non dans les pratiques sociales et politiques concrètes.
Il y aurait pourtant des profits de connaissance à examiner ces pratiques : l’image du FN en ressortirait moins « pacifiée ». À l’inverse des poujadistes par exemple, les porte-parole frontistes sont des professionnels de la politique, aguerris aux règles du jeu démocratique et experts en pratiques anti-démocratiques. Les mêmes qui ont candidaté aux élections et réussi, pour certains, à être élus, ont un long passé de militants dans des groupes radicaux.
Les représentants de la nouvelle génération (Marine Le Pen en tête) sont eux aussi des « vieux » militants au sein du FN dont ils maîtrisent à la fois la ligne idéologique et l’orientation tactique. Ils ont appris à participer aux luttes internes dont le règlement se joue sur le terrain idéologique et tactique.
Dans l’histoire de l’extrême droite depuis les années 1950 et celle du FN depuis 1972, les débats internes ont toujours porté sur la meilleure façon de réussir à diffuser, dans le champ politique, des idées radicales. L’enjeu n’a jamais été d’atténuer ou d’abandonner le projet hostile à la démocratie, mais de définir une ligne tactique permettant de le faire passer et accepter le plus largement possible, quitte à user de faux semblants.
La voie électorale était par exemple défendue par J.M. Le Pen en 1972… Elle n’était pas chez lui un signe d’apaisement d’une hostilité ancienne à la démocratie, mais une contrainte tactique imposée par le ratage passé de certaines solutions (comme les attentats violents de l’OAS, épisode vécu personnellement par un certain nombre de dirigeants du FN).
Il n’y a pas de raisons de penser que cela ait changé aujourd’hui. Ils sont habitués à faire « de la politique une lutte sémantique », comme le déclarait B. Gollnisch en 1996, et sont spécialisés dans le jeu sur le dicible et l’indicible mêlant l’efficacité de la parole avec l’innocence du non-dit : lorsque B. Mégret, par exemple, en appelait à la « libre recherche historique » il fallait entendre la liberté d’expression pour les négationnistes….
S’arrêter à la « façade » présentée par les dirigeants frontistes est ainsi très périlleux, mieux vaut examiner ses pratiques plutôt que ses discours (ou sa participation aux élections). Contrairement aux conclusion hâtives qui le montrent « populaire » à la base (ce qui est faux) et « notabilisé » aux sommets au prétexte qu’il a accepté de se plier au jeu électoral, le FN continue à travailler une radicalité dont il n’a pas refusé l’héritage (voir les prises de positions extrêmistes de ses députés de 1986 à 1988 : la « croisade anti-sida » du médecin François Bachelot ; « l’accouplement des pervers de l’Éducation nationale et des ratés de l’enseignement » de l’universitaire Jean-Claude Martinez).
Le FN n’est pas ainsi notable ou bien radical : il est les deux à la fois. Cela lui permet un double jeu sur et avec les règles démocratiques. Et cela lui offre aussi un répertoire d’action et de justification bien plus ouvert qu’il n’y paraît et surtout bien plus corrosif sur les croyances démocratiques selon lesquelles le recours au suffrage universel apprivoiserait à la démocratie.
Le précédent du nazisme suffirait pourtant à rappeler qu’il n’en est rien. Son arrivée au pouvoir s’est faite par la voie légale et s’il a maintenu quelque temps les élections, cela n’a pas altéré sa radicalité, bien au contraire.$*
Annie Collovald est professeure de sociologie politique à l’Université de Nantes/CENS. Elle est l’auteure, notamment de Le « populisme du FN » : un dangereux contresens, Bellecombe-en-Bauge, Ed. du Croquant, 2004.Jacques Chirac et le gaullisme. Biographie d’un héritier à histoires, Paris, Belin, en poche, 2010.
Le fascisme, antithèse de la démocratie ? Malheureusement, rien n’est moins sûr. S’il y a indiscutablement une vieille haine de la démocratie du côté des droites radicales, haine que leur acclimatation au jeu électoral n’a pas éteinte, il y a aussi — c’est plus inquiétant encore — une porosité accrue des démocraties libérales à des discours et à des pratiques qui ne sont plus le propre de l’extrême droite. Le loup est désormais dans la bergerie. Annie Collovald examine les portes par lesquelles on l’a laissé entrer.
En France, en Italie ou dans des pays de l’Est de l’Europe se développent des pratiques politiques et des comportements qui ne sont pas sans rappeler les années 1930 : dégradation et violence du langage politique, désignation de l’étranger comme bouc émissaire, pratiques autoritaires… Cette comparaison avec les années 1930 vous semble-t-elle pertinente ?
La comparaison avec les années 1930 s’impose en effet d’emblée ; elle a, me semble-t-il, quelque pertinence, mais sous plusieurs conditions.
Parler de « renouveau du fascisme » ou qualifier de fasciste le FN (ou certains élus de droite) est problématique pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui.
En tant qu’étiquette, la qualification de fasciste peut avoir une certaine efficacité dans la lutte politique : d’abord parce qu’elle est véritablement disqualifiante ; ensuite parce qu’elle n’est guère ré-appropriable (du moins pour le moment) par ceux qu’elle désigne.
Se déclarer fasciste n’est guère envisageable à l’inverse de ce qui s’est produit avec le terme de populisme par exemple. Le FN a revendiqué très vite, dès le milieu des années 1990, l’identité de populisme et a trouvé là un très bon moyen de reclassement pour redorer son blason et faire oublier l’identité beaucoup plus insupportable de fasciste et d’extrême droite qui le qualifiait précédemment.
Il a d’ailleurs pu d’autant mieux opérer ce retournement symbolique visant à se désigner comme le « parti du peuple » que les groupes populaires étaient montrés comme voués à tous les errements politiques et moraux et qu’ils trouvaient de moins en moins (à la différence des années 1960-1970) de structures collectives assurant leur défense, qu’ils étaient délaissés jusque dans le vocabulaire employé par les hommes politiques.
Le FN est alors l’une des seules organisations à oser proclamer haut et fort qu’elle parle au peuple, à utiliser des mots vieillis et archaïques comme « ouvriers » ou « chômeurs ». Si l’on veut stigmatiser, susciter l’indignation, alerter sur les dérives que connaît la démocratie, le mot de fascisme peut être utile.
Il risque cependant de fonctionner comme un concept écran si l’on veut comprendre la situation présente. On pourrait dire en effet (et la comparaison sert à faire apparaître les différences) qu’à la différence de la conjoncture des années 1930, il n’y a plus besoin de la solution fasciste pour faire advenir des idées et des pratiques contraires aux idéaux de la démocratie : la justice, la tolérance, l’égalité, le pluralisme.
Comme le rappelait Georges Orwell au sortir de la Seconde Guerre mondiale, « lorsque les fascistes reviendront, ils auront le parapluie bien roulé sous le bras et le chapeau melon ». Il indiquait par là, me semble-t-il, que le déloyalisme à l’égard de la démocratie peut prendre des visages différents selon les conjonctures et peut être porté par des acteurs respectant les convenances de façade.
Sous cet angle, le recours à la violence de rue, l’affichage de marques distinctives (crâne rasé, chemise noire, croix gammée) et d’un racisme brutal dans les discours et les pratiques n’a plus besoin d’avoir cours et d’être promu par des acteurs « marginaux ». Il suffit de laisser faire les acteurs centraux de la politique, les délibérations parlementaires et gouvernementales — de laisser faire, en quelque sorte, la compétition politique telle qu’elle se joue depuis une vingtaine d’années.
Un des apports de l’analyse de Michel Dobry, dans l’ouvrage qu’il a dirigé sur le « mythe de l’allergie française au fascisme » [1], est d’avoir attiré l’attention sur ce point. La réussite du fascisme ne dépend pas des seuls fascistes (les plus visibles et les plus reconnaissables), mais des compromis, transactions, relations établis avec les autres compétiteurs politiques.
Du coup, il invite à penser qu’il peut y avoir des transformations qui s’opèrent dans le cours même de la lutte politique et du jeu ordinaire des concurrences politiques et qui, en modifiant l’offre politique, entraînent une dégradation des idéaux et des principes démocratiques.
Les sociétés les plus formellement démocratiques peuvent se détourner des valeurs dans lesquelles elles se reconnaissent sous l’effet de la dynamique de compétition propre aux élites politiques : elles peuvent ainsi se révéler autoritaires sans emprunter la forme convenue de l’autoritarisme prêté au FN par exemple, et en se conformant aux procédures officiellement démocratiques.
Doit-on parler d’un renouveau du fascisme, ou de sa continuité ?
La différence majeure avec les années 1930 est qu’il n’est plus besoin d’une montée des « extrêmes » pour qu’une radicalisation aux extrêmes se produise.
En témoigne le travail d’inculcation idéologique opéré non seulement par le FN depuis 1984 et son entrée sur la scène politique nationale, mais aussi par les autres partis politiques de gauche et de droite quand, chacun à sa façon, ils ont repris dans leurs programmes et dans leurs prises de positions publiques les thèmes défendus par le FN — sécurité, lutte contre l’immigration — et les ont inscrits en préoccupations centrales de la lutte politique.
Les politiques actuelles en sont certes l’illustration : néolibéralisme à tout crin se traduisant par des licenciements, fermetures d’usines, délocalisations, humiliations ; lutte contre les « flux migratoires » avec son lot de camps de rétention, renvois forcés par charters (et par bateaux maintenant ?), criminalisation de l’action collective et de l’action syndicale…
La liste pourrait être continuée encore notamment dans ces jeux de contournement du droit ou de « déjudiciarisation » des règles démocratiques opérés aux sommets de l’État. Mais ces politiques ne sont possibles et pensables que parce que la configuration et les règles du jeu politique ont changé sous l’effet d’un glissement à droite de l’ensemble du champ politique, d’une forte réorientation sur les enjeux électoraux et d’une modification dans les discours politiques.
Les intérêts sociaux concrets tendent, par exemple, à devenir invisibles dans les débats et discours politiques. On parle ainsi du chômage et non des chômeurs, de l’emploi et non du travail, de la sécurité sociale — et de son « gouffre » — et non des malades ou des accidentés du travail et de la vie.
En quelque sorte, les catégories de pensée politiques et bureaucratiques sont prises pour les réalités qui concernent tout un chacun (et plus encore les groupes sociaux les plus défavorisés) dans la vie de tous les jours.
Une telle « abstraction » de la réalité sociale renvoie pour une part aux formes actuelles du jeu politique telles que les a mises en évidence l’élection présidentielle de 2007. Les hommes politiques (et leur entourage) sont désormais persuadés qu’une campagne électorale doit d’abord mobiliser les commentateurs et non les électeurs — leur opinion ou les « opinions manifestantes » comptant moins que celle de ceux qui « font l’opinion ». Leur principal « terrain » à travailler est un « terrain de papier » : faire la Une, dépasser dans les sondages le concurrent le plus proche. Vivant cette continuelle « course de chevaux » sur le mode de la prouesse personnelle, ils voient dans les enquêtes d’opinion autant de victoires électives, et dans l’élection un sondage grandeur nature.
Plutôt que de chercher des solutions aux problèmes sociaux qui composent la trame des vies ordinaires, ils se réfugient dans un « entre-soi » réconfortant : relations étroites avec les professionnels de la représentation (hommes politiques, conseillers, sondeurs, journalistes) recrutés dans les classes supérieures ; conception commune de ce que doivent être un « bon cheval politique » et une bonne campagne.
Un tel type de compétition politique ouvre sur un zapping programmatique incessant et sur des rhétoriques qui confinent au cynisme dès lors que la seule réalité sociale qui mérite d’être prise en charge et retraduite est celle qui occupe les Unes des sondages ou de la presse, et les conversations en ville. Les sujets de société défendus le sont moins pour eux-mêmes (et pour les projets qu’ils véhiculent) que pour le bruit médiatique qu’ils vont déclencher et par lequel se fera la différence.
Le thème de l’identité nationale et de l’immigration (ou celui aujourd’hui de « l’islam » ou de la laïcité) fournit un triste exemple, justement, de cette mise en avant d’un thème entrevu comme rentable électoralement.
Énième avatar d’un nationalisme de droite et d’extrême droite apparu dans les années 1930, il a constitué une stratégie de scandalisation mûrement réfléchie par M. Sarkozy - à l’instar de M. Le Pen, modèle en la matière — au mépris des conséquences qu’elle pouvait avoir, notamment en termes de légitimation de discours racistes : ceux que l’on a entendu sans grand étonnement et bien plutôt dans la bouche plutôt d’élus — locaux et nationaux — que dans la bouche des membres des groupes populaires puisqu’ils ont été, sans grand étonnement non plus, absents de ces « débats ».
Seules comptent ainsi les « reprises » escomptées qui, en encombrant tous les espaces de discussion, font parler de l’homme politique avec cette particularité de montrer la droite comme ayant simultanément du cœur et du « pragmatisme » : la chasse aux clandestins viserait ainsi à défendre les immigrés eux-mêmes contre les « marchands de sommeil » et contre les passeurs qui « exploitent la détresse » des malheureux.
À ce stade, les mots deviennent détachés non seulement de la réalité qu’ils devraient traduire, mais aussi des convictions de ceux qui les disent. On a affaire ainsi à une sorte de novlangue continuellement électorale, qui rejoint ce que décrivent Victor Klemperer ou Jean-Paul Faye à propos de la langue du totalitarisme : le pouvoir des mots à créer l’injustice en travestissant leur sens ordinaire et en colonisant les mentalités.
Pour preuve, un ministère de l’Identité nationale a été créé, mais visiblement ceux qui l’ont créé ne savaient pas à quoi il correspondait puisqu’ils ont lancé ensuite des « débats » devant selon eux apporter des lumières sur ce qu’est l’identité nationale ! Si je comprends bien, ils ont donné une existence officielle et institutionnelle à quelque chose qui, même à leurs yeux, était un « truc » sans grande consistance.
C’est pour le moins inquiétant comme mode de fonctionnement puisque cela suggère qu’ils ne réussissent plus à distinguer leurs fantasmes et la réalité et qu’il n’y a aucune raison de supposer qu’il n’en est pas de même pour d’autres ministères et d’autres politiques publiques…
C’est aussi inquiétant en termes de levée des censures et d’autorisation à tenir des propos qui hier auraient été impensables dans la bouche de responsables de l’État.
L’une des caractéristiques de la configuration politique des années 1930 était le flou des frontières entre les courants politiques d’extrême droite et de droite. Les individus pouvaient passer de l’un à l’autre assez facilement ; il en était de même pour les thèmes idéologiques. On a le sentiment que le principe, hérité du gaullisme que vous avez étudié, d’une frontière étanche entre la droite et l’extrême droite, a de nouveau disparu…
La nouveauté ne réside pas dans le fait que la frontière qui était établie entre droite et extrême droite est en train de s’abaisser. Cela fait quand même longtemps que c’est le cas : les Longuet, Villiers, Madelin, sont passés au parti républicain dans les années 1970, sous Giscard. Le Club de l’horloge s’est crée dans ces mêmes années 1970 comme lieu de rencontre entre droite et extrême droite. Les passages d’un parti à l’autre et la circulation des idées n’ont donc rien de neuf.
Mais il y avait une barrière symbolique qui empêchait de l’afficher de manière visible et revendiquée. Il y avait des discours de principe refusant les alliances ou connivences avec le FN.
Ces prises de position, même symboliques, étaient très importantes (songeons à Jacques Chirac refusant hautement toute relation avec le Front national). Reste que sur le plan local des alliances étaient possibles : ce fut le cas, par exemple, à Dreux en 1983, ou lors des régionales de 1998. Mais elles étaient désavouées officiellement par les responsables nationaux et souvent entraînaient l’exclusion du parti.
La donne a changé de ce point de vue ; s’il y a rappels à l’ordre, ils sont prononcés du bout des lèvres et sans effet pratique… C’est sans doute lié à ce que j’ai dit plus haut sur le jeu de zapping électoral qui défait tous les principes idéologiques et programmatiques. C’est lié aussi à la transformation qui s’est opérée dans le recrutement du personnel parlementaire et des responsables de l’UMP.
Il faudrait faire des analyses plus précises, mais il y a, me semble-t-il, une montée des cadres du privé et un étiolement des hauts fonctionnaires ou des cadres du public (qui formaient le vivier principal de recrutement des gaullistes).
Quoi qu’on pense de l’ENA et de l’évolution des formations au sein de cette école, elle n’en était pas moins une instance de socialisation à l’État et au service public.
Que Sarkozy soit un avocat d’affaires n’est pas je crois sans importance (et marque une différence avec Villepin). Il incarne parfaitement la recomposition sociale de la droite et sa distance au service public et aux institutions aussi bien dans les manières de penser que dans les façons de faire : les règles de droit sont faites pour être contournées, l’État et ses fonctionnaires sont encombrants, la rationalité de l’action publique est celle du « coup d’éclat » ou du désir du prince, ce qui se traduit par le démantèlement des services publics et la suppression de tous les services de proximité (poste, écoles, hôpitaux, services sociaux, police).
Pas sûr, ensuite, que le parler et le penser vulgaires, sans compter le vaudeville comme storytelling, le « fait du prince » comme conduite politique et les considérations pour les « importants », manifestent un sens de l’institution présidentielle !
Selon l’historiographie classique, la participation à la compétition électorale, particulièrement quand elle se solde par des succès, affadirait la radicalité anti-système : plus on gagnerait des voix, moins on serait d’extrême droite. Cette thèse résiste-t-elle à l’étude du Front national que vous avez menée ?
Cette thèse manifeste une vision très rassurante des choses qui d’une certaine façon disculpe le jeu démocratique (et ceux qui y participent) de la production du pire ou d’un monstre.
Elle repose sur une conception purement formelle ou normative de la démocratie et fait des élections le moment central et unique où se joue son avenir : la définition de la démocratie ne se jouerait pas dès lors dans les transactions et compromis politiques, dans les réappropriations par des acteurs centraux de manières de dire, de penser et de faire venues de secteurs quelque peu réfractaires aux règles du jeu démocratique.
Elle incite aussi à chercher l’explication des comportements ou des phénomènes politiques dans les « valeurs » ou les « idées politiques » proclamées, et non dans les pratiques sociales et politiques concrètes.
Il y aurait pourtant des profits de connaissance à examiner ces pratiques : l’image du FN en ressortirait moins « pacifiée ». À l’inverse des poujadistes par exemple, les porte-parole frontistes sont des professionnels de la politique, aguerris aux règles du jeu démocratique et experts en pratiques anti-démocratiques. Les mêmes qui ont candidaté aux élections et réussi, pour certains, à être élus, ont un long passé de militants dans des groupes radicaux.
Les représentants de la nouvelle génération (Marine Le Pen en tête) sont eux aussi des « vieux » militants au sein du FN dont ils maîtrisent à la fois la ligne idéologique et l’orientation tactique. Ils ont appris à participer aux luttes internes dont le règlement se joue sur le terrain idéologique et tactique.
Dans l’histoire de l’extrême droite depuis les années 1950 et celle du FN depuis 1972, les débats internes ont toujours porté sur la meilleure façon de réussir à diffuser, dans le champ politique, des idées radicales. L’enjeu n’a jamais été d’atténuer ou d’abandonner le projet hostile à la démocratie, mais de définir une ligne tactique permettant de le faire passer et accepter le plus largement possible, quitte à user de faux semblants.
La voie électorale était par exemple défendue par J.M. Le Pen en 1972… Elle n’était pas chez lui un signe d’apaisement d’une hostilité ancienne à la démocratie, mais une contrainte tactique imposée par le ratage passé de certaines solutions (comme les attentats violents de l’OAS, épisode vécu personnellement par un certain nombre de dirigeants du FN).
Il n’y a pas de raisons de penser que cela ait changé aujourd’hui. Ils sont habitués à faire « de la politique une lutte sémantique », comme le déclarait B. Gollnisch en 1996, et sont spécialisés dans le jeu sur le dicible et l’indicible mêlant l’efficacité de la parole avec l’innocence du non-dit : lorsque B. Mégret, par exemple, en appelait à la « libre recherche historique » il fallait entendre la liberté d’expression pour les négationnistes….
S’arrêter à la « façade » présentée par les dirigeants frontistes est ainsi très périlleux, mieux vaut examiner ses pratiques plutôt que ses discours (ou sa participation aux élections). Contrairement aux conclusion hâtives qui le montrent « populaire » à la base (ce qui est faux) et « notabilisé » aux sommets au prétexte qu’il a accepté de se plier au jeu électoral, le FN continue à travailler une radicalité dont il n’a pas refusé l’héritage (voir les prises de positions extrêmistes de ses députés de 1986 à 1988 : la « croisade anti-sida » du médecin François Bachelot ; « l’accouplement des pervers de l’Éducation nationale et des ratés de l’enseignement » de l’universitaire Jean-Claude Martinez).
Le FN n’est pas ainsi notable ou bien radical : il est les deux à la fois. Cela lui permet un double jeu sur et avec les règles démocratiques. Et cela lui offre aussi un répertoire d’action et de justification bien plus ouvert qu’il n’y paraît et surtout bien plus corrosif sur les croyances démocratiques selon lesquelles le recours au suffrage universel apprivoiserait à la démocratie.
Le précédent du nazisme suffirait pourtant à rappeler qu’il n’en est rien. Son arrivée au pouvoir s’est faite par la voie légale et s’il a maintenu quelque temps les élections, cela n’a pas altéré sa radicalité, bien au contraire.$*
Annie Collovald est professeure de sociologie politique à l’Université de Nantes/CENS. Elle est l’auteure, notamment de Le « populisme du FN » : un dangereux contresens, Bellecombe-en-Bauge, Ed. du Croquant, 2004.Jacques Chirac et le gaullisme. Biographie d’un héritier à histoires, Paris, Belin, en poche, 2010.
[1] Michel Dobry (dir.), Le Mythe de l’allergie française au fascisme, Paris, Albin Michel, 2003.
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