Les travaux pour ouvrir la tombe du dirigeant palestinien Yasser Arafat ont débuté mardi 13 novembre. Des prélèvements sur sa dépouille seront réalisés le 26 novembre pour déceler d'éventuelles traces de polonium. Quelles sont les caractéristiques de cette substance radioactive ? Décryptage.
Les dirigeants palestiniens se sont déclarés mercredi prêts à une analyse du corps du chef historique Yasser Arafat après les révélations d'Al-Jazeera sur la présence de quantités anormales de polonium dans ses échantillons biologiques. (c) Afp
Marie Curie est la première victime connue du polonium. Et pour cause : c’est elle qui a découvert en 1898, avec son mari Pierre, cet élément chimique de la pechblende, un minerai dont on extrait l’uranium. La physicienne lui a même donné son nom rappelant ses origines polonaises (son nom de jeune fille étant Marie Sklodowska).
LITVINENKO. En novembre 2006, l’espion russe Alexandre Litvinenko mort à Londres serait le premier cas connu d’un empoisonnement volontairement provoqué avec du polonium 210, l’un des 33 isotopes du polonium et celui qui a la durée de vie la plus longue (sa radioactivité diminuant de 50% tous les 138,4 jours).
Yasser Arafat, victime du polonium?
Yasser Arafat aurait-il aussi été empoisonné au polonium ? C’est ce que suspecte une équipe de l’Institut de Radiophysique de Lausanne qui a enquêté neuf mois sur les effets personnels de l’ancien leader palestinien (keffieh, brosse à dents, sous-vêtements).
CHUV. Du polonium y a été découvert en quantité anormale, mais pas assez pour affirmer qu’il y a eu empoisonnement. D’où la nécessité d’exhumer le corps pour l’analyser. La veuve d’Arafat, Souha, en a fait la demande et le président de l’Autorité palestinienne a signé l’autorisation au début du mois. Vendredi 24 août, l'institut de radiophysique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne a confirmé qu'il comptait examiner la dépouille du leader palestinien après l'accord de Mme Arafat.
Une présence naturelle
Le polonium 210 est présent naturellement en suspension dans l’air, à hauteur de 50 becquerels par mètre-cube (ce qui est une quantité minime) et de manière plus prononcée dans des lieux aussi particuliers que des zones d’activité volcanique ou d’anciennes exploitations d’uranium. Elément chimique peu mobile, le polonium ne pénètre que les couches superficielles du sol. Enfin, le corps humain en contient à raison de quelques dizaines de becquerels.
CIGARETTE. « On trouve aussi du polonium 210 dans la fumée de cigarette, note Jean-René Jourdain, radiobiologiste à la direction de la protection de l’homme de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, mais il ne vient pas du tabac lui-même: il s’agit de résidus issus des engrais phosphatés utilisés pour cultiver les plants. » Arafat était-il fumeur au moment de sa mort ? Si c’est le cas, les traces de polonium dans son organisme pourraient venir de là – sans pour autant que cette substance ait provoqué le décès du leader palestinien.
Le mausolée du dirigeant palestinien Yasser Arafat à Ramallah. Crédit AFP.
100% alpha
Le polonium 210 a une rare particularité : c’est un émetteur de particules alpha à quasiment 100%. Les autres éléments radioactifs sont tous à la fois émetteur de gamma et d’alpha. Le polonium est donc un élément lourd, qui a un trajet très court dans la matière. Des vêtements ou une simple feuille de papier devant la source suffisent à stopper l’émission. Idem pour du polonium contenu dans une gélule.
ALPHA. Résultat : le polonium 210 est difficile à repérer ; il passe notamment les portiques détecteurs de radioactivité dans les aéroports. En fait, on ne le trouve que parce qu’on a déjà des soupçons et qu’on le cherche, avec une sonde alpha. Mais c’est cette concentration alpha qui rend le polonium 210 très toxique car il diffuse toute sa radioactivité en un même point.
Plus toxique que du cyanure du potassium
Un microgramme de polonium 210 diffuse 166 millions de becquerels ! Un à dix microgrammes suffisent à tuer quelqu’un. Plus toxique que du cyanure. Mais l’élément doit être ingéré par la victime. Soluble, le polonium circule alors dans le corps et se fixe au niveau des reins, de la rate, du foie et s’en prend aux cellules de la moelle osseuse. « Il détruit la fabrication des globules blancs ce qui explique la perte d’immunité et l’aggravation du risque de maladie, n’importe laquelle » explique Jean-René Jourdain.
SYNTHÉTISER. Il reste difficile d’établir les symptômes exacts d’un tel empoisonnement, et pour cause : le cas Arafat ne serait que le deuxième… Une chose est sûre cependant, il est impossible de synthétiser du polonium dans un laboratoire clandestin, façon appartement de terroristes… Il faut au moins un réacteur nucléaire de recherche. Ainsi, si le poison peut être difficile à détecter, l’empoisonneur risque de l’être beaucoup moins.
Arnaud Devillard
Sciences et Avenir
24/07/12
Réactualisé le 13/11/12
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