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jeudi 6 décembre 2012

Le lobby des banques fait reculer le gouvernement sur la réforme des banques , une fois de plus ce pouvoir de mou se couche devant les puissants , ce n'est plus une erreur cela devient une faute grave qui transforme désormais le paysage politique , il faut se faire une raison , la gauche n'est plus au pouvoir , les hommes ne sont pas changés mais la droite (appelée comme tel )sans être au pouvoir (officiellement) applique son programme


Il n’y aura pas de “Glass-Steagall Act” en France. Il n’y aura pas de séparation entre les banques de dépôts et les banques d’investissement. Jeudi dernier, le ministre des finances, Pierre Moscovici, a présenté devant la communauté financière, réunie à l’occasion d’un colloque organisé par l’autorité des marchés financiers, les premières lignes du projet de loi bancaire.
Le texte doit être discuté en conseil des ministres le 19 décembre. S’il n’est pas totalement arrêté, les grandes lignes en sont esquissées. Contrairement aux engagements pris pendant la campagne, le gouvernement n’a pas le dessein d’imposer une rupture franche dans les activités bancaires mais plutôt de coudre aux petits points un texte qui ne devrait pas trop bousculer le système bancaire français.
Le ministre des finances, pour sa part, parle d’une réforme ambitieuse. « Nous voulons une réforme qui fasse référence en Europe et refonde notre paysage financier pour les vingt prochaines années contre la spéculation et pour le financement de l’économie réelle (…) Sans attendre la directive européenne, la France va adopter les recommandations de la commission Liikanen », a-t-il expliqué. Dans un rapport remis en octobre, la commission préconise de placer dans des entités séparées mais toujours contrôlées par la même holding bancaire les activités les plus risquées comme les activités sur les dérivés pour les clients financiers, les activités de tenue de marché, les participations dans les hedge funds ou les prêts qui leur sont consentis, les investissements en capital-risque.
L’adaptation qu’entend faire le gouvernement français des recommandations de la commission Liikanen n’est pas encore très précise. « Beaucoup de choses ne sont pas encore arbitrées », reconnaît un conseiller. Des connaisseurs du dossier redoutent, toutefois, une réforme très allégée, placée sous la haute surveillance des banquiers.
Même si les responsables du ministère des finances vantent la très large concertation menée avec les banquiers mais aussi les autorités de surveillance, les usagers, les syndicats pour élaborer le texte, d’autres relèvent les présences assidues comme les absences. Les experts de Terra Nova ou de Finance Watch, pourtant très en pointe sur le sujet et très écoutés à Bruxelles, n’ont jamais été auditionnés par Bercy. « Il y a un problème de méthode qui entache la pertinence de ce qui est proposé. La France reste dans le superbe isolement des experts, quelles que soient leurs qualités. Mais tous viennent du même moule et partagent la même opinion », note Thierry Philipponnat, secrétaire général de Finance Watch.  De fait, depuis l’été, les banquiers ont envahi les couloirs de Bercy, qu’ils connaissent si bien pour être tous ou presque issus de l’Inspection des finances.
Les premières indications données par le ministre des finances devraient rassurer le monde bancaire. « Les banques pourront continuer toutes les activités qui servent au financement de l’économie », a assuré Pierre Moscovici. Mais elles devront placer dans des filiales spécialisées « les activités de marché qui ne sont pas nécessaires au financement de l’économie ». Certaines pratiques jugées trop risquées seront même simplement interdites comme le trading à haute fréquence ou les dérivés sur les matières premières agricoles.

Effet d’optique

Cela semble rigoureux. Mais cela pourrait n’être qu’un effet d’optique. Car tout est dans la définition de ce qui est « utile au financement de l’économie ». Avant le discours du ministre des finances, le monde bancaire avait commencé à donner ses définitions. À l’entendre, toutes les activités de marché ou presque – à l’exception de prises de participations dans les hedge funds – sont utiles à l’économie.
« Dans un monde de concurrence, les banques doivent pouvoir offrir l’ensemble des services à leurs clients », sous peine de les voir partir ailleurs, expliquait Frédéric Oudéa, président de la Société générale. Les dérivés ? Indispensable pour offrir des produits de couverture aux clients. Le capital investissement ? Comment en exclure les banques au moment où le gouvernement milite précisément pour aider les PME. Les activités de négociations de dettes pour compte propre ? Veut-on vraiment voir la négociation des dettes souveraines aux mains des seuls JPMorgan et Goldman Sachs ?
La liste peut être poursuivie. Les banques semblent souhaiter qu’elle soit la plus longue possible. Car les activités placées dans des entités séparées risquent de ne plus être rentables, compte tenu des ratios de capitaux qui seront imposés. « Si le lobbying bancaire persévère, il va finir par obtenir une adaptation de la loi bancaire en France en deçà des recommandations pourtant très souples de la commission Liikanen », dit un connaisseur du dossier. « L’évidence politique, c’est qu’on ne peut pas être en dessous de Liikanen », nuance cependant un conseiller.
À ce stade, il est impossible de dire quel sera l’équilibre trouvé. Le gouvernement ne semble avoir arrêté ni les activités jugées risquées ni la manière dont tout cela sera retranscrit. Dans la loi, par décret, ou confié aux bons soins des autorités de contrôle ? Là encore, le président de la Société générale, qui, selon nos informations, pèse très lourd dans toutes les discussions, a indiqué où allaient ses préférences. « Entre la réforme Volcker aux États-Unis et la démarche Vickers en Grande-Bretagne, je préfère la réforme Volcker », explique-t-il.
Derrière ce langage codé, il faut comprendre ce qui se joue. D’un côté, il y a la solution américaine, dure mais seulement en apparence. Revenant déjà largement sur les préconisations de l’ancien président de la Réserve fédérale qui recommandait une séparation stricte entre les banques de dépôt et banques d’investissement, la loi Dodd-Francks, votée à l’été 2010, a posé seulement des interdictions précises : la spéculation pour compte propre, les investissements trop importants dans le capital risque et le financement et les prises de participation dans les hedge funds.
Mais au fil des négociations, des règlements, tout le dispositif est en train d’être vidé de son contenu. Les banques ont déjà obtenu d’exclure des activités pour compte propre les activités de tenue de marché, les activités de couverture au sens très large du terme, permettant presque toutes les spéculations sur dérivés, etc., tandis que toutes les spéculations risquées, profitant des béances de la loi, sont en train de migrer vers des structures totalement opaques, non soumises à la surveillance des autorités de contrôle, censées ne plus appartenir aux banques.

Le modèle bancaire français

La réforme projetée en Grande-Bretagne s’annonce beaucoup plus dure. Afin de ne pas offrir la garantie publique à des activités de marché et de spéculation, le rapport Vickers préconise une séparation totale entre la banque de dépôts et les activités de marché, sans possibilité d’aménagement. Les deux branches devront être logées dans deux entités séparées, avec des tours de table et des conseils d’administration distincts. La séparation doit être achevée en 2019 et coûtera selon les premières estimations entre 5 et 10 milliards de livres (6,2 et 12,4 milliards d’euros).
Dès lors, la préférence des banquiers français pour la voie américaine se comprend mieux. Ceux-ci militent d’autant plus pour suivre l’exemple de Wall Street qu’ils s’estiment déjà victimes de la réglementation européenne par rapport à leurs concurrents américains. Tous jugent que la nouvelle réglementation bancaire dite Bâle III les entraîne dans une « démarche suicidaire ».
Mais depuis la semaine dernière, ils ne cachent plus leur fureur : la Fed, la réserve fédérale américaine, a annoncé vendredi dernier qu’elle reportait sine die l’application de cette nouvelle réglementation Bâle III aux États-Unis, le monde bancaire ayant manifesté son « inquiétude de se voir soumis à une réglementation définitive sur le capital au 1er janvier 2013 sans avoir suffisamment de temps pour la comprendre ou changer leur système comme il conviendrait ». « Je voudrais bien savoir ce que va faire M. Barnier (commissaire européen au marché intérieur et aux services). Il avait dit qu’il n’appliquerait pas Bâle III tant que les Américains ne le mettraient pas en œuvre », insistait Baudoin Prot, président de BNP Paribas.
Mettant en exergue cette « distorsion de concurrence», le monde bancaire a bien l’intention d’enfoncer le clou et de négocier jusqu’au bout une réforme à moindre coût. Dans leur plaidoyer, les banquiers ont ajouté un nouvel argument : la croissance. Qui soutiendra la croissance si les banques doivent limiter leurs crédits ? se répandent-ils. Le propos a fait mouche. « La finance est aujourd’hui jugée moins prioritaire que la situation économique et sociale. Comme Cahuzac et Moscovici n’affichent pas de volonté politique forte sur ce dossier, la technostructure suit son chemin. Et Bercy est un repaire de conservateurs. C’était vrai avant, c’est toujours vrai maintenant », note un conseiller.
De Matignon à Bercy, les arguments des banquiers se retrouvent ainsi repris en boucle. Pour beaucoup, il ne faut surtout pas pénaliser les banques françaises, « victimes plus que coupables de la crise financière ».« On voit l’action efficace du lobby bancaire français. Les grandes banques françaises ont réussi à vendre l’idée qu’on avait un modèle solide et rentable », regrette Laurence Scialom, économiste à l’université Paris-Ouest, experte auprès de Terra Nova.
« Le modèle de la banque française universelle a montré sa résistance pendant la crise », ont répété en chœur banquiers et hauts fonctionnaires jeudi. À les entendre, le système bancaire français n’a souffert d’aucun accident grave, qui justifierait une réforme radicale. Les ombres des faillites de Dexia, Natixis, Caisses d’épargne, des déboires du Crédit agricole et de la Société générale, de l’effondrement du Crédit immobilier de France, de l’étranglement du Crédit foncier et de la banque PSA… passaient.
20 novembre 2012 | Par Martine Orange et Lénaïg Bredoux
Source : Mediapart

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