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vendredi 5 avril 2013

La patronne des voyous banquiers (Lagarde) ; rattrapée par la justice pour des faits de « complicité de faux par simulation d’acte » et de « complicité de détournement de fonds publics ».


Mediapart a pu prendre connaissance de la décision motivée qui a été rédigée le 4 août 2011 par la commission des requêtes de la Cour de justice de la République (CJR) dans l’affaire Lagarde/Tapie. Dans ce texte, rédigé après l’examen de dossiers volumineux (transmis par le parquet général de la Cour de cassation, l’Assemblée nationale, la Cour des comptes et la Cour de discipline budgétaire et financière), et à l’issue de plusieurs séances de travail, les sept hauts magistrats qui composent la commission des requêtes détruisent un à un les arguments de Christine Lagarde et de son avocat. Ils se prononcent pour une saisine de la commission d’instruction de la CJR visant l’ancienne ministre de l’économie, 
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Le texte de neuf pages rédigé par la commission des requêtes est très sévère pour Christine Lagarde. Il fait, dans un premier temps, l’historique de l’affaire Bernard Tapie/Crédit lyonnais dont l’épilogue a coûté la somme colossale de 403 millions d’euros au Consortium de réalisation (CDR), et donc à l’Etat.
La seconde partie du texte constitue les attendus de la décision, qui sont littéralement accablants. La commission des requêtes estime en effet que Christine Lagarde s’est impliquée personnellement et de façon litigieuse dans un dossier qui n’avait pour but que de renflouer par tous les moyens Bernard Tapie, cela malgré un risque judiciaire très faible pour l’Etat, et en dépit de l’opposition de plusieurs hauts fonctionnaires. Au vu de ces éléments, Christine Lagarde ne semble pas pouvoir échapper à une mise en examen qui fragiliserait sa position à la tête du Fonds monétaire international.
Voici un résumé en douze points de cette décision (l’intégralité du texte peut être consultée dans l’onglet Prolonger).
Des anomalies répétées
1. Le processus qui a conduit « à la condamnation du CDR au paiement de sommes élevées à la charge des finances publiques comporte de nombreuses anomalies et irrégularités ».
2. Le « contentieux Adidas » n’était visé ni par le protocole ni par la loi de 1995 qui organisaient la « défaisance » du Crédit lyonnais, et le courrier ministériel de 1999 étendant la garantie du CDR à ce contentieux « était privé de fondement juridique ».
3. La légalité du recours à l’arbitrage par le CDR, organisme public, est « incertaine », et aucun avis sur ce point n’a été demandé au Conseil d’Etat.
4. Le recours à l’arbitrage a été proposé par les mandataires judiciaires du groupe Tapie alors que leurs chances de gagner en justice « étaient à tout le moins sérieusement compromises par l’arrêt de cassation » d’octobre 2006. Décidé par Jean-Louis Borloo, par ailleurs ancien avocat de Bernard Tapie, dès sa prise de fonction le 18 mai 2007, le principe de l’arbitrage a pourtant « été retenu malgré l’opposition manifestée à plusieurs reprises (…) par le directeur général de l’agence des participations de l’Etat ».
La note que celui-ci a adressée à Christine Lagarde, qui a succédé à Jean-Louis Borloo le 18 juin 2007, spécifiait que « le recours à l’arbitrage n’apparaissait pas justifié », le CDR ayant toutes les chances de gagner en justice, et que l’arbitrage « exposerait le CDR et donc l’Etat à un risque majeur », compte tenu des revendications déraisonnables affichées par la partie adverse.
Cet avis « déconseillait au ministre de s’engager dans la voie d’un arbitrage, qui n’était justifié ni du point de vue de l’Etat ni du point de vue du CDR, et pourrait être considéré comme une forme de concession inconditionnelle et sans contrepartie faite à la partie adverse ». La ministre a cependant donné l’instruction d’accepter l’arbitrage le 10 octobre 2007.
La crainte, invoquée par Christine Lagarde, de voir s’allonger la durée et le coût des procédures judiciaires ne tient pas : les « procédures étaient proches de leur terme » après la décision de l’assemblée plénière de la Cour de cassation qui s’imposait à toute autre juridiction, « l’autorité de la chose jugée faisant obstacle à ce qu’une demande déjà rejetée puisse être à nouveau présentée sur un fondement juridique distinct ».
Enfin, les honoraires des avocats choisis pour la procédure d’arbitrage, « en lieu et place de l’avocat historique du CDR, hostile à cette procédure, équivalent à ceux qu’auraient représenté plusieurs années de nouvelles procédures judiciaires ».
5. Le compromis d’arbitrage accepté par le CDR « apparaît également et à de nombreux égards irrégulier ». Le Crédit lyonnais « a été exclu » de la procédure, et il s’est déclaré « fort réservé » à son égard, refusant de verser « la contribution forfaitaire de 12 millions d’euros à laquelle était pourtant subordonnée la garantie du CDR ».
La garantie du CDR pour l’indemnisation d’un préjudice personnel des époux Tapie n’était pas prévue par la lettre ministérielle de 1999. Le président du CDR a pourtant accepté en 2007 « de soumettre à l’arbitrage cette demande d’un montant sans précédent, présentée au titre d’un préjudice moral fondé sur des faits imputés au Crédit lyonnais, qui n’était pas partie à la procédure ».
Le conseil d’administration du CDR « paraît ne pas avoir été informé régulièrement de cette acceptation ». La version du compromis soumise à ce même conseil d’administration le 2 octobre 2007 mentionnait seulement que « les demandes des mandataires liquidateurs au titre du préjudice des époux Tapie étaient limitées à 50 millions d’euros ».
Les demandes « au titre du préjudice matériel apparaissent tout aussi excessives, alors que le CDR, qui n’était pas demandeur à l’arbitrage, pouvait dicter ses conditions et se référer aux condamnations prononcées par la cour d’appel, laquelle n’avait alloué qu’un euro symbolique pour le préjudice moral et 135 millions d’euros, intérêts compris, pour le préjudice matériel », tandis que « le plafond accepté » avec l’arbitrage pouvait atteindre, avec les intérêts, 450 millions d’euros.
Le compromis, comme l’a expliqué le professeur Clay devant la commission des finances de l’Assemblée nationale,« enserrait singulièrement le pouvoir des arbitres et pouvait s’assimiler à une transaction, l’une des parties renonçant à des actions en justice pour obtenir une contrepartie ».

Vers une mise en examen
6. « Le choix des arbitres n’apparaît pas conforme aux pratiques habituelles. » Les trois arbitres ont été choisis avant même la rédaction du compromis, « alors que l’usage aurait voulu que les modalités de cette désignation soient fixées dans cet acte et que chaque partie choisisse son propre arbitre, ceux ainsi désignés nommant à leur tour un président ».
Les « liens de l’un des membres de ce tribunal arbitral (NDLR : Pierre Estoup) avec le conseil de l’une des parties (NDLR : Maurice Lantourne), et « l’appartenance d’un autre (NDLR : Jean-Denis Bredin) aux instances dirigeantes du parti politique auquel adhérait M. Tapie (NDLR : le PRG, ex-MRG) ont permis à la Cour des comptes de considérer (…) que la composition de ce tribunal était d’emblée défavorable au CDR ».
7. La sentence rendue « a presque entièrement fait droit aux demandes des époux Tapie et des mandataires judiciaires » : elles ont été « satisfaites à hauteur de 80% pour le préjudice matériel et de 90% pour le préjudice moral ».
« La somme de 45 millions d’euros a été allouée de ce dernier chef sur le seul fondement d’un acharnement exceptionnel de la banque à l’égard des époux Tapie en vue de briser chez eux tout avenir professionnel et toute réputation, sans que le Crédit lyonnais ait pu faire valoir ses arguments en défense », et « après que le CDR ait renoncé à soulever l’irrecevabilité de cette demande des mandataires judiciaires, se satisfaisant de l’assurance que les époux Tapie verseraient cette somme pour couvrir l’éventuelle insuffisance d’actif de leur liquidation judiciaire ».
8. Des consultations d’avocats spécialisés « pouvaient laisser espérer une chance d’annulation de la sentence ». Mais la ministre a, « sans attendre l’expiration du délai d’un mois », « demandé par écrit aux administrateurs représentant l’Etat de s’exprimer en défaveur d’un recours en annulation ». « Des instructions orales auraient même été données à M. Scemama pour que celui-ci, contrairement à la pratique de ses prédécesseurs, participe lors de la délibération du CDR » au vote contre ce recours, « acquis par trois voix contre deux ».
9. « De l’ensemble des décisions systématiquement défavorables aux intérêts du CDR, de l’EFPR et de l’Etat résultent des indices graves et concordants faisant présumer que, sous l’apparente régularité d’une procédure d’arbitrage, se dissimule en réalité une action concertée en vue d’octroyer aux époux Tapie et aux sociétés dont ils détiennent, directement ou indirectement, le capital, les sommes qu’ils n’avaient pu jusqu’alors obtenir, ni des tribunaux judiciaires, ni par la médiation tentée en 2004, ni lors d’une seconde négociation menée en 2006 après le prononcé de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, celle-ci ayant également été abandonnée, compte tenu des prétentions jugées inacceptables de M. Tapie. »
10. Cette sentence « a permis aux époux Tapie et aux sociétés du groupe Tapie dont la situation était, selon certains observateurs, irrémédiablement compromise dès 1992, d’échapper aux conséquences des procédures collectives dont ils étaient l’objet et de se constituer un patrimoine important ».
11. L’exécution de la décision a « entraîné le règlement par l’EFPR, en sa qualité de garant du CDR, de sommes dont la charge sera en définitive supportée par l’Etat ».
12. Ces faits « sont susceptibles de constituer à la charge de Mme Lagarde les délits de complicité de faux par simulation d’acte et de complicité de détournement de fonds publics ». La ministre paraît en effet « avoir personnellement concouru aux faits notamment en donnant des instructions de vote aux représentants de l’Etat dans le conseil d‘administration de l’EFPR, voire au président de cet établissement public en sa qualité de membre du conseil d’administration du CDR ».

« Il y a lieu, en conséquence, d’émettre un avis favorable à la saisine de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République aux fins d’instruire contre Mme Christine Lagarde », conclut la commission des requêtes.
Cette analyse du dossier Lagarde/Tapie est plus sévère encore que celle de l’ancien procureur général près la Cour de cassation Jean-Louis Nadal (lire ici). La décision de la commission des requêtes, qui s’impose au parquet général, vient de donner lieu à une saisine officielle de la commission d’instruction de la CJR le 16 août par Cécile Petit, premier avocat général assurant l’intérim jusqu’à l’installation de Jean-Claude Marin (lire ici).
Il revient maintenant à la commission d’instruction, composée de trois magistrats indépendants, d’instruire le cas Christine Lagarde, et d’interroger l’actuelle directrice générale du FMI, soit sous le statut de mis en examen ou de témoin assisté.
Reste à savoir si ces auditions se dérouleront à Paris ou à Washington.

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