En 1995, Nicolas Sarkozy était le porte-parole de la campagne d'Edouard Balladur© Maxppp
Après deux ans et demi d'investigations tous azimuts, l'enquête du juge Renaud Van Ruymbeke a fait un pas de géant cette semaine. Le magistrat qui instruit le volet financier de l'affaire Karachi a très certainement trouvé la pièce du puzzle qui lui manquait : le lien entre les commissions versées à des intermédiaires étrangers en marge de contrats d'armement conclus par la France en 1994 et 1995, et le financement présumé occulte de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur.
Sur son bureau, le juge détient désormais la preuve que l'intermédiaire Abdul Rahman El Assir a utilisé une partie des commissions qu'il a perçues pour acheter des sondages d'opinion lors de la campagne présidentielle de 1995. Le sulfureux intermédiaire - qui était à l'époque l'associé de Ziad Takieddine - a fait appel à un spin doctor américain très réputé, Paul Manafort, pour réaliser des études sur les chances de réussite d'Edouard Balladur à l'élection.
Des enquêtes menées auprès de 800 électeurs français en octobre 1994 puis en janvier 1995. Renaud Van Ruymbeke a mis la main sur le contrat de 52.000 dollars pour ces deux études. Le compte suisse d'El Assir, à la BCP de Genève, a été débité de cette somme le 22 mai 1995.
Il correspond à un chèque à l'ordre de Tarrance Group, l'une des anciennes sociétés de Paul Manafort. Pour l'anecdote, ces études d'opinion pronostiquaient Edouard Balladur largement vainqueur face à son rival de droite Jacques Chirac...
Près de 250.000 dollars versés à Paul Manafort
Le juge Van Ruymbeke avait lancé en octobre dernier une commission rogatoire internationale avec les Etats-Unis afin d'enquêter sur les sociétés et l'entourage de Manafort. Le magistrat venait de découvrir que ce politologue (qui a notamment travaillé auprès de Georges Bush père, de Bill Clinton et de Ronald Reagan) avait reçu près de 250 mille dollars de la part d'Abdul Rahman El Assir en l'espace de quelques mois.
De son côté Nicola Johnson, l'ex épouse de Ziad Takieddine, avait affirmé aux policiers de la Division nationale des investigations financières et fiscales qu'elle se souvenait que son époux recevait régulièrement des faxs de Paul Manafort, qu'il s'agissait de "conseils, en anglais, pour la campagne de M. Balladur". Elle disait aussi avoir la conviction que ces "conseils" étaient rémunérés par Ziad Takieddine ou par son associé Abdul Rahman El Assir.
En octobre dernier, Renaud Van Ruymbeke était allé à Genève interroger Abdul Rahman El Assir sur ce point (l'homme d'affaire libano-espagnol est mis en examen depuis le 30 mai 2012 dans ce volet de l'affaire). L'intermédiaire avait reconnu être lié et avoir travaillé avec Paul Manafort. Mais il précisait : "J'insiste sur le fait que mes divers paiements à Paul Manafort n'ont absolument rien à voir avec la campagne d'Edouard Balladur". La justice française a désormais la preuve du contraire.
Me Morice, avocat des familles de victimes de Karachi, se réjouit de cette avancée décisive dans l'enquête
Edouard Balladur pas encore entendu par le juge
Le juge Van Ruymbeke tente de prouver que des contrats d'armement avec le Pakistan et l'Arabie Saoudite par le gouvernement Balladur ont donné lieu à des rétrocommissions, c'est-à-dire des pots-de-vin. Des sommes énormes ont été transférées du compte suisse d'Abdul Rahman El Assir quelques temps avant la présidentielle de 1995. Les enquêteurs épluchent actuellement à la loupe le train de vie des "balladuriens" lors de cette période.
Dans ce volet du dossier, l'ancien ministre Renaud Donnedieu de Vabres (qui a aussi été le conseiller spécial du ministre de la Défense François Léotard entre 1993 et 1995) avait déjà été mis en examen pour complicité et recel d'abus de biens sociaux. Tout comme Nicolas Bazire, ancien directeur de campagne d'Edouard Balladur et l'ami de Nicolas Sarkozy Thierry Gaubert. Pour le moment, ni l'ancien Premier ministre ni François Léotard n'ont encore été entendus par Renaud Van Ruymbeke.
Pour Me Morice, la justice doit maintenant s'intéresser aux ministres impliqués
Si le juge établit qu'ils ont commis un délit, il devra saisir la Cour de Justice de la république (CJR) et c'est elle qui aura à charge d'instruire l'affaire. Depuis 20 ans, il s'agit de la seule instance compétente pour juger les ministres et les anciens ministres pour des délits commis dans le cadre de leurs fonctions. Un traitement particulier, pour ne pas dire un traitement de faveur, qui a souvent été dénoncé par les magistrats etque François Hollande avait promis de supprimer lors de la campagne présidentielle de 2012.
Rien ne prouve pour le moment que Nicolas Sarkozy, porte-parole de la campagne d'Edouard balladur, ait été impliqué dans la collecte de fonds.
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