BORDEAUX (Reuters) - Les trois juges d'instruction qui ont mis en examen Nicolas Sarkozy pour abus de faiblesse de la milliardaire Liliane Bettencourt expriment, fait rarissime, leur exaspération devant le feu roulant d'attaques qu'ils subissent depuis des mois.
La révélation, jeudi, d'un lien entre le juge Jean-Michel Gentil et l'une des expertes ayant conclu à l'état de faiblesse de l'héritière de L'Oréal constitue la goutte d'eau qui a incité deux d'entre eux à sortir de leur silence médiatique.
Le Parisien a révélé jeudi que Sophie Gromb, un des cinq médecins ayant participé à l'expertise qui, en 2011, a décrété que Liliane Bettencourt était en état de démence sénile, avait été témoin lors du mariage du juge d'instruction.
Les avocats de la défense des 12 personnes mises en examen, dont Nicolas Sarkozy, soupçonné d'avoir profité de la faiblesse de l'héritière de L'Oréal pour lui soutirer de l'argent en 2007, se sont immédiatement engouffrés dans la brèche.
Ils mettent en cause l'impartialité du juge et la validité de l'expertise, clé de voûte du volet sur l'abus de faiblesse.
Ils s'en sont remis au procureur de la République de Bordeaux, attendant de lui qu'il tire "toutes les conséquences de ces atteintes aux droits de la défense et au droit au procès équitable, qui ont entravé la manifestation de la vérité".
LES JUGES CONTRE-ATTAQUENT
Pour une fois, les juges ne sont pas restés silencieux face à cette accusation qui les met directement en cause.
"Ce n'est pas parce qu'on connaît personnellement un expert qu'on est partial" a dit vendredi à Reuters Cécile Ramonatxo, l'un des magistrats. "Moi-même je connais le professeur Gromb. C'est le seul médecin légiste de Bordeaux inscrit sur la liste de la cour de Cassation, reconnu nationalement et même internationalement et il était naturel de la désigner."
Sa collègue Valérie Noël avait déjà pris la mouche jeudi en estimant sur Europe 1 que l'interprétation du code de procédure pénale par la défense des personnes mises en examen relevait du "délire" et d'une opération de "communication".
Pour Cécile Ramonatxo, "c'est pour le moins sous-entendre que nous faisons preuve de malhonnêteté intellectuelle".
"Nous nous insurgeons contre ces attaques, celle-là étant très personnelle. Je suis choquée, c'est désagréable, mais on se dit que c'est heureux qu'on soit trois. On a notre conscience pour nous, nous savons que nous avons respecté scrupuleusement le code de procédure pénale, l'éthique", a ajouté la magistrate.
Cette révélation est tombée quelques jours avant l'audience devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux du 6 juin, au cours de laquelle les avocats veulent remettre en cause la validité de cette expertise.
Des magistrats bordelais estiment sous le sceau de l'anonymat que "tout cela n'est pas le fruit du hasard", laissant entendre que l'ancien chef de l'Etat était à la manoeuvre pour discréditer les juges.
Ces derniers ont en effet été mis sur la sellette depuis que l'affaire a été dépaysée de Nanterre à Bordeaux par des arrêts de la cour de Cassation le 17 novembre 2010.
"Les enjeux sont très importants, ça justifie tout aux yeux de certains. Mais vous savez, quand on a affaire avec des personnalités comme celles-là, on fait preuve d'une particulière attention dans tous nos actes", assure Cécile Ramonatxo.
MENACES DE MORT
Les attaques se sont amplifiées depuis que Nicolas Sarkozy a été entendu par les juges puis placé d'abord sous le statut de témoin assisté le 22 novembre dernier.
Thierry Herzog, l'avocat de l'ancien chef de l'Etat, avait dès le lendemain fait état d'une erreur du juge Gentil qui aurait confondu dans les agendas de Nicolas Sarkozy des rendez-vous avec Liliane Bettencourt et Ingrid Betancourt, une Franco-Colombienne qui fut otage en Colombie.
De manière exceptionnelle, le parquet avait contesté cette confusion dans un communiqué à la demande des juges.
Jean-Michel Gentil avait déjà été accusé d'être un "juge rouge" pour avoir été président de l'association des magistrats instructeurs mais il avait dans ce cadre, en 1998, mené bataille contre un projet de loi d'une ministre de la Justice socialiste, Elisabeth Guigou sur la présomption d'innocence.
Après la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour abus de faiblesse le 21 mars, ce sont les politiques qui se sont déchaînés contre le juge Jean-Michel Gentil.
L'ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino a ainsi accusé le juge d'avoir "déshonoré un homme, les institutions, la justice", et l'ancienne ministre UMP Nadine Morano a qualifié le caractère de la décision de "grotesque".
Me Thierry Herzog a pour sa part parlé d'un manque possible d'impartialité de la part de Jean-Michel Gentil, qui avait signé en juin 2012 avec 81 autres magistrats une tribune dans Le Monde dénonçant le manque de moyens pour la lutte contre la corruption sous le règne de l'ancien président, cinq jours avant une série de perquisitions effectués à son domicile et à son bureau.
Le juge Gentil a également été la cible de menaces de mort quelques jours plus tard.
Une lettre d'un groupuscule inconnu reçu au parquet et qui lui était destinée contenait une balle de gros calibre et l'accusait d'avoir "franchi l'irréparable".
"Vous finirez comme vos tristes prédécesseurs lorsque nous aurons pu vous atteindre personnellement ou à défaut un membre de votre entourage", ajoutait le courrier.
Edité par Yves Clarisse
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