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vendredi 26 juillet 2013

Quand le photo-reporter n'est plus maître de son image , ou la source de la désinformation .....


  Le 29 mars 2003, un marine tient une petite fille irakienne dans ses bras après que son unité a tiré sur un véhicule de civils, tuant la famille de l'enfant. Ce véhicule était poursuivi par des tireurs irakiens, ce qui le forçait à se diriger vers la base américaine. | REUTERS/© Damir Sagolj / Reuters
L'été en séries : Ce que l'on croit voir... 4/6.
La guerre, c'est le chaos, la mort, le sang. C'est aussi de longs moments d'attente, d'autres peu spectaculaires, parfois des instants plus légers. Mais, en photographie, un stéréotype domine : afficher l'horreur du conflit dans un cadre à la composition parfaitement maîtrisée, souvent nourri de références artistiques. Les emprunts à l'iconographie religieuse ne manquent pas. La lumière est sculptée comme dans un tableau en clair-obscur, les victimes innocentes prennent des visages de madones et fabriquent des icônes propres à personnifier un conflit qui semble lointain et irréel.
Comment raconter la guerre de la façon la plus juste possible sans tomber dans l'esthétisation ou le pathos facile ? Grande est la tentation de jeter dans le cadre un jouet abîmé ou une chaussure de tennis de pointure 24 qu'on aurait emportés avec soi. Histoire d'humaniser un paysage désolé et de rendre l'image attractive.
Le photojournaliste est responsable de son cadrage, mais aussi de la légende qui accompagne l'image. Il doit par exemple veiller à ce que des éléments importants pour la compréhension de l'événement mais absents du cadre figurent dans le texte qui l'accompagne.
Le Bosnien Damir Sagolj, 42 ans, est photographe à l'agence Reuters depuis 1997. Aujourd'hui basé à Bangkok, il est chef photo pour l'Asie du Sud-Est. Photojournaliste aguerri, il a été à maintes reprises récompensé, notamment par un World Press en 2012, pour une image réalisée en Corée du Nord : dans un décor urbain nocturne, gris et sinistre, à Pyongyang, la seule trace d'électricité est un portrait de l'ex-dictateur Kim Il-sung, affiché sur une façade.
Une autre image, plus ancienne, de Damir Sagolj a fait débat. Elle montre un soldat américain en pleurs tenant dans ses bras une petite fille irakienne, le 29 mars 2003. La guerre en Irak a commencé quelques jours plus tôt. Le photographe est "embedded", c'est-à-dire embarqué avec les soldats américains, et sous leur contrôle, afin de suivre leur progression.
Cette photo a été la plus publiée parmi toutes celles qu'il a réalisées en Irak. Ce sont les conditions de la prise de vue qui ont soulevé des questions. Elles sont racontées par Sagolj lui-même sur le blog de Reuters.
Ce jour-là, les marines sont de repos, ils ont monté leur campement quelque part au cœur de l'Irak, sur la route qui doit les mener à Bagdad. Le photographe se repose dans une tranchée, un pied cassé, quand une fusillade survient. Quinze minutes plus tard, les coups de feu cessent. Le photographe découvre autour de lui des cadavres près d'une voiture criblée de balles et des personnes criant à l'aide.
LES MARINES ONT RÉAGI ET OUVERT LE FEU
Selon Damir Sagolj, des tireurs irakiens, installés dans un camion militaire, poursuivaient une voiture de civils, les forçant à se diriger vers la petite base militaire américaine. Les marines ont réagi et ouvert le feu.
Peu de temps après, le photographe envoie son image à Reuters avec la légende suivante : "Richard Barnett, aide-soignant de la marine américaine, appartenant à la 1re division de la marine, porte un enfant irakien, en Irak central, le 29 mars 2003." Il précise également les circonstances qui ont conduit au massacre, à savoir la poursuite des civils par des militaires locaux.
Mais ensuite l'image est diffusée par les médias sans que le photographe puisse réellement contrôler son utilisation et sa lecture. Ce que le lecteur de journaux et magazines voit, c'est une petite fille blottie contre l'homme qui, les yeux fermés, semble se recueillir, tout en la protégeant. Ce qu'il ne voit pas, c'est que l'armée américaine, celle-là même à laquelle appartient le médecin accablé, a tué la famille de cette petite fille.
Pour Jean-François Leroy, directeur du festival de photojournalisme Visa pour l'image, à Perpignan, "le photographe, à aucun moment, n'a fait de cette photo de la propagande américaine. Pour moi, il a fait son boulot. Est-ce que les médias ont bien fait leur boulot ? Pas toujours".
Un an après la prise de vue, Damir Sagolj racontait, dans un entretien au journal slovène Mladina, la dérive médiatique dans l'utilisation de son image. Et la difficulté à contrôler cette dérive. De nombreux journaux américains ont en effet publié le document coupé de son contexte, en insistant sur la tendresse, somme toute sincère, du médecin américain, pour en faire une illustration du "bon soldat américain".
Damir Sagolj a même été contacté à l'époque par le magazine People, dont le tirage dépasse les 20 millions d'exemplaires chaque semaine aux Etats-Unis, pour savoir si le médecin avait lui-même des enfants. Mais People n'avait rien à faire de ce qui s'était passé ce jour-là.
Des histoires comme celle de cette image, le photojournalisme, de guerre notamment, en est rempli. Le photo-reporter peut avoir les meilleures intentions du monde, si les médias en décident autrement, il peut, lui aussi, sortir son mouchoir pour pleurer son travail saccagé.
Source :Le Monde

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