Le mot déontologie existe dans le dictionnaire". En taclant d'entrée la chaîne télé d'info continue BFM TV, le procureur d'Annecy, Eric Maillaud, a donné le ton d'une conférence où nous, journalistes, avons été rappelés à nos devoirs. Il n'a d'ailleurs pas écarté la possibilité de poursuites judiciaires après la publication de ces photos de la scène du crime, dont celles du corps ensanglanté du cycliste, photos issues du dossier de l'instruction.
Toute cette conférence de presse fut d'ailleurs une sorte d'acte d'accusation face à des dérives de plus en plus fréquentes. En disant qu'il tairait le nom de la personne gardée à vue "en raison de la présomption d'innocence", le procureur a lancé un autre pavé dans la mare de ces chaînes de télé qui se sont précipitées, à peine annoncé le placement en garde à vue d'un Savoyard, pour filmer sa maison, interroger voisins et commerçants et qui l'ont transformé en suspect alors qu'il n'était accusé de rien. "Je n'aime pas le terme de 'suspect', a encore dit le procureur, qui est pour moi connoté.
Cela suppose l'existence de charges lourdes." Pourtant, c'est ce mot de "suspect" qui a été sans cesse mouliné ! Le procureur a d'ailleurs précisé qu'il n'y a pas, à ce stade, d'éléments à charge suffisants pour une mise en examen dans cette affaire de la tuerie de Chevaline. Si cet homme s'avère innocent, il devra évidemment vendre sa maison, changer de domicile.
Sur le site de BFM qui ne mentionnait toujours pas sa mise en cause par le procureur, plusieurs internautes réagissaient de manière virulente aux justifications des journalistes de BFM TV ('nous faisons notre métier') : "L'enfant du cycliste, vous y avez pensé en montrant la scène du crime, pièce volée au dossier de l'instruction ?", "C'est du voyeurisme et c'est ignoble vis-à-vis de la famille des tués". "On ne demande pas ce genre d'info spectacles et vous la diffusez en boucle !". Ce qui devient patent, c'est que ces chaînes d'info sont devenues, paradoxalement, non une mine d'infos mais un trou noir de l'information.
Avec ces heures de direct sans fin, cette absence de hiérarchie de l'info, les risques de dérapages que suppose la diffusion à tout prix d'une information insuffisamment vérifiée, ces duplex qui ne servent à rien, ces journalistes qui, plutôt que d'enquêter, sont transformés en porteurs de micros, tout cela est-ce vraiment du journalisme ? Cette façon de faire n'est-elle pas plutôt en train de détruire le journalisme en le contaminant par cette dictature de l'immédiat, cette absence de réflexion, ce bruit permanent, ces rumeurs colportées, ces approximations ? Et du même coup en noyant les vraies informations dans ce gloubi-boulga, n'est-ce pas à la fois le déshonneur d'une profession et le règne de l'insignifiance montée en épingle ?
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