La révélation par "Le Point" que l'ancien président de France télévisions, Patrick de Carolis, aurait perçu 118.000 euros de la société Bygmalion, est la confirmation que cette affaire est aussi une affaire à France télévisions, et qu'elle ne se limite pas à l'UMP.
Et pour être précis, c'est même une affaire parmi d'autres, instruites par le juge Van Ruymbeke depuis des mois, et qui, selon toute vraisemblance, risque de déboucher sur l'un de ces scandales dont seule la télévision publique a le secret.
France télé est entré en zone de turbulences
La révélation du "Point" survient en effet dans un contexte où il paraît acquis que l'actuel président de France télévisions, Remi Pfimlin, et l'un des anciens collaborateurs de France télé, Martin Ajdari (nommé il y a quelques jours directeur de cabinet de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, et ce dans des conditions qui laissent pantois ceux qui connaissent bien les dossiers du service public) seront entendus par le juge incessamment.
Martin Ajdari est déjà "témoin assisté" dans ce dossier, et est impliqué, avec l'actuel président, comme Carolis, dans l'affaire de ces contrats signés avec Bygmalion. Ce sont les conditions dans lesquelles ces contrats ont été passés qui intéressent Renaud Van Ruymbeke, de même que tous les contrats signés avec Patrick de Carolis et sa société pour la production de l'émission des "Racines et des ailes".
Cela fait des semaines que la marmite judiciaire est entrée en ébullition dans le secret du bureau du juge Van Ruymbeke et que, peu à peu, on s'achemine vers l'instant où le couvercle va sauter et où toutes les vérités vont surgir. La révélation du "Point" touchant Carolis n'est elle que la petite partie émergée d'un iceberg géant ? La question est désormais posée publiquement.
Depuis plusieurs mois, un certain nombre de connaisseurs du dossier France télévisions tirent, en vain, la sonnette d'alarme auprès du pouvoir socialiste.
Non seulement parce que le danger d'un scandale d'ampleur nationale sur fond d'un possible tripatouillage d'argent public plane de plus en plus, mais aussi parce que l'entreprise France télévisions est entrée dans une zone de turbulences qui va jusqu'à menacer l'existence même de la télé publique.
Des erreurs stratégiques nombreuses
On pourrait remplir des pages et des pages des erreurs stratégiques majeures commises par l'équipe Pfimlin depuis quatre ans sur tous les plans, notamment économique et éditorial.
Car la gestion Pfimlin, appuyée par le numéro deux du groupe, Bruno Patino, a un coût financier. L'argent public paraît dépensé en dépit du bon sens, ainsi ces 45 millions engloutis pour rien dans un développement numérique inutile, ou bien encore ces 160 millions de déficit en 2013. Et que dire de France 4, chaîne qui engloutit 44 millions d'euros pour une audience proche de zéro ?
On ne cite ici que ces quelques exemples, mais on pourrait faire un bottin. Et l'échec de Sophia Aram et de "Jusque ici tout va bien", et l'échec de Laurent Ruquier et de "L’Émission pour tous". Et à chaque fois des millions d'euros qui s'évaporent en pure perte.
Plus grave encore, peut-être, est la dérive éditoriale de France télévisions, notamment dans le secteur de l'information, placée depuis quatre ans sous le talon de fer du tandem David Pujadas/Thierry Thuillier (ce dernier étant à la fois patron de l'info de toutes les chaînes de France télévisions et directeur des programmes de France 2).
François Hollande, Manuel Valls et les socialistes auraient (enfin !) pris conscience de cette dérive "populiste" de France 2, qui produirait à la pelle du vote FN depuis des années, en contemplant la soirée électorale des européennes, ce dimanche passé sur France 2.
Sur le plan éditorial, une dérive populiste
Le spectacle était en effet sidérant. Dans la droite ligne des numéros de "Des Paroles et des actes" consacrés à Marine Le Pen. Tapis rouge à Jean-Marie Le Pen durant de longues minutes, suivi dans son intimité, s'exprimant à micro ouvert, sans contrôle éditorial sur la chaîne publique.
Et tapis rouge encore pour Marine Le Pen, ayant droit à la retransmission en direct de sa déclaration, avec un Pujadas la lançant telle une star de cinéma : "Vous êtes en direct, Marine Le Pen, vous pouvez y aller !" Puis à une interview interminable dans la foulée, comme si elle était une sorte de Brigitte Bardot de la politique.
Quant à la déclaration de Manuel Valls, pourtant Premier ministre, elle a été diffusée à la sauvette, en fin de soirée, alors que les téléspectateurs, lassés déjà par la longueur de la soirée sur France 2, avaient commencé à déserter l'écran du service public.
Comment s'étonner que TF1, à la soirée plus équilibrée et plus mesurée sur le plan éditorial, conçue pour tous les publics et pas seulement les supporters du FN, ait écrasé France 2 en audience ?
Il se dit donc que François Hollande et d'autres socialistes, d'un coup, contemplant ce spectacle,auraient pris la mesure de la dérive éditoriale qui a éloigné France 2 des canons du service public depuis dix ans, phénomène engendré sous la présidence Carolis, et amplifié sous la présidence Pfimlin.
Le socialisme de gouvernement a laissé faire
Soyons justes : ce phénomène ne se limite pas aux seules émissions d'information contrôlées par le tandem Pujadas/Thuillier (qui a offert à Marine Le Pen le record de participation à "Des Paroles et des actes" en deux ans : sept invitations, devant Hollande et Mélenchon).
On a souvent écrit, ici, combien les émissions culturelles de France 2 avaient participé, depuis des années, avec la starisation délibérée des souverainistes réacs crypto-lépenistes Eric Zemmour, Natacha Polony et Elisabeth Lévy (chez Ruquier ou Giesbert) et les invitations récurrentes des Nabe, Dieudonné, Soral ou autres aberrations anti-démocratiques (chez Taddéi) à la "lepénisation" des esprits.
Le nier, c'est mentir, et pire encore, c'est se mentir.
Depuis deux ans, le socialisme de gouvernement a laissé faire cette double dérive, économique et éditoriale. Certains spécialistes du secteur vont même jusqu'à mettre en doute la compétence de la ministre de la Culture et de la Communication, dont la vigilance sur le dossier France télé est plus que discutable.
Un volet judiciaire imprévisible
Les étranges passerelles entre le cabinet d'Aurélie Filippetti, et France télévisions, ont elles influé sur le manque de vigilance de la tutelle ? Outre Kim Pham, conseiller en charge de l'audiovisuel, ancien des équipes Carolis/Pfimlin, le cabinet de la ministre vient de recruter Martin Ajdari, proche de Rémi Pflimlin, témoin assisté dans le cadre des enquêtes du juge Van Ruymbeke et qui, il y a trois mois, postulait à la présidence de Radio France.
Comment un ancien d'un groupe audiovisuel peut-il participer, en toute neutralité, à l'exercice de la tutelle sur ce même groupe ? N'y a-t-il pas là un grave risque de confusion des pouvoirs ? Selon les informations de l'auteur de ces lignes, Manuel Valls, informé tardivement de cette nomination, s'en serait ému auprès d'Aurélie Filippetti. Mais trop tard...
En clair, tous les ingrédients paraissent réunis pour que naisse l'une de ces crises majeures que s'offre la télévision publique de manière quasi-systémique depuis qu'elle existe. À ce détail près que la crise qui s'annonce se présente comme la plus grave que pourrait subir France télévisions depuis sa création, dans la mesure où elle comporte un volet judiciaire dont nul ne peut prédire aujourd'hui quelle sera la portée de l'onde de choc prévisible.
Disons les choses franchement : tôt ou tard, le CSA, déjà en alerte depuis plusieurs mois, composé de femmes et d'hommes de bonne volonté, devra se saisir du dossier France télévisions. Et au train où vont les choses, et compte tenu de ce que l'on peut d'ores et déjà anticiper de l'impact de la crise à venir, le plus tôt sera le mieux. Qui regretterait une équipe qui a déjà tout perdu, y compris elle-même ?
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