Le journaliste Abdou Semmar réagit aux attaques de la présidente du FN contre les supporters de l'équipe d'Algérie, accusés d'être à l'origine de débordements en France à la suite de la victoire des Fennecs sur la Russie.
Madame l'illustre présidente du Front national.
Subjugué par le charme de votre médiocrité et la sensualité de votre bêtise, j'ai toujours voulu vous écrire. Mais l'opportunité ne m'a jamais été fournie. Et aujourd'hui, Allah me donne enfin le privilège de m'adresser à vous. Je dis bien Allah, puisque vous persistez à croire depuis des lustres qu'un Arabe, un Algérien, un Berbère, un Maghrébin, bref un Nord-Africain ne dispose d'aucun libre arbitre et ne pense uniquement qu'occuper la rue pour prier matin et soir.
Je vous assure, ma chère madame, que je préfère de loin diner avec une blonde incendiaire comme vous que de m'agenouiller jour et nuit sur le trottoir de votre pays bien-aimé. Mais peu importe ce que vous croyez, pensez, imaginez ou ressentez. Je ne vous écris pas pour philosopher avec vous puisque vous me privez d'ores et déjà de ce plaisir, étant donné que je ne suis, à vos yeux, qu'un vulgaire supporter violent, agressif et sauvage.
En réalité, après m'avoir accusé, sans m'entendre, d'avoir commis des violences, vous voulez m'enlever ma double nationalité ! Sauf que je vous informe solennellement que la plupart de ces supporters "violents" que vous accablez sont d'abord français. Oui, Français, comme vous. Pas suffisamment blancs, bourgeois, bobos et aussi bien "assimilés" que vous, mais français tout de même. Je vous invite à vérifier leurs cartes d'identité. Si vous voulez leur enlever leur nationalité française, faites-le ! Mais, de grâce, pourquoi m'impliquer moi, le pauvre supporter algérien qui n'a que sa joie de vie à exprimer ?
J'ai brûlé des voitures, volé des magasins, saccagés des Abribus ? Il faudrait d'abord, madame, que je puisse décrocher un visa Schengen pour pouvoir traverser toute la Méditerranée qui nous sépare. Et même si le visa m'a été accordé, vous pensez sincèrement que mon premier désir est de venir caillasser des véhicules de police ? Dans mon pays, l'Algérie que vous connaissez tant, je me suis longtemps frotté à ces véhicules blindés. Ils ne m'inspirent aucun fantasme. Vous comprendrez donc qu'une fois sur votre territoire, s'en prendre à des policiers, ou des policières, serait le dernier de mon souci.
Je ne peux accepter cette injustice supplémentaire qui suit d'ailleurs la campagne médiatique diffamatoire déclenchée par vos partisans sur les réseaux sociaux et dans les médias français. Vous envoyez vos "chiens" placarder des affiches qui me sont hostiles, me diabolisant à tout-va et m'accusant de tous les maux. Et pourtant, le chômage qui bat des records chez vous, ce n'est guère de ma faute. Votre croissance économique en berne, ce n'est pas de ma responsabilité. Le déclin de vos élites politiques, je n'ai absolument rien fait pour le provoquer. La fracture sociale qui mine votre pays, ce n'est pas mes "one two three viva l'Algérie" qui risquent de l'aggraver. Vos fromages, vins, châteaux et jardins luxuriants, ce n'est pas un match de mon équipe nationale qui va les menacer.
Cette dénonciation de ma présence en France est, hélas, banale, et n'aurait pas pris d'ampleur en cette période estivale davantage propice aux amours qu'aux hostilités sous la forme de langues de feu, si vos calomnies odieuses n'avaient été accréditées par les commentaires maladroits de plusieurs autres acteurs politiques de la droite française.
Au final, vous me reprochez quoi au juste ? D'être un Algérien tout court ? Ou de ne pas être suffisamment français ? Et pourtant, chez moi à Alger, je n'ai jamais demandé à le devenir. Quant à ces "camarades" originaires de vos banlieues et qui défilent pour les victoires de mon pays, ce sont vos concitoyens, pas les miens. Ils paient les impôts chez vous, ils cotisent chez vous, ils contribuent à la création de votre richesse nationale. Moi, ils ne se souviennent de mon existence que lorsque mon équipe nationale marque quelques buts. Vous les détestez ? Vous les haïssez ? Je suis certain qu'ils éprouvent les mêmes sentiments à votre égard. Mais en quoi moi, simple et pauvre supporter algérien, suis-je concerné par vos histoires de désamours qui vous opposent à ces banlieues ténébreuses ?
Ces territoires occultes sont les fruits des politiques de votre pays et non pas des victoires footballistiques de ma sélection nationale. Au reste, accepter en silence d'être victime d'une injustice, c'est s'en rendre complice. Je ne fais que demander justice, en vous appelant à cesser de fantasmer sur ma soi-disant violence endémique. M'instrumentaliser politiquement ne vous servira à rien. Il ne vous garantira même un deuxième tour d'une élection présidentielle. Demandez à Moubarak, le dictateur [égyptien] déchu, qui a tenté de droguer son peuple en me collant l'image du supporter haineux qui déclare la guerre à son pays ! Saisissez les messages de ces leçons de l'Histoire. En attendant, je vous prie, Madame la présidente, d'accepter le très noble mépris que je vous présente.
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