L‘attribution du prix Nobel de chimie 2016 à un trio comprenant Jean-Pierre Sauvage a déclenché l’habituel flot de félicitations des responsables politiques.Président de la République, ou espérant l’être un jour, ministres en activité, ou espérant l’être un jour… tous y vont de leur cocorico. Mais la bonne question est : faut-il les féliciter, eux ? Conduisent-ils, aujourd’hui, des politiques pour l’enseignement supérieur et la recherche permettant d’espérer de futurs Nobel ?
La carrière de Jean-Pierre Sauvage permet de répondre. Par la négative. En résumé, pour avoir le Nobel, il faut faire le contraire de tout ce que préconisent les gouvernants : instabilité professionnelle, précarité sociale, bougeotte disciplinaire et géographique, recherche des sujets à la mode qui donnent rapidement des résultats prévus à l’avance dans des demandes de financements auprès d’Agences qui mettent en compétition les chercheurs. Une politique de gribouille, où l’emphase permanente du discours (le mot « excellence » mis à toutes les sauces) cache mal une décision politique majeure : ne plus augmenter l’effort de recherche public, le réorienter en diminuant les efforts de la recherche de base, précariser le plus possible les personnels (chercheurs, ingénieurs, techniciens). Si cette politique s’est heurtée à de nombreuses actions depuis 2007 (mouvements sociaux, associations SLR, SLU, cris d’alarme de scientifiques de renom…) et a donc été freinée, ses dégâts sont patents.
Le chercheur fonctionnaire type…
Jean-Pierre Sauvage a donc tout faux, au regard du cours actuel de la politique de recherche et de la novlangue qui sévit rue Descartes, où siège le ministère en charge de l’Enseignement supérieur et de la recherche, comme d’ailleurs d’autres prix Nobel, montrent ceux de Claude Cohen-Tannoudji et Serge Haroche. Il fit pratiquement toute sa carrière au même endroit (Strasbourg) sur le même sujet (qui, bien sûr, évolua), dans le même organisme de recherche, le CNRS. Formé à l’Ecole nationale supérieure de chimie de Strasbourg, c’est donc un ingénieur de formation, typique des grandes écoles à la française. Sauf qu’il ne s’arrête pas là, comme l’écrasante majorité de nos ingénieurs – selon le modèle que nos élites soutiennent toujours (et à la différence de nos voisins allemands soucieux d’avoir des ingénieurs frottés à la recherche). Il passe donc sa thèse en 1971 sous la direction de Jean-Marie Lehn, autre spécialiste de chimie macromoléculaire, à l’université de la même ville.
Thèse brillante, il entre donc directement au CNRS l’année de sa thèse, en 1971 (un truc dont plus personne ne rêve dans les labos où passer sa thèse signifie démarrer une phase de CDD) et y reste jusqu’en 2009 (retraite, mais il continue de travailler comme « émérite »). Il représente donc le type même du chercheur « fonctionnaire » (en fait seulement depuis 1982) qui, selon Nicolas Sarkozy lors d’un discours célèbre le 22 janvier 2009, viendrait au labo parce que « c’est chauffé et il y a de la lumière ». Or, c’est justement ce statut qui permet aux scientifiques recrutés sur concours, largement ouvert à l’international aujourd’hui, de se consacrer entièrement à leur sujet de recherche. Tout en tissant des liens avec leurs pairs-concurrents-collaborateurs dans le monde et avec les universitaires, doctorants et autres personnels des laboratoires (aujourd’hui tous « mixtes » entre organismes de recherche et universités).
C’est donc en ayant « tout faux » au regard des responsables politiques tous formés à Sciences-Po – Ena et complètement étrangers au monde de la science et des laboratoires, que Jean-Pierre Sauvage construit une carrière qui, en creusant profond un même sillon, débouche sur des avancées scientifiques majeures.
L’agence de l’excellence
Dès 1983, il propose une stratégie pour synthétiser des molécules attachées entre elles comme les maillons d’une chaîne mécanique, objectif qui semblait à l’époque inatteignable. Il pose ainsi les bases d’une démarche d’investigation et d’invention (les molécules produites sont artificielles) dont la fécondité résulte justement de sa difficulté. Il y avait très loin, alors, de ces premières avancées aux « machines moléculaires » d’aujourd’hui.
Les pairs de Jean-Pierre Sauvage ont vite repéré ses compétences puisque dès 1978, le CNRS lui donne sa médaille de bronze (elle signale un jeune plein d’avenir), puis dès 1988 sa médaille d’argent (signalant la reconnaissance internationale), denombreux autres prix viendront ensuite, ainsi que son arrivée à l’Académie des sciences. Le CNRS n’aura pas la bonne idée de lui donner sa médaille d’or, mais le nomme dès 1979 directeur de recherche. La Société chimique de France a eu du nez en mettant en avant Jean-Pierre Sauvage dans son numéro d’avril 2016 de l’Actualité chimique.
Il est piquant de rapprocher ce prix Nobel du pastiche de l’Agence nationale de la recherche réalisé par les militants de l’association Sciences en marche. En créant le site Web de l‘Agence nationale de l’excellence scientifique, ils ne proposent pas seulement une bonne tranche de rire (jaune) aux universitaires, chercheurs, ingénieurs, doctorants et aux milliers de CDD qui peuplent les labos de France. Alors que le quinquennat de François Hollande n’a pas rompu avec la vague de reformes lancées par Nicolas Sarkozy, le bilan de cette politique reste à faire. Les milliers d’heures gâchées par les universitaires et les chercheurs des organismes dans le montage des nouveaux mécanos et dans les réponses (et les évaluations) des appels d’offres ont été soustraites à l’activité réelle de recherche et d’enseignement. Le grand œuvre de Sarkozy, repris par François Hollande, devait être le campus de Paris-Saclay. Il patine, l’Ecole polytechnique continue de vouloir faire bande à part, et le plus gros acteur, l’université Paris-Sud Orsay est toujours traitée comme un partenaire mineur par le gouvernement. La réorganisation nécessaire de l’offre d’enseignement supérieur et de l’activité de recherche en Île-de-France est toujours sans pilote dans l’avion. Un astrophysicien spécule sur l’avancée dans le classement de Shanghaï que représenteraient des fusions d’universités… mais qui s’intéresse vraiment à ce classement à part des responsables politiques qui n’en comprennent pas le sens ? Monter dans ce classement sans avoir produit un résultat de recherche de plus, ni formé un étudiant de plus, est-ce vraiment un bon signe pour le dit classement et son utilité ?
Pendant ce temps, les êtres humains raisonnables espèrent que sciences et technologies les aideront à limiter le changement climatique en utilisant moins d’énergies fossiles, de produire notre nourriture sans tuer les sols et massacrer les insectes, de fournir à tous moyens de vie et activités… autant d’objectifs que les savoirs et technologies actuelles ne permettent pas d’atteindre. Un peu moins « d’excellence » et un peu plus de contenus ne feraient donc pas de mal à nos politiques de formations supérieure et de recherche.
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