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mardi 10 mai 2011

Quand cesseront les comportements coloniaux en Afrique ; l'ancien président sud africains s'exprime..........


Une contribution de l'ancien président Sud-africain, M. Thabo Mbeki, parue dans le magazine Foreign Policy en date du 29 avril 2011, fait état de l’échec des Nation Unies dans la crise ivoirienne et encourage les Africains à prendre en main la résolution de leurs propres conflits.

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Une traduction intégrale de cette tribune historique faite de manière collaborative avec Inès D., Julie Owono et Archippe Yepmou. Qu'ils soient remerciés.
Théophile Kouamouo

Le second tour des élections présidentielles en Côte d’Ivoire, qui a lieu le 28 novembre 2010, a opposé deux adversaires politiques de longue date, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Pour cette raison, d’une importance stratégique, il était évident que cette élection déciderait de l’avenir du pays sur le long terme. Les personnes concernées auraient dû se poser cette question fondamentale : les élections de 2010 créeraient-elles les conditions permettant au peuple ivoirien de se projeter vers l’avenir ?

Cela n’a pas été fait.

En revanche, la communauté internationale a insisté sur le fait que pour mettre fin à la crise, la Côte d’ivoire devait tenir des élections démocratiques, quoique les conditions n’existaient pour aller à de telles élections. Bien qu’ils aient su que cette proposition était fondamentalement erronée, les Ivoiriens ne pouvaient pas résister à la pression internationale : ils devaient accepter d’organiser ces élections.

Cependant, la réalité objective est que les élections présidentielles ivoiriennes n’auraient pas dû se tenir au moment où elles se sont tenues. Il était parfaitement prévisible qu’elles renforceraient le conflit au lieu de l’éteindre.

La rébellion de 2002 en Cote d’ivoire a divisé le pays en deux parties, avec le nord dirigé par les Forces nouvelles, qui ont soutenu Alassane Ouattara, et le sud dans les mains du gouvernement dirigé par Gbagbo. Depuis lors, la Côte d'Ivoire a eu deux gouvernements, administrations armées et chefs « nationaux ».

Toute élection tenue dans ces circonstances renforcerait inévitablement les divisions et les animosités représentées et aggravées par la rébellion de 2002.

Les problématiques structurelles qui sont à la base de la rébellion de 2002 incluent des questions inflammables comme les tensions transnationales affectant particulièrement la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, les antagonismes ethniques et religieux ivoiriens, le partage du pouvoir politique, et l’accès au pouvoir et aux opportunités économiques et sociales. A cet égard, la communauté internationale a assidument refusé de prendre en compte les perceptions des pro-Gbagbo, qu’elles soient fondées ou pas, dans le sud de la Côte d’Ivoire – et dans une bonne partie de l’Afrique francophone.

Pour beaucoup, Ouattara est un étranger né au Burkina Faso, responsable avec le président burkinabé Blaise Compaoré de la rébellion de 2002. Son arrivée au pouvoir aurait comme conséquence la prise du contrôle du pays par des étrangers Burkinabés. De plus, il a toujours été prêt à faire avancer la cause des intérêts français en Côte d’Ivoire.

C’est parce qu’elle a pris tout cela en considération que l’Union africaine a compris qu’une solution durable à la crise ivoirienne nécessitait un accord politique entre les deux factions ivoiriennes belligérantes, centralisé sur les questions interdépendantes de la démocratie, de la paix, de la réconciliation nationald et de l’unité.

Dans les négociations qui ont lieu à partir de 2002, les Ivoiriens ont convenu que les élections présidentielles ne devaient pas se tenir jusqu'à ce que diverses conditions aient été remplies. Parmi celles-ci, la réunification du pays, la restauration de l’administration nationale sur tout le territoire national, et le désarmement des rebelles et de toutes les milices et leur intégration dans la machine de sécurité nationale, avec le dernier processus complété au moins deux mois avant les élections présidentielles. Malgré le fait qu’aucune de ces conditions n’ait été mise en place, on a permis que les élections se tiennent.

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En fin de compte, Ouattara a été installé comme président de la Côte d’ivoire. Gbagbo et son épouse ont été humiliés et emprisonnés. Beaucoup d’Ivoiriens sont morts et ont été déplacés, beaucoup d’infrastructures ont été détruites, et des animosités historiques ont été aggravées par cette situation.


Beaucoup de choses se sont radicalement mal passées.
Le consensus au sujet de ce qui aurait dû être fait pour créer les conditions pour des élections libres et justes a été ignoré obstinément et avec mépris. Le Conseil constitutionnel Ivoirien (CC) est le seul corps constitutionnellement autorisé à déterminer le gagnant dans n’importe quelle élection présidentielle et pour installer le président. La Commision électorale, la CEI, a obligation d’expédier les résultats provisoires au CC.


Cependant, les personnes qui insistent sur la sacralité de l’Etat de droit, fondamentale pour toute pratique démocratique, ont choisi de reconnaître illégalement les résultats provisoires annoncés par le président de la CEI de sa propre initiative, comme les résultats authentiques de l’élection présidentielle.

Comme la loi le prévoit, Gbagbo a contesté la régularité des élections dans certaines parties du pays, surtout dans le nord. Le CC, à tort ou à raison, a accepté la majorité des plaintes déposées par Gbagbo, a identifié d'autres irrégularités, annulé les votes dans certains districts, et déclaré Gbagbo vainqueur. Le président de la CEI n'a pas pris ces supposées irrégularités en compte et a décidé que Ouattara avait gagné.


L'envoyé du Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, son compatriote coréen Young-jin Choi, a également déterminé que Ouattara avait gagné, mais sur la base des moins de voix que celles annoncées par la CEI, après avoir déterminé que certains des plaintes déposées par Gbagbo étaient légitimes. Au sujet des suffrages exprimés en faveur des deux candidats, la CEI, le CC, et le Représentant spécial de l'ONU ont eu trois évaluations différentes.

Gbagbo a proposé que pour résoudre cette question, qui porte sur l'importante question de la volonté du peuple ivoirien, une commission internationale soit établie pour vérifier les résultats des élections, avec la condition préalable importante que lui et Ouattara reconnaissent la décision de la Commission. 

Cette proposition a été rejetée par la communauté internationale - en dépit du fait qu'elle aurait réglé le contentieux électoral, sans recourir à la guerre, et malgré le fait que certains observateurs électoraux aient mis en doute l'équité des élections, en particulier dans le nord de la Côte d'Ivoire. 

Par exemple, dans leurs rapports sur les élections dans le Nord, la mission d'observation électorale de l'Union africaine dirigée par Joseph Kokou Kofigoh, ancien Premier ministre du Togo, la mission indépendante de la société civile africaine pour la Démocratie et l'assistance électorale dirigée par Seynabou Indieguene de Sénégal, et la coordination des experts électoraux en Afrique (CAEE) du Cameroun, Sénégal, Bénin, Mali, Maroc, Gabon, Togo et dirigée par Jean-Marie Gondjibanganté du Cameroun, tous ont sonné l'alarme au sujet des élections dans le Nord. 

Par exemple, le CAEE a déclaré: «Après partage d'informations avec d'autres observateurs électoraux nationaux et internationaux, nous vous informons que le second tour de l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire a eu lieu au milieu de problèmes majeurs dans différentes régions du Nord ». 

"Ces problèmes sont le vol des urnes, l'arrestation des représentants des candidats, les votes multiples, le refus d'admettre des observateurs internationaux pour assister au comptage des bulletins de vote, et l'assassinat des représentants des candidats. A cet effet, nous déclarons que le second tour de scrutin n'a pas été libre, juste et transparent dans ces localités (nord). » 

Pour sa part, à ce jour, la mission d'observation électorale de la CEDEAO n'a pas publié son rapport sur le deuxième tour de l'élection présidentielle ! Pourquoi? 

Il apparaît clairement que la Commission internationale indépendante proposée par Laurent Gbagbo aurait pu être établie et habilitée à prendre une décision définitive et contraignante sur ce qui s'était passé. Le temps nous dira pourquoi cela n'a pas été fait! 

En outre, le Représentant spécial de l'ONU a pris la décision extraordinaire d’outrepasser son mandat en déclarant qui avait remporté l'élection présidentielle, contrairement à ses tâches comme indiqué par le Conseil de sécurité. La position de la Mission des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) dans le conflit ivoirien s’est avérée partisane, alors qu’on attendait d’elle qu’elle soit un artisan de la paix neutre, à égale distance des parties belligérantes. 

Ce choix fait, l'ONUCI n’avait pas d'autre possibilité que de travailler activement pour l'installation de Ouattara en tant que président du pays et la mise à l’écart de Gbagbo. En fin de compte, elle a utilisé de manière flagrante ses capacités militaires pour ouvrir la voie aux Forces nouvelles dans l’objectif de vaincre les forces de Gbagbo et de capturer Gbagbo, sous le prétexte indécent d’agir pour protéger les civils.
Quoique liée par son mandat de maintien de la paix qui lui imposait de s’interposer entre les forces belligérantes, l'ONUCI n'a rien fait pour arrêter la descente des Forces Nouvelles du Nord vers le Sud, jusqu'à Abidjan. Pas plus l'ONUCI que les forces françaises Licorne n’ont su respecter leur mandat des Nations Unies en agissant pour protéger les civils dans la région de Duékoué où, de toute évidence, des massacres de masse ont été perpétrés ! Ceci rappelle également la faillite et l’incapacité de l'Organisation des Nations Unies dans sa mission de mettre fin aux abus et meurtres les plus affligeants, commis sur des civils à l'est de la République démocratique du Congo !


La réalité ivoirienne conduit ainsi à de nombreuses conclusions irréfutables.

Les conditions d’un consensus politique pour la tenue d'élections démocratiques en Côte d'Ivoire n’avaient pas été créées. En dépit d’allégations de fortes fraudes électorales, la communauté internationale a décidé de ne mener aucune vérification du processus et des résultats annoncés. Cela a laissé sans réponse la question cruciale: qui en réalité a gagné ces élections, que Ouattara a pu gagner ?


L'Organisation des Nations Unies a décidé d'abandonner sa neutralité en tant qu’arbitre pour le maintien de la paix et est devenue une belligérante partisane dans le conflit ivoirien.

La France a utilisé sa place privilégiée au sein du Conseil de sécurité et s’est positionnée pour jouer un rôle important dans la détermination de l'avenir de la Côte d'Ivoire, son ancienne colonie dans laquelle, entre autres, elle a d'importants intérêts économiques. Elle a rejoint la position de l'Organisation des Nations Unies pour veiller à ce que Ouattara émerge en tant que vainqueur dans le conflit ivoirien.


Cette initiative répond à des intérêts nationaux de la France, conformément à saPolitique Françafricaine, dont le but est de perpétuer une relation particulière avec ses anciennes colonies africaines. Cela est conforme aux observations faites par l'ancien président François Mitterrand qui disait: « Sans l'Afrique, il n'y aura pas d'histoire de France au XXIe siècle », et celles de l'ancien ministre français de la coopération Jacques Godfrain qui confirma la maxime: "Un petit pays [ la France ], avec une petite quantité de force, nous pouvons déplacer une planète grâce à nos relations avec 15 ou 20 pays d'Afrique ... "

L'Union Africaine n'est pas non plus exempte de reproche, elle n'a pas pu s'affirmer pour convaincre tout le monde de travailler pour parvenir à la réconciliation entre les Ivoiriens, et donc pour une paix durable. Malheureusement, les résultats obtenus en Côte d'Ivoire ont approfondi le conflit endémique dans ce pays. C'est parce qu'elle a placé dans les mains exclusives de la rébellion de 2002 la capacité de déterminer l'avenir du pays, alors que la situation objective exigeait que le peuple de Côte d'Ivoire puisse déterminer sur une base égale les conditions de sa destinée commune.


Au cours de la décennie où il a été président de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo n’avait aucune possibilité d'agir de son propre chef pour réunifier le pays et réaliser la réconciliation entre ses diverses populations, malgré l'existence d'accords négociés à cet égard. En tant qu’actuel président du pays, Ouattara ne réussira pas à réaliser ces objectifs, en agissant en son nom propre et en faisant fi d’un accord honnête avec les parties de la population ivoirienne représentées par Gbagbo.


Ce qui est advenu avait été prévu par l'ambassadeur des États-Unis en Côte d'Ivoire, Wanda L. Nesbitt. En Juillet 2009, elle informait le gouvernement des États-Unis:

"Il semble à présent que l'accord de Ouaga IV, [le quatrième accord de l'accord politique de Ouagadougou, qui prescrivait que le désarmement doit précéder les élections], est fondamentalement un accord entre Blaise Compaoré [Président du Burkina Faso] et Laurent Gbagbo qui vise au partage du contrôle du nord jusque après l'élection présidentielle, en dépit du fait que le texte appelle les Forces Nouvelles à rendre le contrôle du Nord au gouvernement et au désarmement complet deux mois avant les élections …”

"Mais les 5.000 soldats des Forces Nouvelles qui doivent être «désarmés», et regroupés dans des casernes dans quatre grandes villes du Nord et l'Ouest jusqu'à ce qu'une nouvelle armée nationale soit créée, représentent une capacité militaire sérieuse que les FAFN [Forces Nouvelles] ont l'intention de garder en alerte et en réserve jusqu'à après l'élection. La remise du pouvoir administratif des FAFN aux autorités gouvernement civil est un pré-requis pour les élections mais, comme des voyageurs vers le nord (y compris des personnels des ambassades) l’ont confirmé: Les FAFN conservent le contrôle de facto de la région, en particulier lorsqu’il s'agit de questions de finances. "


L'incapacité à résoudre les "pré-requis pour les élections" a prédéterminé leurs résultats. Le «contrôle» du Nord par les Rebelles, selon la citation de l'Ambassadeur.

Nesbitt, a prédit le résultat de l'élection présidentielle de 2010. De même, c'était la "capacité militaire" de la rébellion, mentionnée par l'Ambassadeur Nesbitt, qui a été utilisée pour s'assurer que Ouattara devienne président de la Côte d'Ivoire.

Il n'est pas étonnant qu'alors que la crise post-électorale s'aggravait, Laurent Gbagbo ait crié : j'ai été trahi!


À la fin de tout cela, il ya de nombreuses victimes.

L'une d'elles est l'Union africaine. Les événements tragiques en Côte d'Ivoire ont confirmé la marginalisation de l'Union dans sa capacité à résoudre les défis les plus importants de l’Afrique.

Au lieu de cela, l'UA a affirmé la capacité des grandes puissances d'intervenir pour résoudre ces problèmes en utilisant leurs différentes capacités pour légitimer leurs actions en persuadant l'Organisation des Nations Unies d'autoriser leurs interventions égoïstes.

Les Nations Unies sont encore une autre victime. L'organisation a gravement compromis son acceptabilité comme une force neutre dans la résolution des conflits internes, comme celui de Côte d'Ivoire. Il sera désormais difficile pour l'Organisation des Nations Unies de convaincre l'Afrique et le reste du monde en développement qu'elle n'est pas un simple instrument entre les mains des grandes puissances. Cela a confirmé l'urgence de la nécessité de restructurer l'organisation, basée sur l'idée selon laquelle dans sa structure actuelle elle n'a pas la capacité d'agir en tant que représentant véritablement démocratique de ses Etats membres.


Ainsi, de diverses manières, les événements en Côte d'Ivoire pourraient servir de moment déterminant en termes de l'urgente nécessité de restructurer le système des relations internationales. Ils ont mis en évidence la réalité de l'équilibre mondial et l'abus de pouvoir dans l'ère post-guerre froide, et mis fin à la fiction selon laquelle les grandes puissances respectent la primauté du droit dans la conduite des relations internationales, même telle que définie par la Charte des Nations Unies, et selon laquelle, en tant que nations démocratiques, elles respectent les opinions des peuples du monde.


Nous ne pouvons qu'espérer que Laurent et Simone Gbagbo ainsi que le peuple ivoirien ne continuent pas à souffrir comme des victimes maltraitées et humiliées d'un système mondial qui, tout en se réclamant des droits universels de l'homme, ne cherche qu'à perpétuer la domination du plus grand nombre par quelques-uns qui disposent du prépondérant pouvoir politique, économique, militaire et médiatique.


Les procédés pervers et toxiques utilisés en Côte d'Ivoire nous amènent à nous poser cette question urgente : Combien d’abus de pouvoir flagrants devront encore subir l'Afrique et le reste des pays en développement avant que la vision d'un système démocratique de la gouvernance mondiale ne devienne réelle ?

Le rêve d'une Afrique digne, indépendante et imaginative ?

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