Il y a quelques jours, "notre" (sic) gouvernement canadien reconnaissait le Conseil national de transition (CNT) libyen.
Le CNT a été créé le 27 février 2011. Il s’est auto proclamé gouvernement libyen, et ce, sans la moindre élection, sans le moindre référendum. Il est surprenant que "notre" (sic) gouvernement reconnaisse ainsi un groupe ayant une représentativité si douteuse. Sans connaître le nombre de citoyens-nes libyens-nes l’appuyant, on le "reconnaît" ! Nous sommes loin de la loi sur la clarté référendaire et la volonté citoyenne claire [1].
Le 5 mars dernier, le CNT s’est déclaré « seul représentant de la Libye » et a porté Mahmoud Jibril Ibrahim al-Wourfalli à sa présidence . M. al-Wourfalli est un ancien ministre ayant servi le gouvernement Kadhafi pendant bon nombre d’années, on le disait grand ami du fils du colonel, Saïf al-Islam.
Le CNT comprend à la fois des opposants de longue date au régime et des personnes qui ont fait défection récemment.
On disait aussi que le CNT était présidé par Moustapha Abdeljalil [2], ancien ministre libyen de la Justice (depuis 2007), qui a démissionné le 1er février dernier, soit au début du mouvement de contestation. Selon The Economist[3] ce traditionaliste est soutenu par les islamistes et les tribus. C’est lui qui, à deux reprises, a confirmé la peine de mort des infirmières bulgares emprisonnées en Libye entre 1999 et 2007. Il était alors président de la Cour d’appel de Tripoli. [4]
Il y a aussi Khalifa Haftar, un ancien général libyen rentré de 20 années d’exil aux États-Unis à la mi-mars. La semaine passée, il a été nommé à la tête de l’armée rebelle.
Bien avant "notre" (sic) gouvernement, la France reconnaissait ce groupe douteux comme étant le gouvernement "légitime" de la Libye. On note toutefois qu’il y a eu un peu plus de débat :
Mme Dominique Voynet :
« Vous me permettrez de le dire, mais l’ardeur manifestée, la précipitation avec laquelle fut improvisée la reconnaissance du Conseil national de transition libyen… »« Nos avions bombardent aujourd’hui les bases militaires d’un État que les fabricants français ont largement fourni en armements et pour le principal dirigeant duquel a été déployé, de façon obscène, le tapis rouge lors de sa venue dans notre capitale.Le compte-rendu du débat se termine par Mme Marie-Agnès Labarre disant : « nous déplorons l’absence de vote au Parlement sur la participation de la France à l’intervention militaire. »
D’ailleurs, il y a quelque chose de profondément étrange dans le fait d’entendre certains, ici, cracher son patronyme en y ajoutant « et sa clique », cependant que, voilà quelques mois encore, on parlait avec dévotion et respect du « président Kadhafi » ou du « colonel Kadhafi ».
À lire si le cœur vous en dit : http://www.senat.fr/seances/s201103...
Nous aussi nous déplorons qu’il n’y ait eu aucun vote ni aucun référendum pour lancer le Canada en guerre. Une tuerie couteuse en vies libyennes et en dollars canadiens.
Dans mon article précédent [13], j’étalais les coûts. Généralement, tout est ramené aux coûts. Bien des projets meurent dans l’œuf ou sont donnés au "privé" à cause des fameux coûts. Bien des projets nous sont interdits parce qu’ils sont "au dessus de nos moyens". La guerre semble faire magistralement exception à cette règle s’appliquant radicalement à tous les autres domaines.
Nous sommes entrés en guerre après une période de conditionnement médiatique visant à fabriquer notre consentement. Ce fut une réussite. L’arme médiatique, appuyée par le discours politique, a été d’une efficacité fulgurante dès le début.
De toute évidence, les mensonges du passé ayant servi à justifier les guerres ne nous ont rien enseigné. Nous sommes toujours aussi manipulables. Nous avalons goulument la propagande, aussi grossière soit-elle.
Nous avons avalé les ADM, ce mensonge mis en lumière par la réalité. Nous avons avalé les couveuses du Koweït [5]. Nous nous sommes mis en bouche le mantra médiatique diffamatoire disant : « Kadhafi tire sur son peuple sans défense avec des avions de chasse »
La rumeur servant la propagande nous a été servie à pleine page et a fait des ravages. Un littéral lavage de cerveau collectif s’est opéré. Bien des questions n’ont tout simplement pas été abordées. Par exemple : La Libye , est-ce la révolution comme partout ailleurs ? [6]
Un rapport pourtant trrrès intéressant est, de façon incompréhensible, passé totalement inaperçu dans nos grands médias.
Il s’agit de « Libye : Un avenir incertain » Compte-rendu de mission d’évaluation auprès des belligérants libyens, Paris, Mai 2011. Un rapport de 44 pages.
Organisée à l’initiative du Centre international de recherche et d’études sur le terrorisme et d’aide aux victimes du terrorisme (CIRET-AVT [7]) et du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R [8]), et avec le soutien du Forum pour la paix en Méditerranée [9].
Une délégation internationale d’experts s’est rendue tour à tour à Tripoli et en Tripolitaine (du 31 mars au 6 avril), puis à Benghazi et en Cyrénaïque (du 19 au 25 avril), afin d’évaluer la situation libyenne en toute indépendance et neutralité et de rencontrer les représentants des deux parties.
Bref, ce groupe a réalisé une des étapes que le Venezuela suggérait afin de trouver une solution pacifique au conflit libyen, soit l’étude sur le terrain et la rencontre avec les intervenants. [10]
Cette mission était composée de
- Mme Sayda BenHabylès (Algérie), ancienne ministre de la Solidarité , ancien Sénateur, membre fondateur du CIRET-AVT, Prix des Nations Unies pour la société civile,
- Mme Roumiana Ougartchinska (France/Bulgarie), essayiste, journaliste d’investigation,
- Le Préfet Yves Bonnet (France), préfet honoraire, ancien député, ancien directeur de la Surveillance du territoire (DST), président du CIRET-AVT,
- Mr Dirk Borgers (Belgique), expert indépendant,
- Mr Eric Denécé (France), directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R),
- Mr André Le Meignen (France), expert indépendant, vice-président du CIRET-AVT.
Leur enquête sur le terrain permet de répondre assez clairement à la question : La Libye, est-ce la révolution comme partout ailleurs ? [6]
Leur rapport précise aussi la composition du fameux CNT reconnu par les partisans de la guerre libyenne.
Je vous invite à prendre un peu de votre temps pour le lire en entier.
Ce document [11] nous livre un peu plus que de la rumeur et tente de cerner la réalité.
En voici quelques extraits :
(La Libye, est-ce la révolution comme partout ailleurs ? )
Le mouvement libyen ne peut donc être comparé avec les révoltes populaires tunisienne et égyptienne.
le CNT … Les véritables démocrates n’y sont qu’une minorité.
La Libye est le seul pays du « printemps » arabe dans lequel le risque islamiste s’accroît…
La Cyrénaïque étant la région du monde arabe ayant envoyé le plus grand nombre de djihadistes combattre les Américains en Irak.
L’intervention occidentale est en train de créer plus de problèmes qu’elle n’en résout. (page 7)
La majorité des acteurs internationaux affirment avec force l’implication active du régime dans le terrorisme international, en soulignant sa responsabilité dans les deux attentats du DC 10 d’UTA et de Lockerbie [12].
Certains experts, et non des moindres, ont émis des doutes sur la paternité des services libyens dans ces deux opérations (Claude Silberzahn, ancien directeur de la DGSE. Cf. Pierre Péan, Manipulations africaines. Qui sont les vrais coupables de l’attentat du vol UTA 772 ? Plon, Paris, 2001.) (page 8)
Kadhafi a réellement développé son pays, à la différence des despotes d’Afrique subsaharienne, même si lui et ses proches se sont considérablement enrichis depuis son arrivée au pouvoir. La redistribution de la rente, même inégalitaire, a permis d’assurer la paix sociale.
En 1969, lorsque le colonel Kadhafi accède au pouvoir par un coup d’État qui renverse la monarchie, le peuple libyen est un des plus pauvres au monde avec un revenu annuel par habitant de moins de 60 dollars.
Aujourd’hui, grâce au « socialisme arabe » du gouvernement et la manne pétrolière, la Libye connaît un de plus hauts niveaux de vie du monde arabe, et le plus élevé en Afrique. La plupart des familles libyennes sont propriétaires de leur domicile et la plupart possèdent une voiture.
Le système public de santé, gratuit, est l’un des meilleurs du monde arabe de même que l’éducation, également gratuite, et largement ouverte aux femmes.
Le pays dispose d’équipements publics et urbains de bonne qualité. Les routes sont bien entretenues, de très nombreux logements étaient en construction au déclenchement de la révolution ainsi qu’en attestent les chantiers interrompus. (page 9)
La situation socio-économique de la Libye est la suivante : sous la monarchie, elle était l’un des pays le plus pauvre du monde. Aujourd’hui, elle se classe au 53e rang mondial pour l’indice de développement humain - devant la Russie , le Brésil, l’Ukraine et Venezuela. Elle est considérée comme le pays le plus développé en Afrique.
Les mercenaires…
En Tunisie et en Égypte, la jeunesse s’est révoltée car elle ne trouvait pas de travail. En Libye en revanche, l’économie faisait appel à trois millions de travailleurs immigrés. Le chômage était inexistant et le niveau de vie convenable au regard des critères internationaux.
La Libye a été un acteur majeur du développement et de l’indépendance du continent africain
Kadhafi a permis à l’Afrique de connaître une véritable révolution technologique, grâce au financement du premier satellite africain de communications. (page 10)
Le projet d’établissement d’une constitution, rompant radicalement avec les préceptes du Livre vert, est en préparation, rédigé avec l’aide d’éminentes personnalités étrangères, membres de la fondation Khadafi1 : les professeurs Joseph Nye (États unis), Francis Fukuyama (États unis), Benjamin Barber (États unis) et Tony Giddens, (Royaume uni).
Ainsi, le régime, malgré son lourd passif, est en pleine évolution. Kadhafi s’apprête même à annoncer de nouvelles réformes quand la « révolution » vient tout interrompre. (page 12)
Bien des choses ont été écrites sur les « mercenaires » servant dans les forces de sécurité libyennes, mais peu sont exactes. (page 13)…les niveaux de la vie économique libyenne : une très forte proportion de travailleurs étrangers en quête d’un emploi dans le pays. (page 14)À la lecture de ce rapport, il semble assez évident que l’Occident s’est mis une fois de plus, les pieds dans un conflit sanglant où nous allons nous enliser.
En Libye, le régime a, grâce à la recette pétrolière, procédé à une véritable redistribution des richesses, même si elle reste très inégalitaire.
Benghazi est connu comme un foyer d’extrémisme religieux. … les femmes, intégralement voilées, ne conduisent pas et leur vie sociale est réduite au minimum.
Depuis le début de la rébellion, plusieurs centaines de travailleurs immigrés, Soudanais, Somaliens, Éthiopiens et Érythréens, ont été détroussés ou assassinés par les milices rebelles. Ce fait est soigneusement caché par les médias internationaux. (page 15)
Jusqu’à fin février, les villes de l’ouest libyen ont connu de fortes tensions et des affrontements - lesquels ont été moindres à l’est - mais leur relation a fait l’objet d’exagérations, voire de désinformation pure et simple. À titre d’exemple, l’information reprise par les médias occidentaux selon laquelle l’aviation du régime aurait bombardé Tripoli est parfaitement inexacte : aucune bombe libyenne n’est tombée sur la capitale, même si des affrontements sanglants semblent avoir eu lieu dans certains quartiers.
La même erreur est délibérément commise quand les médias arabes et occidentaux affirment que le régime a tiré sur sa propre population. La mission s’est rendue sur place et n’a rien constaté de tel. Pourtant, la chaîne Al-Jazira est présente à Tripoli. Ses reporters, souvent occidentaux, travaillent sans obstruction de la part du régime. (page 16)
La contestation libyenne - malgré son caractère populaire à l’origine - ne représente pas l’ensemble de la population
Si les « révolutions » tunisienne et égyptienne furent des « révoltes à mains nues », dans le cas libyen, la révolte accouche très vite d’un affrontement militaire et passe rapidement de l’insurrection populaire à la guerre civile. (page 17)
Deux professeurs d’université de Benghazi - rencontrés fortuitement à Djerba - nous ont dit qu’ils avaient vu surgir dans l’université des « étudiants » qu’ils ne connaissaient pas et qui ont lancé le mouvement. Ces derniers ont menacé et molesté les professeurs qui ne prenaient pas parti pour leur cause et ne scandaient pas leurs slogans. (page 18)
Nous avons observé en ville de très nombreuses inscriptions murales - très appliquées et aux slogans très travaillés - indéniablement non spontanées, destinées à des visiteurs étrangers, au premier rang desquels les journalistes, rédigées en français, en anglais et en turc. (page 19)
L’insurrection de Ziaouia - située à moins de 50 kilomètres de la capitale - était préparée et coordonnée, et n’avait a priori rien de pacifique et de spontané.
Les manifestants « actifs » n’étaient que quelques centaines (de 300 à 500), en majorité libyens – parmi lesquels un certain nombre revenait de l’étranger
Il y a également eu des exactions (femmes violées, quelques policiers isolés tués) et des victimes civiles pendant ces trois semaines au cours desquelles la ville était sous le contrôle des insurgés. Les victimes ont été tués « à la mode » des GIA algériens (égorgés, yeux crevés, bras et jambes sectionnés, parfois corps brûlés). Une partie de la population, apeurée, a alors fui la ville.
La « révolution » libyenne n’est donc pas une révolte pacifique. Le mouvement n’est pas né dans la capitale et n’a pas de racines socio-économiques. (page 20)
Il est ainsi maintenant évident que les dirigeants occidentaux - au premier rang desquels le président Obama - ont grossièrement exagéré la menace humanitaire pour justifier leur action militaire en Libye.
Avant la révolution, la Libye , même totalitaire, offrait emplois et revenus à sa population et à de très nombreux travailleurs étrangers, africains et asiatiques. (page 22)
Les membres de la mission ont été très surpris par le caractère artificiel de cette « révolution » par procuration, dont les acteurs brandissent des drapeaux étrangers, scandent le nom de Sarkozy et réclament une intervention de l’OTAN pour parvenir à leurs fins, qu’ils affirment démocratiques. (page 27)
Certaines frappes de l’OTAN ont eu des conséquences dramatiques pour les populations civiles.
A Mizda, alors qu’elles visaient des installations militaires, des frappes aériennes de l’OTAN auraient touché l’hôpital, les logements de fonctions des médecins et une quarantaine d’habitations situées à proximité, faisant de nombreux blessés parmi les civils et le personnel médical, dont des médecins nord-coréens. (page 30)
La résolution 1973 de l’ONU n’autorise en rien un assassinat politique, tenté à plusieurs reprises. (page 32)
Dès le début des opérations aériennes, des équipes de la CIA furent déployées en Libye. (page 33)
La situation n’a donc rien de comparable avec les révoltes populaires tunisienne et égyptienne. (page 42)
Ce qui devait être une victoire facile est devenu un semi-échec que seuls les médias dissimulent. (page 43)
Et il est clair que ceux qui en font les frais sont les pauvres Libyens et les pauvres Libyennes.
Merci d’y réfléchir.
Serge Charbonneau
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