Traduit de l’édition du week-end en hébreu de Haaretz par D. M.
Voici de longs extraits des discussions du 13 février, retranscrites et publiées dans la lettre d’information de l’académie prémilitaire Yitzhak Rabin de Tivon. Les noms des soldats ont été modifiés pour préserver leur anonymat. Les éditeurs ont également omis des détails relatifs à l’identité des unités mises en cause.
Danny Zamir (directeur de l’académie) : Je n’ai pas l’intention d’évaluer les résultats et l’impact politico-diplomatique de l’opération «Plomb durci» ce soir, ni de traiter de ses aspects militaires. Une discussion est cependant nécessaire. Il s’agit en effet d’une guerre qui fera date dans l’histoire de l’armée israélienne car elle a posé de nouvelles limites pour le code moral de l’armée et celui de l’Etat d’Israël dans son ensemble. Il s’agit d’une opération qui a semé la destruction parmi les civils. […]
Aviv (de la brigade des Givati) : Un de nos officiers a vu une personne s’avancer sur la route, une femme, une vieille femme. Elle était à une certaine distance mais quand même assez proche pour être vue. Si elle était suspecte ou non, je ne sais pas. Au bout du compte, il a envoyé des hommes sur le toit pour qu’ils la tuent. […]
Zamir : Je ne comprends pas. Pourquoi l’a-t-il tuée ?
Aviv : C’est ce qui est apparemment si plaisant à Gaza : vous voyez quelqu’un suivre son chemin sur une route. Il n’a pas besoin d’avoir une arme, vous n’avez pas besoin de l’identifier, vous pouvez tout simplement lui tirer dessus. Dans notre cas, il s’agissait d’une vieille femme qui, autant que j’aie pu le voir, ne portait pas d’arme. […]
Gilad (un soldat) : Avant même que nous n’entrions à Gaza, le commandant du bataillon a insisté sur une leçon très importante de la deuxième guerre du Liban : la nécessité d’entrer en territoire ennemi avec une grosse puissance de feu pour protéger la vie des soldats. Durant l’opération à Gaza, les pertes militaires israéliennes ont été vraiment peu élevées et le prix pour cela est que de nombreux Palestiniens ont été tués.
Ram (de la brigade des Givati) :Nous sommes tombés sur une maison dans laquelle se trouvait une famille. Notre entrée s’est faite calmement. Nous n’avons pas ouvert le feu, nous avons juste dit à tout le monde de descendre. Nous les avons rassemblés dans une pièce, avons quitté la maison et avons été remplacés par une autre unité. Quelques jours après, les soldats ont reçu l’ordre de faire sortir la famille. Certains d’entre eux avaient pris position sur le toit où était stationné un tireur d’élite. Le commandant a fait sortir la famille et leur a dit de se diriger vers la droite. Une femme et ses deux enfants n’ont pas compris et sont partis vers la gauche. Les soldats ont oublié de dire au tireur sur le toit qu’ils avaient l’autorisation de partir et qu’ils ne devaient pas tirer. Il a fait ce qu’il devait faire, il suivait les ordres.
Question du public : A quelle distance se trouvait-il ?
Ram :A 100 ou 200 mètres. Ils [les civils palestiniens, ndlr] étaient sortis de la maison et avaient commencé à avancer. Tout d’un coup le tireur les a vus, des gens qui marchaient dans une zone où ils ne devaient pas être. Je ne crois pas qu’il a été troublé de ce qui s’est passé. De son point de vue, il n’a fait qu’appliquer les ordres. L’atmosphère générale, autant que j’ai pu la percevoir à travers les discussions avec la plupart de mes hommes… Je ne sais pas comment le décrire… Disons que la vie des Palestiniens est beaucoup beaucoup moins importante que la vie de nos soldats.
Yuval Friedman (instructeur en chef de l’académie militaire) : N’y avait-il pas une procédure pour demander la permission d’ouvrir le feu ?
Ram :Non. Cela existe, mais seulement jusqu’à un certain point. L’idée qui prévaut est qu’il ne faut pas laisser s’échapper [les hommes armés du Hamas]. Si un terroriste s’approche trop près, il peut faire exploser la maison ou un truc comme ça.
Zamir : Et après la mort de civils, suite à une erreur de ce type, mènent-ils une enquête au sein de l’armée ? Réfléchissent-ils à comment cela aurait pu être évité ?
Ram : Personne de l’unité d’enquête de la police militaire n’est encore venu. Pour tous les incidents, il y a des enquêtes individuelles et des examens de la conduite générale de la guerre. Mais il n’y a rien eu de spécifique dans ce cas précis.
Moshe (un soldat) : L’attitude est très simple : ce n’est pas agréable à dire, mais personne ne prend cela au sérieux. Nous ne faisons pas d’enquêtes, que ce soit lors des combats ou lors des contrôles de sécurité routiniers.
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