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lundi 19 mars 2012

Comment l’histoire répète-t-elle les arguments contre la réduction du temps de travail ?


La vieille rengaine du patronat


Juin 1936. La semaine tombe à quarante heures. Les maîtres de forges en Lorraine tonnent contre ce qu’ils baptisent « la loi de fainéantise sociale » : « Nos entreprises sont perdues. Comment relever le pays si nos ouvriers habitués à la tâche et fiers de l’accomplir travaillent deux fois moins ? La France va à sa ruine. Et tous, nous pâtiront de ce luxe de paresse ! » La chanson contre la réduction du temps de travail est une vieille rengaine. Au fil des siècles, les archives déclinent les mêmes arguments.
Nous sommes en 1848. La journée de travail du textile lyonnais vient de passer de quatorze à douze heures. Pour la chambre patronale des soieries, c’est la catastrophe. Elle adresse au préfet une supplique pour dénoncer la dangerosité et l’amoralisme de la nouvelle loi : « Nous attirons votre attention sur les graves conséquences qu’auraient à subir nos industries au cas où la loi venait à être appliquée. Vous le savez, la main-d’œuvre ici est exigeante et hors de prix. Avec quatorze heures, nous tenions à peine. Douze heures précipiteraient les faillites. Le travail, dans nos entreprises, a toujours commencé à quatre heures du matin, repos d’un quart d’heure à midi, repos final à dix-huit heures Les filles employées s’y livrent sans que leur santé n’en ait jamais été altérée et sans qu’elles ne se plaignent de leur sort par ailleurs envieux quand on songe à tous les “sans-travail” qui écument les rues. Ici, la main-d’œuvre est plus coûteuse qu’à l’étranger. Si nous maintenions le même salaire pour la journée réduite à douze heures, la partie ne serait plus tenable. Nous serions dans l’obligation de fermer nos manufactures et de les transporter là où l’ouvrière est la moins dispendieuse. Et puis, que l’on ne se trompe pas, l’ouvrière ramenée à douze heures continuerait à se lever à l’aurore pour n’arriver à la manufacture qu’à la minute obligatoire, plus disposée à se reposer des occupations auxquelles elle aurait vaqué dehors qu’à attaquer avec ferveur le travail de nos fabriques. Redevenue plus tôt libre le soir, elle n’en profiterait pas dans l’intérêt de son sommeil. Il y aurait à craindre pour la moralité de celles qui, étant sans famille, se verraient affranchies de toute surveillance pendant deux longues heures de la soirée. » Le texte est éloquent. On entendra la même remarque pour réprouver la loi qui interdit aux enfants le travail dans les mines : « Loi qui porte atteinte au droit du travail et à la liberté individuelle », 1919. La loi des huit heures suscite les mêmes réactions. Voici ce qu’écrit un entrepreneur de la métallurgie : «On en veut à ceux qui font la richesse du pays. Il est sûr que nos industries péricliteront, et puis que feront nos ouvriers de tout ce temps vacant ? Désœuvrement, fréquentation plus assidue des estaminets. Décidément, la morale n’est plus du côté du gouvernement. Faudra-t-il bientôt que nous transportions nos industries dans les colonies ? »
Un dernier exemple. 12 novembre 1938. Par une série de décrets, baptisés « décrets misère », le gouvernement Daladier supprime les acquis du Front populaire. Entre autres, la semaine de quarante heures. L’argument mérite citation : « Cette loi de paresse et de trahison nationale est la cause de tous les maux de notre économie. Elle va précipiter la chute de la France. On ne peut pas avoir une classe ouvrière avec une “semaine de deux dimanches” et un patronat qui s’étrangle pour faire vivre le pays ! »
Deux ans plus tard, reprenant les mêmes arguments, Pétain, à la une ces jours-ci pour son antisémitisme exacerbé, balayera les dernières lois sociales et les syndicats qui en étaient à l’origine
Par Michel ETIEVENT, écrivain, historien, journaliste. 
source : L'humanité.fr

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