L’indignation ne peut tenir lieu de politique étrangère. La France a tout à perdre à se lancer dans une aventure hasardeuse à la remorque des États-Unis.
“Punir ceux qui ont pris la décision infâme de gazer des innocents.” Mardi 27 aout, devant les ambassadeurs réunis à Paris à l’occasion de leur grand-messe annuelle, François Hollande a choisi le registre de la morale pour évoquer la tragédie syrienne. Un ton et un vocabulaire qui rappelaient curieusement celui de George Bush et des néoconservateurs américains tentant de justifier la calamiteuse expédition d’Irak. Quelques excellences ont discrètement haussé un sourcil interrogateur devant cette rupture avec l’approche cyniquement réaliste dont se réclame traditionnellement la diplomatie française. L’indignation, la compassion et les bons sentiments ne sont pas des vertus en matière de politique étrangère. Le gazage probable de civils par les troupes de Damas constitue un pas de plus dans l’échelle de la barbarie, même s’il reste à démontrer qu’il est préférable d’être envoyé ad patres par un obus plutôt que par des moyens chimiques. La guerre de Syrie a déjà fait 100 000 morts, tués par des armes tout à fait conventionnelles.
L’usage des gaz est-il un motif suffisant pour se lancer dans une aventure hasardeuse aux objectifs flous ? Cinq raisons, au moins, auraient dû inciter François Hollande à ne pas s’associer à une frappe contre la Syrie.
Première raison : il s’agit d’une guerre civile. La société syrienne est une mosaïque religieuse et ethnique : sunnites, alaouites, chrétiens, Druzes, Kurdes. Elle est profondément divisée. Les alaouites (environ 12 % de la population) constituent le coeur du pouvoir et le fer de lance de l’appareil répressif. Mais beaucoup de Syriens qui ne portent pas nécessairement Assad dans leur coeur redoutent une prise de pouvoir des islamistes radicaux. Les chrétiens ont peur. La grande majorité d’entre eux sont orthodoxes et considèrent la Sainte Russie comme leur protecteur historique. La bourgeoisie sunnite s’inquiète devant la multiplication des exactions dans les zones “libérées”. Résultat : Assad a sans doute encore 30 ou 40 % des Syriens qui le soutiennent ou s’accommodent de sa présence.
Deuxième raison : c’est une confrontation régionale sunnites-chiites. Même si les alaouites sont de curieux chiites (ils croient à la réincarnation, vénèrent Aristote et Alexandre le Grand), ils appartiennent cependant à la grande famille de ceux qui se réclament de la descendance de Mahomet. Par opposition aux sunnites qui voient dans l’oumma, la communauté des croyants, la seule légitimité. La fracture entre frères ennemis de l’islam remonte à la nuit des temps. Au VIIe siècle (680) plus exactement, quand Hussein, petit-fils du prophète, périt à la bataille de Kerbala face aux troupes de Yazid, calife de Damas. Depuis, les chiites ont pris leur revanche. Ils gouvernent la Syrie par alaouites interposés, ont un poids politique crucial au Liban avec le Hezbollah. Grâce aux Américains, ils ont pris le pouvoir à Bagdad, où l’Iran exerce désormais une influence déterminante. Une montée en puissance mal supportée par le monde sunnite. Si l’Arabie saoudite et le Qatar apportent une aide active aux insurgés syriens, ce n’est pas pour promouvoir la démocratie et les droits de l’homme, mais pour renverser un gouvernement chiite allié de l’Iran
Troisième raison : la France n’a pas la maîtrise du jeu. Les rodomontades de François Hollande ne peuvent occulter une triste réalité : ce sont les États-Unis qui sont maîtres de la manoeuvre. Au Mali, la France pouvait conduire les opérations militaires et veiller à la mise en place d’une solution politique. En Syrie, elle est, pour des raisons militaires et politiques, à la remorque de Washington. Dans le sillage du général de Gaulle, Paris a longtemps cultivé une singularité dans l’Orient compliqué. Ce qui lui permettait de jouer un rôle non négligeable entre Nil et Euphrate. L’alignement sur les États-Unis prive la France de tout espace politique et expose dangereusement le bataillon français déployé au Liban dans le cadre de la Finul.
Quatrième raison : un séisme régional n’est pas à exclure. Si les frappes programmées sont très limitées, l’incendie sera peut-être vite circonscrit. Mais si l’on entre dans un cycle de bombardements-représailles, le pire est à redouter. La Syrie est sur la ligne de fracture d’une sorte de tectonique des plaques géopolitiques. L’ébranlement peut s’étendre au Liban, à Israël, à l’Irak, au détroit d’Ormouz où transite une partie importante du pétrole mondial. Si les frappes surviennent dans les tout prochains jours, le G20, samedi 5 septembre à Saint-Pétersbourg, risque d’être mouvementé, une majorité de participants étant hostiles à une action militaire en Syrie. Les Russes pourraient bien être poussés à aider encore davantage Assad et à se dissocier des Occidentaux sur le dossier nucléaire iranien.
Cinquième raison : l’hostilité des opinions publiques. Le bon peuple ne voit pas très bien pourquoi et pour quel objectif il est urgent d’aller guerroyer en Syrie même par le truchement de simples tirs de missiles. Les sondages confirment que les Français, les Britanniques, les Américains sont tous à peu près sur la même longueur d’onde. Échaudées par le précédent irakien, les opinions publiques sont très sceptiques. Elles n’ont pas tort : mercredi 28 août, une douzaine d’attentats ont encore fait 60 morts en Irak.Le bilan est d’environ 1 000 tués en juillet, soit 3 700 victimes depuis le début de l’année. Certes, c’est un peu moins qu’en Syrie, mais enfin…
Pour moi, la meilleure raison reste néanmoins que BHL soit pour :
Ceci étant, si quelqu’un peut m’expliquer en quoi gazer 1 500 personnes, c’est plus grave que de les bombarder, pillonner, attaquer au mortier, écraser au char, bruler au lance-flammes, passer au mouli-persil, etc, je suis preneur. (NB juridique. La Syrie n’a jamais ratifié la convention de Genève, elle a donc le droit internatinal d’utiliser des gaz, au passage. S’il y a des crimes, seul le Conseil de Sécurité peut décider d’agir. A défaut, on est dans un crime d’agression, crime à la base du procès de Nuremberg)
De même, si quelqu’un peut m’expliquer pourquoi on laisse tranquille les putschistes égyptiens aux mains pleines de sang (en continuant à les payer d’ailleurs), le dictateur de Bahrein (reçu en grandes pompes par Hollande), les monarques d’Arabie Saoudite ou bon nombres de dictateurs africains…
De même, je n’arrive pas à comprendre en quoi bombarder un autre pays musulman va renforcer notre sécurité… J’ai tendance à penser que ce sera plutôt le contraire… Mais bon, c’est vrai que ça fait un moment qu’il n’y a plus d’attentats à Paris…
Pierre Beylau dans le Point
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