Grand résistant, l’ancien secrétaire général adjoint du Conseil national de la Résistance (CNR), député des Vosges, député apparenté communiste au Parlement européen et président délégué de l’Anacr, Robert Chambeiron est mort non sans avoir transmis la mémoire de son engagement humain.
Robert Chambeiron était le témoin et le dernier acteur vivant du Conseil national de la Résistance (CNR). Né le 22 mai 1915, il est décédé à l’âge de 99 ans. Sa disparition a été annoncée à quelques heures de l’année de ses cent ans et du soixantedixième anniversaire de l’application des grandes mesures du programme du CNR, « les Jours heureux »… La Sécurité sociale, la création des services publics, les grandes nationalisations, la protection de l’enfance, etc. Depuis ses plus jeunes années et jusqu’à son dernier sou e, il n’a eu de cesse d’être un ardent militant de ces avancées et des valeurs humaines, sociales et politiques qu’elles portent, comme il l’a rappelé dans nos colonnes (nous republions son dernier entretien). À l’annonce de son décès, si les communiqués o ciels et déclarations publiques, jusqu’à celui du chef de l’État, n’ont pas manqué, nombreux ont été les messages de soutien et de condoléances l’Humanité, auquel il tenait, jusqu’à en être un donateur et souscripteur régulier, et encore il y a quelques jours. Autant dire que cette voix franche et engagée de la Résistance a trouvé des relais auprès des générations de ce XXIe siècle. Le sens de son engagement a été transmis. L’Humanité veut se faire l’écho de ce passage de témoin en ouvrant son événement du premier numéro de la nouvelle année à cet hommage populaire et porteur d’avenir. Le parcours de Robert Chambeiron nous invite à poursuivre cet engagement en faveur de la dignité humaine et de la justice sociale.
Né à Paris dans une famille républicaine, un an seulement après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, Robert Chambeiron devient fonctionnaire après ses études secondaires et, très vite, s’implique dans la vie politique. Nous sommes dans les années 1930, le fascisme rôde, le nazisme croît. Les fronts populaires se constituent et les premiers résistants se lèvent. Terriblement conscient de la menace brune, en tant qu’humaniste, républicain social et démocrate antifasciste, il s’engage à gauche, résolument, pour le progrès et la justice sociale. Il fait partie de ces femmes et de ces hommes pour qui le pire étant en train de prendre de la force, l’engagement est au prix d’une vie. Il n’a alors que vingt et un ans. En 1936, avec Jean Moulin et Pierre Meunier, il entre au cabinet de Pierre Cot, ministre de l’Air du gouvernement du Front populaire. Mais l’engagement du jeune homme est rapidement mis à rude épreuve. Mobilisé dans l’aviation en 1939, et démobilisé en 1940, il retrouve Jean Moulin et ses amis, notamment Pierre Meunier. Ce sera le combat de la Résistance. « J’étais antifasciste et je me suis le plus naturellement du monde engagé pour combattre les deux visages du fascisme, celui de l’occupation et celui de Vichy. (…) Moulin, au mois de novembre 1940, au moment de sa révocation, nous a expliqué qu’il fallait se grouper, s’organiser, s’unir et résister. » Les années de résistance sont lourdes de risques. Il réside dans le quartier des Buttes-Chaumont. Quatre ans de clandestinité dans le Paris occupé par les nazis. Quatre ans durant lesquels « la Résistance mange toutes les minutes de votre journée » (1). Lorsque, à partir de 1942, après son voyage à Londres, Jean Moulin devient le représentant du général de Gaulle, il lui confie différentes missions en zone Nord. C’est ainsi qu’en compagnie de Pierre Meunier, il participe aux négociations qui aboutissent à la fondation du CNR. Tous deux organisent la première réunion qui se tient en plein Paris occupé, le 27 mai 1943, chez René Corbin, rue du Four. Robert Chambeiron devient secrétaire général adjoint du CNR.
Une traversée du XXe siècle avec conviction
La promesse du programme politique du CNR adopté le 15 mars 1944 ne le quittera plus jamais. À la Libération, délégué à l’Assemblée consultative provisoire en 1944-1945, il est élu député des Vosges en octobre 1945. Inscrit d’abord au groupe radical, il le quitte après avoir approuvé le projet constitutionnel de Pierre Cot, le 19 avril 1946. Le Parti radical déclare son exclusion officielle. Réélu en juin 1946, il siège parmi les apparentés communistes et il est à nouveau réélu en novembre 1946. Avec des militants issus de l’Union des républicains progressistes (URP) et avec des éléments issus du Parti socialiste unitaire (premier PSU) et de l’Union des chrétiens progressistes (UCP), il est un des fondateurs, le 9 décembre 1950, de l’Union progressiste (UP), dont il assurera le secrétariat général. Celle-ci admet la double appartenance (2). Son parcours traverse ainsi le XXe siècle et les débats qui secouent et animent la gauche. D’abord au sein de la famille radicale, antifasciste de la première heure, il entre dans la Résistance, aux côtés de Jean Moulin, sous l’autorité du général de Gaulle. À la Libération de la France, Robert Chambeiron, fidèle à l’esprit de résistance, militant de la dignité humaine et de la justice sociale, devient dès lors compagnon de route des communistes durant plusieurs décennies. Il est élu au Parlement européen en 1979 sur la liste communiste, avec l’étiquette UP, puis réélu en 1984. L’une des dernières prises de position de l’UP est, en 1992, un appel à voter contre la ratification du traité de Maastricht. Il est proche de Jean-Pierre Chevènement et de son courant. Président délégué de l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance (Anacr), Robert Chambeiron est très actif lors du cinquantième anniversaire du CNR. Le 27 mai 1993, il réaffirme l’actualité du programme économique et social du CNR et ne cessera d’en transmettre le sens et d’en dénoncer les attaques.
Un passeur d’une page de l’histoire de notre pays
Grand officier de la Légion d’honneur en 1997, il fut élevé au grade de grand-croix en 2001. Dernier survivant de la rue du Four, Robert Chambeiron se présente au début du XXIe siècle comme le porteur de la mémoire du CNR et réaffirme à de nombreuses reprises que « tourner le dos à l’esprit du programme du CNR, c’est tourner le dos au progrès ». De porteur, il devient passeur de cette page de l’histoire de notre pays, il en resituera les enjeux lors d’une rencontre inédite en 2010, à l’initiative des Amis de l’Humanité, avec Edmonde Charles-Roux et des jeunes résistants d’aujourd’hui, engagés dans les mouvements de jeunesse (3). La Résistance, intransigeante sur ses objectifs sociaux, n’a pas d’âge ou plutôt, elle est de tous les âges. Et la menace brune (ce qui n’a rien à voir avec la couleur de la chevelure, on le voit aujourd’hui) n’est jamais loin. Résistance.
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