Bel exemple d’eurofascisme dans le débat Moscovici / Le Pen, quand le ministre a osé traiter ignominieusement Jacques Sapir “d’économiste d’extrême droite”, pour ses travaux sur la sortie (indispensable…) de l’euro.
Moscovici se livre à un amalgame digne des heures sombres : “je ne sais plus si Sapir est d’extrême-gauche ou d’extrême-droite”, pour finalement choisir : “Sapir est vraiment d’extrême-droite”. Rires de Mme Le Pen qui l’interroge : “d’extrême-droite Sapir ?” ; et Moscovici a alors cette réponse magnifique : ” Oui, puisqu’il est proche de vos idées”. On lui rappelle alors que Sapir est plutôt proche de Mélenchon ; alors Moscovici, avec un sourire méprisant, a un geste que l’on peut traduire sans le surinterpréter : “Mélenchon aussi est quelque part entre extrême-droite et extrême gauche…”La réponse de Sapir :
lundi 10 février 2014
Quand le PS sert de bras armé au capital ou quand Moscovici traite Jacques Sapir "d'économiste d'extrême droite" . Quand je vous dis que tout fout le camps cher monsieur . Plus sérieusement la réponse de Jacques Sapir , non la crise que nous traversons n'a rien de risible ... c'est dramatique tout simplement dramatique/ Ce que Sartre aurait appelé des “saloperies”… par Jacques Sapir
Les temps sont malsains. À force de prétendre que nous sommes dans une situation comparable aux funestes « années 1930 », certains journalistes et hommes politiques sont en train de créer une atmosphère particulièrement délétère. Les insinuations, les amalgames et les mensonges tiennent lieu aujourd’hui d’arguments. On a franchi un nouveau cap avec l’article du sieur Colombani dans Direct Matin et avec les accusations proférées à mon endroit par Pierre Moscovici, Ministre de l’économie et des finances.
Les deux m’apparaissent liés. On en voit l’origine : la volonté d’un pouvoir aux abois et d’une élite discréditée de sauver l’Euro à tout prix en qualifiant les adversaires de la monnaie unique d’extrémistes. C’est en soi un acte de déni de la démocratie. Mais on pourrait aussi les comparer à ce que Jean-Paul Sartre appelait des “saloperies”1. Rassurons les; l’histoire ne repasse pas les plats. Ce n’est pas les “années trente” qui nous attendent, mais quelque chose de nouveau. Le raisonnement dans des cadres conceptuels dépassés ne sert qu’à masquer des problèmes d’aujourd’hui, qui eux sont bien réels. L’histoire s’écrit la première fois en drame et la seconde en farce. Reste que cette farce à sa raison d’être. Au mieux le refus d’admettre ses erreurs. Au pire, des intérêts particuliers qui aujourd’hui s’opposent à celui du plus grand nombre.
Commençons par le sieur Colombani, ci-devant ancien directeur du Monde, directeur de Slate.fr, et qui devrait savoir, pourtant, que les mots ont un sens. Il écrit donc, dans le journal gratuit Direct Matin du lundi 3 février2:
« Une France du rejet de l’autre – aussi bien l’immigré que l’Européen, l’Arabe ou le Juif – est en train de s’affirmer. C’est la France du repli identitaire et du refus de l’euro. »
Venant après les diverses manifestations de ces dernières semaines, ces phrases procèdent à 2 amalgames. Le premier, assez ignoble, entre des expressions de l’antisémitisme (car Juifs ET Arabes sont des sémites…) et un sentiment anti-européen. Que des personnes aient manifestées leur haine des Juifs et des Arabes est une chose. C’est stupide, c’est immonde, mais c’est. Et nous savons que ces gens ne sont qu’une petite minorité. Mais, associer dans la même phrase un mouvement anti-Union Européenne et ces illuminés est un amalgame qui non seulement est ignoble, on l’a dit, mais de plus parfaitement irresponsable. Le sieur Colombani sait parfaitement, on n’occupe pas les responsabilités qui furent les siennes sans y acquérir quelques rudiments de sociologie, que cet amalgame entre deux mouvements parfaitement différents dont le but est de discréditer le mouvement anti-UE, va aboutir à légitimer la folie des antisémites de tout poil. Notons, d’ailleurs, qu’il y a un amalgame au sein de l’amalgame : c’est de traiter d’anti-Européens des gens qui contestent l’Union Européenne. Et je signale au sieur Colombani qu’un récent sondage réalisé aux Pays-Bas montre que 55% des personnes interrogées sont partisans d’un retrait de l’UE3. Or, l’Union Européenne n’est pas l’Europe. Une partie des pays européens ne sont pas dans l’UE, et l’on ne confond pas une réalité géographique avec une institution.
Le second amalgame est clairement insultant et encore plus ignoble que le premier. C’est l’assimilation du rejet de l’Euro (qui progresse à l’évidence dans notre pays et chez nos voisins4 ) aux groupuscules identitaires. Je signale au sieur Colombani que certains groupuscules de cette mouvance sont de plus favorables à l’Euro. Mais, ici encore, c’est bien la volonté de diffamer, de nuire, qui se manifeste. Il faut à tout prix montrer que seuls les « extrêmes » s’opposent à l’Euro. Alors, nous avons plus d’un tiers des Français qui sont extrémistes. Est-ce à cela que vous voulez aboutir sieur Colombani ? Non seulement vos propos sont ignobles et insultants, mais ils sont surtout parfaitement et profondément irresponsables. En fait, les positions anti-Euro rassemblent largement, à droite comme à gauche. L’appel du European Solidarity Manifestoprouve, s’il en était besoin, que cette opposition vient de tous les milieux, et que des économistes parfaitement connus et ayant exercé des responsabilités importantes les soutiennent5. Mais, l’ignoble est un registre qui n’est hélas pas étranger au sieur Colombani. Il avait tenu des propos similaires lors du référendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel. Quelle que soit la manière dont on les entend, ils peuvent constituer une “saloperie” au sens où l’entendait Jean-Paul Sartre.
Ce genre de propos n’est d’ailleurs pas nouveau. Fin novembre 2013 on y avait été déjà confronté avec le dossier du Point, reprenant des affirmations fausses et diffamatoires, et dont il fut rendu compte dans la note « La Littérature à l’estomac »6.
Les dits de Pierre Moscovici.
Il se fait, par le plus grand des hasards, qu’il y eût ce même lundi 3 février débat sur France 2 entre Pierre Moscovici et Marine le Pen. Or, à cette occasion, Pierre Moscovici a dit que j’étais un économiste d’extrême droite. Notons, tout d’abord, que la formule n’a pas de sens. Un économiste peut être classé parmi les différentes écoles de la pensée économique. On peut dire qu’il est « néo-classique », « hayekien », « keynésien », « néo-keynésien », « post-keynésien », « monétariste », « marxiste » ou, en France en particulier, « régulationniste », et j’en oublie certainement. Il s’agit de qualifier l’origine de sa pensée, en se référant aux textes qu’il utilise et qu’il produit. Mais, parler d’un économiste d’extrême droite ou d’extrême gauche n’a tout simplement pas de sens. C’est confondre la position du citoyen avec celle de l’économiste. On ne peut qualifier quelqu’un qu’en référence à ses propos, à l’oral ou à l’écrit. Or, je mets au défi Moscovici et consorts de trouver dans mes écrits et mes paroles quoi que ce soit qui fasse l’apologie d’idées d’extrême droite. Quand on se permet d’accuser, on prouve, ou on se tait! Et, de plus, je le renvoie à la brève note que j’ai publiée sur ce sujet7. Mais, Pierre Moscovici ne se contente pas d’être, au regard des résultats qu’il obtient, ce que certains pourraient considérer comme un déplorable Ministre des Finances8, Il me connaît personnellement. Il a donc menti en pleine connaissance de cause. Il faut alors se demander pourquoi.
La réponse pour moi est claire : ce sont mes positions sur l’Euro, positions que je tiens publiquement depuis 2006, qui sont la cause de ce gros mensonge. Comme les positions anti-Euro sont en train de progresser dans la société française, à l’instar du sieur Colombani, on sort la grosse artillerie. C’est donc l’air de la calomnie qui nous est chanté sur tous les tons.
Joseph Goebbels, de sinistre mémoire, disait déjà qu’il voulait jouer sur l’émotion et non la raison. Peu importe donc les arguments que j’ai pu avancer, arguments qui peuvent être considérés comme juste ou faux suivant les opinions, mais qui n’en restent pas moins des arguments. Il s’agit de me déconsidérer et, à travers moi, tous ceux qui pensent que l’Euro est une mauvaise chose, et ils sont de plus en plus nombreux que ce soit parmi les économistes9 ou dans la population. Il s’agit de les associer, dans les représentations collectives, avec ce monstre à cent têtes qu’est « l’extrême droite ».
La ficelle est donc un peu grosse. Surtout, venant d’un Ministre qui fait son possible pour accroître la désespérance de la population, qui courbe l’échine devant les banques et les banquiers. On attendait autre chose d’un Ministre de la République. Je le dis publiquement: c’est indigne et c’est scandaleux. Qu’il soit partisan de l’Euro est son affaire. Cela ne prouve qu’une chose, que ses connaissances en économie sont limitées, à l’évidence. Mais, son savoir faire dans la communication est quant à lui expéditif, à l’image de son ambition.
Pierre Moscovici, Ministre des Finances de la République, a donc commis, un acte bien détestable. Que cela ait été fait dans le cadre d’un débat public et télévisé ne change rien à l’affaire. Je constate d’ailleurs que le meneur de jeu de l’émission, Monsieur Yves Calvi, s’est aussitôt démarqué de ces propos, sachant fort bien qu’ils pourraient, si j’en exprimais l’envie et le désir, donner lieu à une action en justice.
Une origine présidentielle.
Mais, qu’il s’agisse de Colombani ou de Moscovici, il est clair que l’on n’a pas affaire à des dérapages individuels, qu’un âme charitable pourrait mettre sur le compte d’un aveuglement passager. Ces attaques sont hélas trop coordonnées, et elles reprennent les mêmes thèmes, ce que les « communicants » appellent des « éléments de langage ». Cela ressemble fort à une “ligne” qui serait désormais appliquée. Il faut alors se souvenir des pratiques qui avaient cours dans l’URSS stalinienne d’antan. Dès que le Bureau Politique avait émis une condamnation, on devait la transcrire en attaques où l’odieux le disputait à l’ignoble, quand elles ne tombaient pas dans le ridicule. On pourrait faire une intéressante comparaison entre ces pratiques, qui sont bien connues des historiens, et l’attitude du journaliste comme du Ministre.
Tout ceci remonte, qu’on le veuille ou non, au Président. Qu’il l’ait voulu ou pas, cette “ligne”, à n’en pas douter, est issue de son discours, de son affirmation violente, presque désespérée, que l’Euro c’est l’Europe n’en laisse pas douter. Que l’on regarde les mots choisis (Ouverture de la conférence de presse du président de la République au Palais de l’Élysée le 14 janvier 2014. http://www.elysee.fr/ declarations/article/ ouverture-de-la-conference-de- presse-du-president-de-la- republique-au-palais-de-l- elysee-le-14-janvier-201/):
« Je ne laisserai pas faire, au cours des prochains mois, ceux qui veulent en terminer avec l’idée européenne. Pas seulement en France, il y en a d’autres, parfois même aux gouvernements. Je ne laisserai pas faire ceux qui veulent en terminer avec l’idée européenne ou ceux qui veulent briser l’acquis communautaire, c’est-à-dire tout ce qui a été fait depuis des générations et des générations. Je ne laisserai pas non plus faire ceux qui veulent sortir de l’euro, qui pensent ainsi sauver la Nation alors qu’ils la mettent en péril. Parce que notre avenir, c’est dans l’Europe… »
On retrouve, là aussi, l’assimilation de l’Euro à l’Europe, et ce alors que tout le monde sait que des pays importants, la Grande-Bretagne et la Suède par exemple, font partie de l’Union Européenne mais pas de la zone Euro. On retrouve l’expression de ce sentiment d’exaspération avec la répétition du « je ne laisserai pas faire… », qui permet à Emmanuel Todd de montrer avec brio comment l’inconscient vient ici affleurer le dit10. Il est aujourd’hui clair que voyant le projet européiste confronté à des attaques nouvelles, convergentes, et qui montent en puissance, confronté à une réalité qui diverge de plus en plus de son idéologie, François Hollande ne trouve plus que dans la politique du mensonge d’issue. Mais, il ne peut que savoir que cette issue ne fonctionne qu’à court terme. On retrouve ici la trace des méthodes du « fascisme doux » décrit par nombre de romanciers, dont évidemment Aldous Huxley dans le « Meilleur des Mondes ». Il faut aussi se souvenir de ces lignes de Gunther Anders, dans l’Obsolescence de l’Homme11, qui m’ont été communiquées par un correspondant :
« En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur. L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutienne devront ensuite être traités comme tels. »
Mais que tous le sachent et ce quel que soit leur position de pouvoir : tout ce qui est possible sera fait pour mettre leurs projets en échec et les empêcher de rejouer la farce des années trente à leur seul profit. L’analyse des défauts et de l’échec de la monnaie unique est aujourd’hui partagée par de nombreux économistes, dont des prix Nobel, tant en France qu’à l’étranger. Je ne me laisserai pas intimider par des attaques qui déshonorent ceux qui les portent. Mais je les préviens : ils m’en rendront politiquement raison.
Jacques Sapir : ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s’est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.
http://www.les-crises.fr/
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