Connu pour son franc-parler et ses défis – comme l’ascension de l’Everest, racontée dans Un tocard sur le toit du monde (JC Lattès, 2010) – le journaliste Nadir Dendoune vient de consacrer un documentaire à L’affaire Salah Hamouri. Un film dans lequel il questionne le faible intérêt des médias pour le cas de ce franco-palestinien, emprisonné pendant sept ans par l’armée israélienne.
C’est grâce aux internautes que Nadir Dendoune a financé son documentaire, L’affaire Salah Hamouri. « Deux ans de galère et de labeur », résume ce journaliste indépendant, passé par France Télévisions, Le Parisien ou encore Le Courrier de l’Atlas, pour lequel il signe « La chronique du tocard ». À l’inverse de cet exercice hebdomadaire engagé, Nadir Dendoune a mené ici une démarche documentaire classique. « Ce n’est pas un travail de militant, mais de journaliste, insiste-t-il. J’expose le point de vue de personnes qui ont suivi le dossier de A à Z ou qui ont soutenu Salah Hamouri. »
Parmi elles ? Denise, la mère de Salah Hamouri, Charles Enderlin, l’ex correspondant de France Télévisions à Jérusalem, Jean-Claude Lefort, ex-président de l’association France Palestine Solidarité et du comité de soutien à Salah Hamouri, Patrick Le Hyaric, directeur de L’Humanité, l’essayiste Dominique Vidal, Jonathan Curiel, membre du comité de soutien à Gilad Shalit, ou encore Richard Prasquier, président du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF).
« J’ai aussi pris contact avec les ministres des Affaires étrangères de l’époque, Bernard Kouchner et Alain Juppé. J’ai eu un refus catégorique de leur part. C’est dommage. J’aurai pu leur poser certaines questions. Par exemple, pourquoi la France a-t-elle été timide sur ce dossier ? », interroge Nadir Dendoune
Un dossier vide ?
Petit rappel des faits. Le 13 mars 2005, Salah Hamouri, 19 ans, étudiant à l’Université de Béthléem, est arrêté par l’armée israélienne près du check-point de Qalandiya, qui relie Jérusalem à Ramallah. « Il a été accusé d’appartenir au Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), considéré comme un mouvement terroriste par l’État israélien. Pourtant, le FPLP fait partie de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), qui traite directement avec les autorités israéliennes », explique Nadir Dendoune.
« Il n’a jamais été prouvé que Salah Hamouri faisait partie du FPLP. Il a été aussi condamné pour une « intention de » tuer le rabbin Ovadia Yosef, ancien chef du parti ultra religieux Shass1. Sauf qu’on n’a jamais retrouvé d’armes. C’est une histoire abracadabrantesque »,poursuit-il. En 2011, Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, reconnaîtra d’ailleurs que le dossier judiciaire contre Salah Hamouri était « vide ». Et le 18 décembre 2011, après sept ans de détention, le jeune homme sera finalement libéré, en échange de la libération de Gilad Shalit, soldat franco-israélien capturé par le Hamas en juin 2006.
Pourquoi ce silence ?
Comme beaucoup de Français, Nadir Dendoune a pris connaissance de cette affaire par la voix de l’acteur François Cluzet, invité au JT de France 2 le 8 novembre 2009. Membre ducomité de soutien de Salah Hamouri, le comédien interpelle alors Jean-François Copé, qui ne semble pas avoir eu vent du dossier2. « À l’époque, je travaillais avec France télévisions. Personne n’en avait entendu parler. J’ai cherché à savoir pourquoi il y avait un silence autour de cette affaire », raconte Nadir Dendoune.
Si elle a permis de rendre publique cette affaire, l’intervention de François Cluzet déclenche aussi les foudres du Bureau National de Vigilance contre l’Antisémitisme (BNVCA), qui saisit le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, dénonçant « un plaidoyer en faveur de la libération d’un terroriste ». Sans succès : deux mois plus tard, le CSA classe l’affaire, tandis que France 2 a décidé de consacrer un reportage à ce sujet.
C’est là, d’ailleurs, le cœur du documentaire de Nadir Dendoune. Mêlant images d’archives et témoignages, son film met en parallèle le traitement médiatique de cette histoire et de celle de Gilad Shalit, qui a eu plus d’échos en France. « Le portrait de Gilad Shalit été affiché sur le fronton de l’Hôtel de ville de Paris. Ses parents ont été reçus par Nicolas Sarkozy,rappelle le journaliste. Denise Hamouri a demandé à plusieurs reprises à être reçue par le chef de l’État. Elle n’a jamais eu de réponse. Elle a juste été reçue par l’un de ses conseillers. Pourtant, Salah est un civil français. Gilad Shalit est un soldat. C’est triste pour ses proches qu’il ait été détenu. Mais je suis comme Renaud : à choisir entre un soldat et un civil, mon coeur va plus vers le civil. Les médias eux, se sont emparés de l’affaire Gilad Shalit, mais n’ont pas évoqué le Salah Hamouri. »
Malaise dans les rédactions ?
« Benjamin Barthe, qui était correspondant du Monde à Ramallah, s’est étonné qu’après quatre ans d’emprisonnement de Salah, et, malgré le remue-ménage qu’a fait sa mère, il n’y ait même pas eu de dépêche AFP [Agence France Presse, ndlr]. Le seul journal à en avoir parlé, c’est l’Humanité », poursuit le documentariste. Un manque d’intérêt qu’il trouve d’autant plus étrange que les médias français « sont habituellement friands de ce genre d’histoires ». Et d’expliquer : « Salah Hamouri, qui est français par sa mère, n’a qu’un passeport français. Comme tous les citoyens arabes de Jérusalem, il n’a pas de passeport israélien, juste une carte de résidence permanente ».
Pourquoi, dès lors, une telle absence d’information quant à la situation d’un ressortissant français ? « Je l’ai vu dans ma carrière de journaliste : le conflit israélo-palestinien est une question sensible, qui génère de l’autocensure. Il faut toujours faire gaffe à ce qu’on dit. On chuchote dans les rédactions. On sent une gêne, un malaise ». Une attitude qui, selon lui, est loin d’apaiser les esprits. « Il n’y a rien de pire qu’une parole qui n’est pas libre – dans les limites de la loi. C’est là que des gens deviennent frustrés, constate-t-il. On parle de liberté d’expression tous les jours. Mais cette liberté d’expression est à géométrie variable. Certaines personnes ont moins droit de cité que d’autres. En Angleterre, en Belgique, en Suisse, la parole est plus libre. »
Chantage à l’antisémitisme
En France ? Parler de la Palestine dans les médias, c’est prendre le risque de se faire traiter d’antisémite, explique ainsi Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales stratégiques (Iris), interrogé dans le film.De son côté, l’ex-correspondant du Monde à Ramallah, Benjamin Barthe, fait le lien entre ce malaise journalistique et un contexte français complexe, marqué par la mémoire de la Shoah et une plus grande familiarité avec l’histoire d’Israël qu’avec celle de la Palestine.
Interviewée dans le film, Gwenaëlle Lenoir, reporter à France 3 pendant plus de dix ans, dit ainsi avoir souffert de la frilosité de sa hiérarchie. « Elle voyait ce qui se passait dans les colonies. Elle ne faisait que son boulot : rapporter les faits, précise Nadir Dendoune. Mais pour ces événements, les rédacteurs en chef lui demandaient toujours de faire « équilibré ». Sur autre sujet, personne n’aurait l’idée de donner la parole avec la même force à l’opprimé, qui subit une occupation militaire depuis 1967, et à l’oppresseur. Comment faire équilibré quand des colons arrachent des oliviers ? Quand un type tire une bastos sur un autre, tu ne vas pas donner la parole au tireur. C’est dû à l’ignorance du sujet, mais aussi aux pressions, au chantage à l’antisémitisme. On a taxé Stéphane Hessel d’antisémite alors que c’était un homme de paix ! »
Interrogé dans le documentaire, le président du CRIF, Richard Prasquier, estime quant à lui que Salah Hamouri est un terroriste. « Pendant toute la période où un comité de soutien a milité pour sa libération, il est monté au créneau. Le CRIF a l’habitude de dénoncer toute critique de la politique israélienne en renvoyant dos à dos l’anti-sionisme et l’antisémitisme. Toutes les émissions qui parlent des colonies israéliennes en Palestine sont accusées de faire bouillir la marmite de la haine », souligne Nadir Dendoune.
Susciter un débat
« Richard Prasquier dit que montrer les choses rajoute de la haine. Je ne pense pas. Au contraire. On ne peut pas vivre dans un pays où les gens ne se parlent pas, ne débattent pas. Quand on voit la haine qu’il y a sur les réseaux sociaux… ! Je crois que plus on montre, plus ça apaise. Les gens en concluent que les médias sont libres et divers. Ce qui m’importe, c’est que cette question ne soit pas confisquée. Quand on a une carte de presse, il ne doit pas y avoir de sujets tabous. C’est comme ça qu’on avance », estime le documentariste.
En témoigne dit-il, les échanges qui ont suivi les projections. « On m’a dit : « Si on avait plus de débat comme ça, ça serait bien! ». Les gens étaient libres de dire ce qu’ils voulaient sans avoir de pression. Certains ont appris des choses. On ne voyait pas l’autre comme un méchant. C’est l’objectif du film. C’est un peu ce que disait Emmanuel Todd dans Qui est Charlie ?. Même si je ne suis pas d’accord sur tout. On a le droit d’avoir des parcours différents, de penser différemment. De ne pas croire à tout ce qu’on nous dit, sans pour autant être catalogué comme un dangereux extrémiste, estime Nadir Dendoune. Ce film est une invitation à débattre d’une question qui l’a peu été ».
Notes :
1 Décédé depuis, de mort naturelle, en 2013.
2 Pas plus que l’ancien ministre de la Défense Gérard Longuet qui, lors d’une interview sur France Inter le 19 octobre 2011, affirmait n’en avoir jamais entendu parler.
2 Pas plus que l’ancien ministre de la Défense Gérard Longuet qui, lors d’une interview sur France Inter le 19 octobre 2011, affirmait n’en avoir jamais entendu parler.
Julien Le Gros est un journaliste indépendant, spécialisé sur les cultures d'Afrique. Il a notamment écrit dans pour Jazzman - Jazz magazine, Afriscope, Mondomix.. mais aussi sur Internet avec Africultures, Mondafrique, Tribune 2 l'artiste, International Hip Hop. Il a fait des reportages au Kenya, Cameroun, Côte d'Ivoire, Burkina Faso, Sénégal et récemment en Guinée Conakry sur le virus Ebola.
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