lundi 27 juillet 2015
Jacob l'ancien président du CNJA (filiale jeune de la FNSEA) se comporte comme un seigneur à Provins /connaissant l'homme cela ne me surprend pas /
C’est comme si fouler les rues pavées de sa ville médiévale lui avait laissé croire qu’il en était le seigneur. «Seigneur Jacob», c’est d’ailleurs ainsi qu’on l’appelle en coulisse. Mais en chuchotant. Depuis son arrivée en 2001 à la mairie de Provins (Seine-et-Marne), 12 000 habitants, cet enfant du pays autodidacte et un brin réac maintient sa commune dans une sorte de féodalité. A tel point que des Provinois malmenés par la municipalité ont fini par contacter Libé pour venir voir de plus près.
Il pleut ce matin-là. Seuls deux ou trois touristes solitaires arpentent les pavés, sortant leur perche à selfie quand la pluie se calme. Nous sommes pourtant en juillet. A l’abri dans un café, quand on demande au gérant ce qu’il pense de la gestion de Monsieur le maire, on s’entend répondre dans un rire gêné : «Ah non, ici on parle d’amour, pas de politique !» Présent à Provins au moins trois jours par semaine, le chef de file du groupe Les Républicains (LR) à l’Assemblée adoube à coup de bise, et désavoue d’un simple regard froid lancé sur la voie publique. Dans une arrière-boutique de la rue principale, un couple de quinquagénaires téméraires parle haut et fort : «Ici, c’est une monarchie absolue. Si on n’abonde pas dans le sens de la mairie, on vous balaye.»
Comme beaucoup de petites villes, la municipalité tient ici fermement les rênes du pouvoir. Amendes intempestives, places en crèche refusées, commerces boycottés, terrasses interdites, emplois municipaux inaccessibles et marchés gérés par la mairie perdus. Par téléphone, les témoignages se multiplient, mais il n’est pas aisé de trouver des personnes qui acceptent de s’exprimer ouvertement. «J’ai trop à perdre», nous explique-t-on. «Ici, c’est comme dans les pays de l’Est, si vous dites quelque chose de travers, c’est terminé. Je suis désolée.» Rumeurs de villages et pressions de la mairie ont fini par faire régner un climat de paranoïa. Certains sont même persuadés que leur téléphone a été mis sur écoute, d’autres refusent une interview en terrasse. Puis abdiquent. «De toute façon, on nous a déjà repérés…»
Mais dans cette omerta généralisée, un libraire sème le trouble depuis quelques semaines. Il s’appelle Jean-Philippe Delvaux, et il «refuse de [se] taire». Depuis que sa sœur s’est présentée sous l’étiquette PS aux départementales, face au poulain de Christian Jacob, Olivier Lavenka, son commerce s’est vu retirer systématiquement tous les marchés gérés par la municipalité. Soit 50 000 euros de commandes. «Moi, je n’ai rien demandé. Je ne soutenais personne», assure ce doctorant en philosophie politique. Lorsqu’en début d’année les commandes de la bibliothèque municipale qu’il fournissait depuis vingt ans s’arrêtent brutalement, le libraire, inquiet, écrit à la mairie. Sans réponse. Il se tourne alors vers la presse locale. Les représailles sont immédiates : en juin, c’est au tour des écoles d’annuler leurs commandes. Alors que la moitié des établissements scolaires de la commune s’approvisionnaient chez le libraire, la mairie annonce qu’elle lance un appel d’offres. Sans surprise, Jean-Philippe Delvaux ne remporte pas le marché. Mieux, le nom du candidat retenu - une papeterie de Meaux, fief du grand ami du député-maire, Jean-François Copé - est annoncé aux écoles le 2 juillet, alors que la commission d’appel d’offres devait se réunir le lendemain. Et, comme il protestait, le libraire téméraire a reçu le 4 juillet un appel de l’office du tourisme lui annonçant que son dépôt de livres dans leur boutique, qui lui rapportait une dizaine de milliers d’euros par an, allait prendre fin. «Une décision politique», lui explique-t-on au téléphone.
Face à de telles pressions financières, le libraire risque de devoir fermer son commerce. Excédé, il l’a même mis en vente sur le site Leboncoin pendant un moment, avant de se raviser. Les habitants se sont mobilisés et ont lancé une pétition qui a récolté environ 1 400 signatures. Notaires, médecins, agriculteurs, commerçants viennent désormais dans la petite librairie pour témoigner leur soutien. «A bas les magouilles politicardes et vive la culture !» écrit-on en bas du texte. «Je signe parce que si une librairie ferme, ce sont des cerveaux qui sèchent. Je signe parce que les méthodes d’intimidation dont usent certaines municipalités sont la honte de notre République», a noté un autre. Côté mairie, aucun scrupule. «Monsieur Delvaux ferait mieux de se concentrer sur sa librairie plutôt que de faire de la politique politicienne sur les réseaux sociaux», assène Christian Jacob àLibération.
A Provins, seuls lui et ses hommes sont légitimes à faire de la politique. Quid de sa promesse de campagne de continuer son partenariat avec la seule librairie de la ville ? «On s’est engagés à travailler avec quelqu’un de raisonnable. A partir du moment où il attaque la municipalité, on ne peut plus travailler avec lui. Alors, pour faire cesser les polémiques, j’ai lancé un appel d’offres», ajoute le maire. Haussement d’épaules de l’intéressé. «Ils me tapent dessus parce qu’ils ne sont pas habitués à ce qu’on parle. Et parce qu’ils sont allergiques à tout ce qui tire vers le rose…» Il y a quelques mois, une rumeur de village lui prêtait des intentions politiques. Un soir, alors qu’il fermait sa librairie, Jean-Philippe Delvaux reçoit la visite d’un conseiller municipal. Il vient l’avertir, «en ami» : «Attention, on commence à dire que tu es de gauche…» «En fait, résume le libraire, dès qu’on vous soupçonne d’être de gauche, on vous mine.»
Chez les commerçants, l’acharnement manifeste de la part de la mairie ne surprend personne. Dans la commune, on répète sans cesse qu’«on l’avait pourtant prévenu». Dans la ville de Christian Jacob, on est même comptable des opinions de ses proches : «Delvaux, quand sa sœur s’est présentée, je me suis dit : il est con, il a un commerce, c’est dangereux ce jeu-là. Quand on s’oppose à Jacob, il vous coule, raconte un commerçant. Moi, j’ai compris le système. Je ne parle plus de politique, je me fais tout petit, et j’ai pris ma carte au parti. C’est hypocrite, je sais, mais depuis que je me suis encarté chez Les Républicains, on ne m’emmerde plus.» Plus de menaces d’enlever la terrasse, d’amendes intempestives, de boycott de son commerce. «Ça me tue de leur donner les 40 euros de cotisation par an, ajoute-t-il, mais à Provins c’est le prix à payer pour avoir la paix.» Au téléphone, un autre commerçant confirme : «Par définition, ici, si on se lève, on a la tête coupée. Il faut montrer patte blanche et prendre sa carte au parti. Ici, c’est la Corse.» C’est vrai qu’avec le recul, on a vu des cartes UMP toute la journée. A la caisse de Monoprix, au café. Interrogé sur le nombre d’encartés dans sa ville, Christian Jacob répondra par un texto lapidaire : «Je ne vois pas le rapport avec votre papier.»
«Finalement, il a réussi à instaurer la peur», résume Joëlle Siorat, une des rares élues de l’opposition. «Aujourd’hui, avec son rôle de chef de file au Parlement, je ne suis pas sûre qu’il ait toujours autant de pouvoir localement. Mais une fois qu’on a installé la peur, c’est bon, on peut se retirer. Le système marche tout seul.» Un climat notamment entretenu par ses «gros bras», comme les appellent les gens du coin. Sa garde rapprochée, composée notamment de ses deux adjoints, Ghislain Bray et Olivier Lavenka. Ces deux éternels fidèles suppléent l’absence de Christian Jacob quand il ne peut pas se trouver à Provins. «Ils circulent dans la ville, surveillent qui va chez qui. Les gens ont tellement peur que j’ai eu énormément de mal à faire une liste», raconte la conseillère municipale de gauche.
Emmanuel Marcadet, maire socialiste du village voisin de Bray-sur-Seine, confirme avoir lui aussi «galéré» pour élaborer une liste aux élections départementales. Celui dont la boîte de com a aussi perdu tous ses contrats avec la mairie le jour où il s’est présenté aux cantonales sous l’étiquette du PS, en 2008, «profite de sa brève immunité en tant que maire» pour parler. C’est lui qui a proposé à la sœur du libraire, Marie-Caroline Delvaux, de se présenter avec lui aux départementales. «Je m’en veux un peu», avoue-t-il à demi-mot en évoquant le sort de la boutique. «On a tellement de mal à faire des listes d’opposition sur ce territoire. Pourtant j’en avais parlé avec Jean-Philippe. Je lui ai dit qu’il risquait des retours de bâton. Mais il ne m’a pas pris au sérieux.»
Pas étonnant que le fief provinois reste une terre de mission pour la gauche. Au moment de la primaire du PS en 2011, Emmanuel Marcadet a peiné à obtenir une salle à Provins pour organiser des réunions. «En contrepartie, ils nous ont imposé deux agents présents dans la salle, deux personnes parfaitement capables de reconnaître tous les habitants qui venaient.»Interrogé sur le sujet, le député-maire Christian Jacob n’avait qu’une seule réponse : «Vous pouvez écrire ce que vous voulez, ça n’a aucune espèce d’importance.» Pourtant, la nouvelle sociologie électorale de Provins, avec l’afflux récent d’une population urbaine repoussée de la première couronne parisienne, paraît plus favorable à la gauche. Mais comme se félicitait Olivier Lavenka, ancien directeur de cabinet de Christian Jacob devenu maire adjoint de Provins, il y a trois ans dans l’Express : «Si ces nouveaux habitants sont souvent de gauche lorsqu’ils s’installent, ils se tournent généralement vers la droite au bout de quatre ou cinq ans.» On se demande bien pourquoi.
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