lundi 27 juillet 2015
Troublante indulgence envers la collaboration /par Annie Lacroix-Riz,
Plus de quarante ans après que Robert Paxton a liquidé, dans La France de Vichy (Seuil), la thèse de Robert Aron selon laquelle Philippe Pétain aurait servi de « bouclier » aux Français, les notions de « représentations », de « psychologie » et d’éthique triomphent dans le traitement de la collaboration et du gouvernement de Vichy. Sur la Résistance, le propos s’embarrasse moins de nuances.
L’exposition « La Collaboration (1940-1945) », présentée aux Archives nationales et accompagnée d’un ouvrage de ses commissaires scientifiques, Denis Peschanski et Thomas Fontaine (1), se pose en bilan de cinquante ans de recherches, dévoilant les « multiples visages de l’alliance avec les nazis » (Libération, 7 décembre 2014). Elle s’étend sur la propagande des publicistes, sur les hommes de main, sur la police —René Bousquet, surtout —, sans décrire leurs liens avec le capital financier (à sa sortie de prison, en 1949, Bousquet devient directeur de la Banque d’Indochine). Elle fait silence sur les origines de Vichy, le complot contre la République et la débâcle mitonnés depuis 1924, notamment avec la création de la première vague des ligues fascistes, et ne dit presque rien des élites : obsession de Marc Bloch depuis« l’étrange défaite » de 1940, l’armée de Vichy a ici disparu. Le haut clergé catholique collaborationniste se limite au cardinal Alfred Baudrillart (mort en 1942, à 83 ans), présumé « réticent devant le premier statut des Juifs ». S’impose « l’autre histoire de la collaboration économique », celle des « intermédiaires, hommes de paille, petits escrocs ou grands truands », représentés par l’ancien « chiffonnier juif »Joseph Joanovici (quatre pages du livre, le panneau économique de l’exposition), qui a « amassé la plus grosse fortune de toute l’Occupation ». Sur le reste règne « l’accommodation complexe », sans rapport avec la collaboration, selon la formule de l’historien suisse Philippe Burrin.
Après avoir réhabilité les « vichysto-résistants (2) », Bénédicte Vergez-Chaignon poursuit sans faiblir sa longue normalisation de Vichy avec son Pétain (3). Le maréchal a-t-il été cagoulard, a-t-il comploté avec Pierre Laval avant 1940 ? Elle ne peut se prononcer sur les témoignages, mais elle a omis les sources policières. La psychologie sauve même ce« brave homme d’ordre » de l’antisémitisme, car le sien « n’était pas, par vocation, meurtrier » : il comprit trop tard « que tous les Juifs se trouvant en France, quels qu’ils soient, seraient concernés ». Erreur sur la cible, bornée aux étrangers, qui atténue sa faute. Traître ? Non, seulement partisan loyal d’une « réconciliation » franco-allemande pour la « reconstruction d’une Europe pacifique ».
L’amiral François Darlan, selon Bernard Costagliola (4), « n’éprouva pas le sentiment de trahir » non plus, mais aurait ruiné sur sa fin un digne parcours. L’auteur conclut au « gâchis » d’un grand « chef défaillant », « abasourdi par la défaite » (qu’il prépara à la tête de la Cagoule militaire, avec le maréchal Pétain et le général Maxime Weygand), anglophile résolu à l’offensive « marqué au fer rouge par Mers El-Kébir (5) » (anglophobe frénétique bien avant), aveuglé sur« l’enjeu véritable du conflit ».
La « complexité » s’écroule avec Le Maquis de Glières (6), de Claude Barbier, tenant du postulat d’Olivier Wieviorka, son directeur de thèse et éditeur : le rôle militaire de la Résistance aurait été dérisoire ; « la bataille des Glières n’a pas eu lieu ». Les Allemands réglèrent tout le 27 mars 1944, sans coup férir ni subir, les « résistants » ayant fui. Joseph Darnand, chef de la Milice et successeur de Bousquet, et son délégué, le colonel Georges Lelong, soumis à un « cas de conscience », voulaient éviter l’intervention allemande, puis soustraire les maquisards capturés à la féroce police de sûreté — services de sécurité (Sipo-SD) nazie. C’est contredire cruellement les archives (7)...
Annie Lacroix-Riz
Professeur d’histoire contemporaine, université Paris-VII, auteure des essais Le Vatican, l’Europe et le Reich 1914-1944 et Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Armand Colin, Paris, 1996 et
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