lundi 20 juillet 2015
Un coup d'état à eu lieu en Grèce avec les moyens du capitalisme : la finance et la "dette " préfabriquée par les banques POURQUOI J’AI VOTÉ CONTRE (PAR YANIS VAROUFAKIS)
J’ai décidé d’entrer en politique pour une raison : pour être aux côtés d’Alexis Tsipras dans la lutte contre la servitude de la dette. De son côté, Alexis Tsipras me fit honneur en me mobilisant pour une raison : une conception très précise de la crise fondée sur le rejet de la doctrine Papaconstantinou [conseiller économique (2004-2007) puis ministre des Finances (2009-2012) de Papandréou, NdT], selon laquelle entre la faillite désordonnée et les emprunts toxiques, l’emprunt toxique est toujours préférable.
Il s’agit d’une doctrine que je rejetais car elle faisait peser une menace constante dont le but était d’imposer, dans la panique, des politiques qui garantissent une faillite permanente et, en fin de compte, la servitude par la dette. Mercredi soir, au Parlement, j’ai été appelé à choisir entre (a) adopter la doctrine en question, en votant pour le texte que les « partenaires » avaient imposé à la manière d’un coup d’État et avec une brutalité inouïe à Alexis Tsipras lors du sommet européen, et (b) dire « non » à mon Premier ministre.
« S’agit-il d’un vrai ou d’un faux chantage ? », c’était la question que nous a posée le Premier ministre, exprimant ainsi le dilemme de conscience odieux qui se posait à nous comme à lui-même. De toute évidence, le chantage était vrai. J’y fus confronté pour la première dans mon bureau, où M. Dijsselbloem me rendit visite le 30 janvier pour me placer face au dilemme « mémorandum ou banques fermées ». Nous savions dès le départ à quel point les créanciers étaient sans scrupules. Et nous avons pris la décision de mettre en pratique ce que nous nous disions l’un à l’autre, encore et encore, lors des longues journées et des longues nuits à Maximou [résidence officielle du Premier ministre, NdT] : nous ferions ce qui est nécessaire pour obtenir un accord viable sur le plan économique. Nous ferions un règlement sans finir sur un compromis. Nous reculerions autant que nécessaire pour atteindre un accord de règlement au sein de la zone euro. Mais, si nous étions vaincus par la logique destructive des mémorandums, nous livrerions les clefs de nos bureaux à ceux qui y croient pour qu’ils viennent appliquer les mémorandums quand nous serions à nouveau dans les rues.
«Y avait-il une alternative ? », nous a demandé le Premier ministre mercredi dernier. J’estime que, oui, il y en avait. Mais je n’en dirai pas plus. Ce n’est pas le moment d'y revenir. L’important est que, au soir du référendum, le Premier ministre a estimé qu’il n’existait pas d’alternative.
C’est pourquoi j’ai démissionné, afin de faciliter son voyage à Bruxelles et lui permettre d’en ramener les meilleurs termes qu’il pourrait. Mais pas pour que nous les mettions en œuvre, quels qu’ils fussent !
Lors de la réunion de l’organisation centrale du parti, mercredi dernier, le Premier ministre nous a demandé de prendre une décision ensemble et d’en partager la responsabilité. Très correct. Mais, comment ? Une solution aurait consisté à faire, tous ensemble, ce que nous disions et répétions que nous ferions en cas de défaite. Nous dirions que nous étions soumis, que nous avions apporté un accord que nous considérons non viable et que nous demandons aux politiques de tous les partis qui le considèrent au moins potentiellement viables, de former un gouvernement pour l’appliquer.
Le Premier ministre a opté pour la deuxième solution : que le premier gouvernement de gauche reste en place, même au prix de l'application d’un accord - produit de chantage - que le Premier ministre lui-même considère inapplicable.
Le dilemme était implacable - et il l’était également pour tous. Comme Alexis Tsipras l'a bien affirmé, nul n’est en droit de prétendre être confronté à un dilemme de conscience plus fort que le Premier ministre ou les autres camarades. Mais, cela ne signifie pas que ceux qui se sont prononcés en faveur de l’application de l’ « accord » inapplicable par le gouvernement lui-même sont habités par un sens plus fort des responsabilités que ceux qui, parmi nous, se sont prononcés en faveur de la démission, remettant l’application de l’accord à des hommes politiques qui le considèrent potentiellement applicable.
À la séance plénière du Parlement, la réalité a été parfaitement bien décrite par Euclide Tsakalotos [nouveau ministre des finances, ndlr] qui a expliqué que ceux qui estimaient ne pas pouvoir mettre à charge du gouvernement de Syriza la ratification de cet accord disposaient d’arguments aussi puissants que ceux qui estimaient que le gouvernement Syriza est tenu, face au peuple, de mettre en œuvre ce mauvais accord pour éviter la faillite désordonnée.
Personne parmi nous n’est plus « anti-mémorandum » qu’un autre, et personne parmi nous n’est plus « responsable » qu’un autre. Tout simplement, lorsque l’on se trouve à un carrefour aussi dangereux, sous la pression de la (mal)Sainte Alliance du Clientélisme International, il est parfaitement légitime que certains camarades proposent l’une ou l’autre voie. Dans ces conditions, il serait criminel que les uns traitent les autres de « soumis » et que les seconds traitent les premiers d’ « irresponsables ».
En ce moment, en plein milieu de désaccords raisonnables, ce qui prévaut, c’est l’unité de Syriza et de tous ceux qui ont cru en nous, en nous accordant ce grandiose 61,5%. La seule façon de garantir cette unité est de reconnaître mutuellement les arguments, en partant du principe que les dissidents réfléchissent de manière aussi bonne, aussi responsable et aussi révolutionnaire que nous.
Partant de ces points, la raison pour laquelle j’ai voté « non » mercredi dernier était simple : nous aurions dû avoir remis les clefs de Maximou et des autres ministères, comme nous disions que nous le ferions en cas de capitulation. Nous aurions dû avoir remis les clefs à ceux qui peuvent regarder le peuple dans les yeux et lui dire ce que nous ne pouvions pas : « l’accord est dur mais il peut être appliqué d’une manière qui laisse un espoir de reprise et de renversement de la catastrophe sociale ».
Le gouvernement de gauche ne peut pas prendre, face à l’Europe officielle, des engagements dont il sait qu’il ne pourra pas les réaliser. Le bien suprême que le gouvernement de Syriza doit protéger est la promesse que nous donnions quand nous nous rendions dans les capitales européennes : contrairement à nos prédécesseurs, nous ne vous promettrons pas quelque chose (par exemple, un excédent primaire précis) qui ne peut pas être atteint. Le gouvernement de gauche n’a pas, en même temps, le droit de piller encore plus les victimes des cinq ans de crise sans pouvoir au moins répondre par l’affirmative à la question : « Avez-vous au moins obtenu quelque chose qui compense les mesures récessives ? »
Plusieurs camarades me disent : « N’est-ce pas mieux que ce soit nous qui tenions les rênes ? Nous qui aimons notre pays et qui avons de bonnes intentions concernant la lutte contre la corruption et l’oligarchie ? » Oui, c’est mieux. Mais, avec quels outils travailler ? La décision du Sommet européen fixe et étend l’absence totale de contrôle social sur les banques, alors que la société sera chargée de 10 à 25 milliards supplémentaires de dettes pour renflouer celles-ci.
Et, comme si cela ne suffisait pas, il se crée un super-TAIPED (fonds d’exploitation de la propriété publique), entièrement sous le contrôle de la troïka (indépendamment du lieu où se trouve le siège de ce fonds), qui privera une fois pour toutes la République hellénique du contrôle sur ses avoirs publics. Et comment l’austérité sera-t-elle vérifiée lorsqu'un trait de plume d’ELSTAT (agence des statistiques de Grèce que nous avons cédée à la troïka mercredi dernier) déterminera la taille de l’excédent primaire ?
Et, quand la société commencera à ressentir dans ses tripes l’étau des résultats de la nouvelle austérité désastreuse, quand les jeunes et les moins jeunes prendront les rues ou resteront, désespérés, chez eux, confrontés à ces effets -ces gens dont jusqu’à présent nous portions la voix, qui les représentera dorénavant dans l’arène politique ? Le parti qui a introduit ces mesures au Parlement pourra-t-il représenter ces gens en même temps que ses ministres bien-intentionnés seront forcés de défendre ces mesures, au parlement et sur les chaînes de TV, en se faisant la risée de l’opposition au mémorandum ?
« Mais, ne sers-tu pas le plan de Schäuble, en votant contre l’accord ? », me demande-t-on. Je réponds en posant ma propre question : « Êtes-vous certains que cet accord de capitulation ne fait pas partie du plan de Schäuble ? »
► Le dernier rapport du FMI prévoit une dette publique supérieure à 200% du PIB, ce qui interdit au FMI d’accorder de nouveaux prêts,
► L’exigence de l’ESM, sur ordre de Schäuble, que le FMI accorde de nouveaux prêts, pour prêter lui aussi à la Grèce,
► Le spectacle d’un gouvernement grec qui vote pour des réformes auxquelles il ne croit pas mais, en plus, qu’il qualifie de produit de chantage,
► Le spectacle d’un gouvernement allemand qui passe au Bundestag un accord avec la Grèce qu’il qualifie lui-même de non fiable et d’échec a priori.
Ne conviens-tu pas, cher lecteur, que ce qui vient d’être énoncé sont de puissants « alliés » de Schäuble ? Existe-t-il en effet une manière plus sûre de défenestrer le pays de la zone euro que cet accord non viable qui assure au ministre des Finances allemand le temps et les arguments pour mettre sur les rails le Grexit tant souhaité ?
Mais en voilà assez. Mon jugement m’a amené à voter contre la ratification de l’accord de capitulation, en estimant que la doctrine Papaconstantinou demeure inacceptable. D’un autre côté, je respecte parfaitement les camarades qui ont un autre point de vue. Je ne suis pas plus révolutionnaire-moral qu’eux mais ils ne sont pas plus responsables que moi, non plus. Aujourd’hui, ce qui est en balance, c’est notre capacité à préserver comme la prunelle de nos yeux, la camaraderie et la collectivité, en conservant le droit à l’opinion différente.
Pour conclure, il existe également un aspect philosophique au dilemme de conscience qui se pose à nous tous : existe-t-il des moments où le calcul du bénéfice net est dépassé par l’idée selon laquelle certaines choses ne doivent tout simplement pas être faites en notre nom ? Ce moment, est-il un de ces moments ?
Il n’existe pas de bonnes réponses. Seule existe la disposition honnête à respecter les réponses que donnent nos camarades avec lesquels nous ne sommes pas d’accord.
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