Les Renards pâles de Yannick Haenel – Retour sur la Commune de Paris
Dans un article paru sur Mediapart, Dominique Colnil reproche à Yannik Haenel dans son dernier roman Les Renards pâles de déformer la réalité historique et d’en rajouter sur la répression atroce de la Commune, notamment « avec cet épisode concernant des prisonniers communards amenés vers Satory et qui passent devant les bourgeois du quartier de l’Opéra (alors en construction) : "Trois d’entre elles s’avancent et, arrachant la longue épingle qui leur sert à retenir ensemble le chignon et le chapeau, elles crèvent les yeux des prisonniers sous les vivats de la foule." Louise Michel dans ses mémoires relate l’épisode, mais il s’agit alors de communards morts : entre ignoble et monstrueux, profanation et torture, Yannick Haenel opère une extension littéraire, celle qui, très précisément, lui avait été reprochée lors de la publication de son précédent roman, Jan Karski, quand il fustigeait avec raison et imaginaire superflu l’inertie des Alliés face à la Shoah… Le glissement entre réalité historique et surlignage est-il nécessaire ? La question n’est pas un détail. Le reproche vaut pour d’autres épisodes du roman, le lyrisme n’exonère pas de l’approximation, lorsque celle-ci soutient un discours ».
A mon sens, au contraire de ce qu’écrit Dominique Colnil, Haennel est encore loin de la vérité telle que l’a dépeinte Prosper-Olivier Lissagaray dans son Histoire de la Commune de 1871, révolution vécue et relatée de l’intérieur en véritable reporter de guerre, ouvrage magistral ignoré bien entendu des manuels d’histoire écrits par et pour les vainqueurs. Dans un passage percutant, il décrit des prisonniers communards défilant dans les rues de Paris sous les lazzis des bourgeois : « Devant les églises des quartiers riches, on les forçait à s’agenouiller, tête nue, pendant que la tourbe des laquais, des élégants et des filles criait : "A mort ! A mort ! N’allez pas plus loin ! Fusillez-les ici !" Aux Champs-Elysées, ils voulurent rompre les files, tâter du sang ». Ou plus loin : « A l’entrée de Versailles, la foule les attendait, toujours l’élite de la société française, députés, fonctionnaires, prêtres, femmes de tous les mondes. Les fureurs du 4 avril et des convois précédents furent autant dépassées que la mer se surpasse aux marées d’équinoxe. Les avenues de Paris et de Saint-Cloud étaient bordées de ces Caraïbes qui enveloppaient les convois de vociférations, de coups, les couvraient d’ordures, de tessons de bouteilles. "L’on voit", disait le Siècle du 30 mai, "des femmes, non pas des filles publiques, mais des femmes du monde insulter les prisonniers sur leur passage et même les frapper avec leurs ombrelles." Quelques-unes, de leurs mains gantées, ramassaient la poussière et la jetaient à la face des captifs ».
Les passages du livre de Haenel rendant hommage aux communards résonnent avec force. Les rues du XIème, du XIIIème et du XXème arrondissement de Paris restent aujourd’hui encore imprégnées du souvenir sanglant des martyrs dont le seul tort est d’avoir rêvé une société plus juste. Je ne peux m’empêcher d’y penser aussi quand je marche dans les beaux quartiers de Paris et croise dans Passy ces bourgeois repus ces femmes élégantes… A quoi seraient-ils prêts aujourd’hui encore pour protéger leur épargne défiscalisée de la « furie » révolutionnaire ? Et je me dis, à coup sûr, ils le referaient encore une fois, ils le massacreraient à nouveau ce peuple, comme leurs prédécesseurs fusilleurs de la semaine sanglante qui déjà lisaient Le Figaro et les diatribes des sinistres ancêtres d’Ivan Rioufol et autres Eric Zemmour qui éructaient en demandant le sang du peuple : « Le 8 juin, Le Figaro refaisant son article de Versailles, dressait un nouveau plan de carnage : "La répression doit égaler le crime... Les membres de la Commune, les chefs de l’insurrection, les membres des comités, cours martiales et tribunaux révolutionnaires, les généraux et officiers étrangers, les déserteurs, les assassins de Montmartre, de la Roquette et de Mazas, les pétroleurs et les pétroleuses, les repris de justice, devront être passés par les armes... La loi martiale devra s’appliquer dans toute sa rigueur aux journalistes qui ont mis la torche et le chassepot aux mains de fanatiques imbéciles... Une partie de ces mesures ont déjà été mises en vigueur. Nos soldats ont simplifié la besogne des cours martiales de Versailles en fusillant sur place ; mais il ne faut pas se dissimuler que beaucoup de coupables ont échappé au châtiment..." »
Les massacreurs de la Commune de Paris
Tous les « Figaristes » haineux n’eurent de cesse d’encourager l’impitoyable répression de la semaine sanglante dont il faut rappeler ici l’effroyable bilan : trente milles communards exécutés au moins dont 3000 sur les barricades et vingt milles fusillés comme des bêtes sauvages par les généraux versaillais.
L’un d’eux, de sinistre mémoire, est le Général de Gallifet : « il se distingue par sa férocité envers les insurgés et gagne le surnom du "Marquis aux talons rouges" ou "Massacreur de la Commune" lors de la tragique Semaine Sanglante ; regardant passer les prisonniers communards se dirigeant sur Versailles, "la badine à la main, il sélectionne ses victimes d’une manière absolument arbitraire, sur leur mine". Un jour, il ordonne : "que ceux qui ont des cheveux gris sortent des rangs ! ". 111 captifs s’avancent. "Vous, leur dit-il, vous avez vu juin 1848, vous êtes plus coupables que les autres ! ". Il les fait mitrailler dans les fossés des fortifications […]. On estime à 3000 le nombre de ses victimes, car il s’octroyait un droit de vie ou de mort ; selon son bon plaisir, il prélevait sur les convois de prisonniers la dîme du sang [...]. Ses victimes étaient choisies de préférence parmi les vieillards ou les blessés ». Dommanget cité par Gouzil (La Commune de Paris de 1871 tome III, La Répression).
Ce monstre assoiffé de sang, opportuniste et cynique, fut ensuite honoré par la République, Gouverneur de Paris nommé par Gambetta, candidat à l’élection présidentielle de 1879, puis ministre de la Guerre anti-dreyfusard. « Accueilli à l’Assemblée par les députés socialistes qui criaient : "Assassin ! ", il répondit simplement : "Assassin ? Présent !" »
En face, l’armée versaillaise dénombre officiellement 877 tués, 6 454 blessés et 183 disparus, auxquels on peut ajouter les 53 otages de la rue Haxo fusillés par des Communards, contre l’avis des dirigeants de la Commune.
Parmi les victimes héroïques, « Varlin, qui avait risqué sa vie pour sauver les 53 otages versaillais de la rue Haxo, fut traîné une grande heure. Sous la grêle des coups, sa jeune tête méditative qui n’avait eu que des pensées fraternelles, devint un hachis de chairs, l’œil pendant hors de l’orbite. Quand il arriva rue des Rosiers, à l’état-major, il ne marchait plus ; on le portait. On l’assit pour le fusiller. Les soldats crevèrent son cadavre à coups de crosse. L’un d’eux vola sa montre et s’en fit une parure ».
Les intellectuels bourgeois contre les convulsions de la Commune
Les tribunaux de l’époque refusèrent le statut de prisonniers politiques aux Communards considérés comme des criminels de droits communs. Les grands intellectuels et écrivains bien pensants de l’époque virent dans les événements de la Commune « une convulsion, un accès de fièvre ». Alexandre Dumas fils, futur académicien, célébra ainsi la capture de Courbet, ce grand peintre ami de la Commune : « De quel accouplement fabuleux d’une limace et d’un paon, de quelles antithèses génésiaques, de quel suintement sébacé peut avoir été générée cette chose qu’on appelle Gustave Courbet ? Sous quelle cloche, à l’aide de quel fumier, par suite de quelle mixture de vin, de bière, de mucus corrosif et d’œdème flatulent a pu pousser cette courge sonore et poilue, ce ventre esthétique, incarnation du Moi imbécile et impuissant ? »
Et Zola, malheureusement, mêla sa voix à ce concert pathétique : « Le bain de sang que [le peuple de Paris] vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en splendeur ».
Pour l’écrivaillon Maxime Du Camp, le mouvement de la Commune était « un accès d’épilepsie morale ; une sanglante bacchanale ; une débauche de pétrole et d’eau-de-vie ; une ribauderie ; une inondation de violences, d’ivrognerie qui faisait de la capitale de la France un marais des plus abjects ». Ces insultes lui valurent l’Académie française, « ce repère de palme vert versificateur pour nounous ».
Et devant tant d’abjection, Yannick Haenel de conclure fort justement : « Mais lorsque la loi n’est pas juste, la justice doit ignorer la loi ».
Geoffroy Galouzeau (PCF Paris 20e
http://www.lariposte.com/
Dans un article paru sur Mediapart, Dominique Colnil reproche à Yannik Haenel dans son dernier roman Les Renards pâles de déformer la réalité historique et d’en rajouter sur la répression atroce de la Commune, notamment « avec cet épisode concernant des prisonniers communards amenés vers Satory et qui passent devant les bourgeois du quartier de l’Opéra (alors en construction) : "Trois d’entre elles s’avancent et, arrachant la longue épingle qui leur sert à retenir ensemble le chignon et le chapeau, elles crèvent les yeux des prisonniers sous les vivats de la foule." Louise Michel dans ses mémoires relate l’épisode, mais il s’agit alors de communards morts : entre ignoble et monstrueux, profanation et torture, Yannick Haenel opère une extension littéraire, celle qui, très précisément, lui avait été reprochée lors de la publication de son précédent roman, Jan Karski, quand il fustigeait avec raison et imaginaire superflu l’inertie des Alliés face à la Shoah… Le glissement entre réalité historique et surlignage est-il nécessaire ? La question n’est pas un détail. Le reproche vaut pour d’autres épisodes du roman, le lyrisme n’exonère pas de l’approximation, lorsque celle-ci soutient un discours ».
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