lundi 31 août 2015
Robert Chambeiron : « Tourner le dos à l’esprit du CNR, c’est tourner le dos au progrès »
Grand résistant, l’ancien secrétaire général adjoint du Conseil national de la Résistance (CNR), député des Vosges, député apparenté communiste au Parlement européen et président délégué de l’Anacr, Robert Chambeiron est mort non sans avoir transmis la mémoire de son engagement humain.
Robert Chambeiron était le témoin et le dernier acteur vivant du Conseil national de la Résistance (CNR). Né le 22 mai 1915, il est décédé à l’âge de 99 ans. Sa disparition a été annoncée à quelques heures de l’année de ses cent ans et du soixantedixième anniversaire de l’application des grandes mesures du programme du CNR, « les Jours heureux »… La Sécurité sociale, la création des services publics, les grandes nationalisations, la protection de l’enfance, etc. Depuis ses plus jeunes années et jusqu’à son dernier sou e, il n’a eu de cesse d’être un ardent militant de ces avancées et des valeurs humaines, sociales et politiques qu’elles portent, comme il l’a rappelé dans nos colonnes (nous republions son dernier entretien). À l’annonce de son décès, si les communiqués o ciels et déclarations publiques, jusqu’à celui du chef de l’État, n’ont pas manqué, nombreux ont été les messages de soutien et de condoléances l’Humanité, auquel il tenait, jusqu’à en être un donateur et souscripteur régulier, et encore il y a quelques jours. Autant dire que cette voix franche et engagée de la Résistance a trouvé des relais auprès des générations de ce XXIe siècle. Le sens de son engagement a été transmis. L’Humanité veut se faire l’écho de ce passage de témoin en ouvrant son événement du premier numéro de la nouvelle année à cet hommage populaire et porteur d’avenir. Le parcours de Robert Chambeiron nous invite à poursuivre cet engagement en faveur de la dignité humaine et de la justice sociale.
Né à Paris dans une famille républicaine, un an seulement après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, Robert Chambeiron devient fonctionnaire après ses études secondaires et, très vite, s’implique dans la vie politique. Nous sommes dans les années 1930, le fascisme rôde, le nazisme croît. Les fronts populaires se constituent et les premiers résistants se lèvent. Terriblement conscient de la menace brune, en tant qu’humaniste, républicain social et démocrate antifasciste, il s’engage à gauche, résolument, pour le progrès et la justice sociale. Il fait partie de ces femmes et de ces hommes pour qui le pire étant en train de prendre de la force, l’engagement est au prix d’une vie. Il n’a alors que vingt et un ans. En 1936, avec Jean Moulin et Pierre Meunier, il entre au cabinet de Pierre Cot, ministre de l’Air du gouvernement du Front populaire. Mais l’engagement du jeune homme est rapidement mis à rude épreuve. Mobilisé dans l’aviation en 1939, et démobilisé en 1940, il retrouve Jean Moulin et ses amis, notamment Pierre Meunier. Ce sera le combat de la Résistance. « J’étais antifasciste et je me suis le plus naturellement du monde engagé pour combattre les deux visages du fascisme, celui de l’occupation et celui de Vichy. (…) Moulin, au mois de novembre 1940, au moment de sa révocation, nous a expliqué qu’il fallait se grouper, s’organiser, s’unir et résister. » Les années de résistance sont lourdes de risques. Il réside dans le quartier des Buttes-Chaumont. Quatre ans de clandestinité dans le Paris occupé par les nazis. Quatre ans durant lesquels « la Résistance mange toutes les minutes de votre journée » (1). Lorsque, à partir de 1942, après son voyage à Londres, Jean Moulin devient le représentant du général de Gaulle, il lui confie différentes missions en zone Nord. C’est ainsi qu’en compagnie de Pierre Meunier, il participe aux négociations qui aboutissent à la fondation du CNR. Tous deux organisent la première réunion qui se tient en plein Paris occupé, le 27 mai 1943, chez René Corbin, rue du Four. Robert Chambeiron devient secrétaire général adjoint du CNR.
La promesse du programme politique du CNR adopté le 15 mars 1944 ne le quittera plus jamais. À la Libération, délégué à l’Assemblée consultative provisoire en 1944-1945, il est élu député des Vosges en octobre 1945. Inscrit d’abord au groupe radical, il le quitte après avoir approuvé le projet constitutionnel de Pierre Cot, le 19 avril 1946. Le Parti radical déclare son exclusion officielle. Réélu en juin 1946, il siège parmi les apparentés communistes et il est à nouveau réélu en novembre 1946. Avec des militants issus de l’Union des républicains progressistes (URP) et avec des éléments issus du Parti socialiste unitaire (premier PSU) et de l’Union des chrétiens progressistes (UCP), il est un des fondateurs, le 9 décembre 1950, de l’Union progressiste (UP), dont il assurera le secrétariat général. Celle-ci admet la double appartenance (2). Son parcours traverse ainsi le XXe siècle et les débats qui secouent et animent la gauche. D’abord au sein de la famille radicale, antifasciste de la première heure, il entre dans la Résistance, aux côtés de Jean Moulin, sous l’autorité du général de Gaulle. À la Libération de la France, Robert Chambeiron, fidèle à l’esprit de résistance, militant de la dignité humaine et de la justice sociale, devient dès lors compagnon de route des communistes durant plusieurs décennies. Il est élu au Parlement européen en 1979 sur la liste communiste, avec l’étiquette UP, puis réélu en 1984. L’une des dernières prises de position de l’UP est, en 1992, un appel à voter contre la ratification du traité de Maastricht. Il est proche de Jean-Pierre Chevènement et de son courant. Président délégué de l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance (Anacr), Robert Chambeiron est très actif lors du cinquantième anniversaire du CNR. Le 27 mai 1993, il réaffirme l’actualité du programme économique et social du CNR et ne cessera d’en transmettre le sens et d’en dénoncer les attaques.
Grand officier de la Légion d’honneur en 1997, il fut élevé au grade de grand-croix en 2001. Dernier survivant de la rue du Four, Robert Chambeiron se présente au début du XXIe siècle comme le porteur de la mémoire du CNR et réaffirme à de nombreuses reprises que « tourner le dos à l’esprit du programme du CNR, c’est tourner le dos au progrès ». De porteur, il devient passeur de cette page de l’histoire de notre pays, il en resituera les enjeux lors d’une rencontre inédite en 2010, à l’initiative des Amis de l’Humanité, avec Edmonde Charles-Roux et des jeunes résistants d’aujourd’hui, engagés dans les mouvements de jeunesse (3). La Résistance, intransigeante sur ses objectifs sociaux, n’a pas d’âge ou plutôt, elle est de tous les âges. Et la menace brune (ce qui n’a rien à voir avec la couleur de la chevelure, on le voit aujourd’hui) n’est jamais loin. Résistance.
vendredi 28 août 2015
LE VRAI VISAGE DE MARINE LE PEN, RÉSUMÉ EN DEUX PETITES PHRASES DATÉES D’IL Y A 48 HEURES
LE VRAI VISAGE DE MARINE LE PEN, RÉSUMÉ EN DEUX PETITES PHRASES DATÉES D’IL Y A 48 HEURES
Suite à une fusillade avec des gendarmes dans un camp de Roms, avant-hier dans la Somme, Marine Le Pen vient de déclarer :
« Ces événements très graves sont un symptôme de l’ensauvagement insupportable de notre société. »
L’ensauvagement insupportable de notre société ? Parle-t-elle du capitalisme libéral ? De la misère galopante ? De l’insécurité sociale ? De la nécessité de se révolter ?
Non, elle parle uniquement de l’insécurité civile des braves gens menacés par des sauvages toujours plus nombreux (qui viennent jusque dans nos bras…) et qui ne sont pas assez sous contrôle de l’État policier.
La phrase suivante le confirme :
« Ce drame est la conséquence de l’effondrement du RESPECT dû aux forces de l’ORDRE… Les effectifs de forces de l’ORDRE doivent être augmentés ! »
Autrement dit. Le problème, c’est l’obéissance.
Marine Le Pen nous dit qu’il faut réapprendre à obéir, à respecter le pouvoir, à renforcer l’ordre en place et à privilégier la lutte contre l’insécurité civile et non contre ses causes.
Quelles causes ? Pour elle, LA cause, c’est « L’ENSAUVAGEMENT INSUPPORTABLE DE NOTRE SOCIÉTÉ. »
De tous temps, les étrangers, migrants ou nomades ont été qualifiés de barbares, de sauvages et de menaces pour la société, NOTRE SOCIÉTÉ, par l’extrême-droite, et bien au-delà.
Les nomades, en particulier, ont toujours été en première ligne de cette haine. Une haine nourrie par la jalousie des sédentaires contre ceux qu’ils regardent passer.
« (…) eux,
Ce sont les sauvages,
Ils vont où leur désir
Le veut, par dessus monts,
Ce sont les sauvages,
Ils vont où leur désir
Le veut, par dessus monts,
Et bois, et mers, et vents,
Et loin des esclavages.
L’air qu’ils boivent
Ferait éclater vos poumons. »
Et loin des esclavages.
L’air qu’ils boivent
Ferait éclater vos poumons. »
Jean Richepin, « Les oiseaux de passage »
Chanté notamment par Brassens…
Chanté notamment par Brassens…
La haine du nomade n’est pas seulement le fait de la réaction, mais aussi du capitalisme, car ce dernier a toujours eu besoin de la sédentarité des populations pour s’établir (même si la précarité et la flexibilité qu’il veut nous imposer nous conduisent parfois à une mobilité de circonstance).
Le génocide d’au moins 200 000 Tziganes en Europe, à partir de l’automne 1939 et surtout de décembre 1942, n’a pas commencé autrement. Le nazisme et ses nombreux complices se sont simplement appuyés sur les préjugés sociaux de plus en plus répandus durant les années qui ont précédé. Le fruit était mûr. Himmler lui-même, chef de la SS et organisateur de la déportation, avait, en son temps, qualifié les peuples nomades de « sauvages (…) menaçant la société. »
L’autre facilité, qui évita le tracas des enquêtes aux nazis et à leurs complices, c’est le fichage des Roms depuis 1910, dans la plupart des États européens, au prétexte de leur attitude « asociale » et de la « menace » qu’il représentaient soit-disant pour « la société et ses valeurs », à commencer par la propriété et l’obéissance.
Alors, Jacques Sapir, faut-il vraiment baisser la garde contre le FN pour mieux lutter contre la nouvelle forme du capitalisme ?
Yannis Youlountas
De Hedi Hkima Journaliste Tunisien / Lettre ouverte à Monsieur le directeur général du journal « Le Monde » -Paris-
A Monsieur le directeur général du journal « Le Monde »
-Paris-
Monsieur,
Abreuvé dés mon plus jeune âge aux sources mêmes de la langue et de la civilisation françaises, faisant miens tous les grands principes universalistes de la grande révolution de 89, imbu d’humanisme, de justice et de paix universelle, ayant enfin, en tant qu’adolescent étudiant, lu et apprécié le journal « Le monde » que nous considérions à l’époque comme la référence d’une excellente presse française par la qualité de son contenu, la variété de ses articles et la compétence de son équipe rédactionnelle. C’est donc, à partir de toutes ces données que je me suis résolu à vous écrire aujourd’hui cette lettre, en espérant qu’elle trouve une oreille attentive à l’écoute d’une voix du sud de la méditerranée avec objectivité et sans paternalisme. Après les USA, l’Europe et tout spécialement la France, et après le règne des illustres présidents d’hier, qui faisaient honneur à leurs pays et marqué l’histoire de leur empreinte, nous assistons, ces dernières décennies tant en Amérique qu’en Europe, sans oublier les monarchies désuètes du Moyen-Orient, à l’émergence d’une nouvelle race de dirigeants, aventuriers, expansionnistes, néo-colonialistes se situeant à la limite de la légalité internationale, s’ils ne la violent pas partout dans le monde. Avec ceux-là, notre monde, est entré dans le cercle infernal des conflits fratricides et du terrorisme, pour la seule satisfaction des appétits et intérêts égoïstes, tout cela au détriment de peuples, non belligérants et qui vivaient en paix à l’intérieur de leurs frontières. Tous ces foyers de tension allumées et cette vague grandissante d’un terrorisme aveugle, qui frappent nos pays, nous ne sommes plus dupes, ils sont le fait indéniable de ceux-là mêmes qui l’encouragent et le monnayent, et qui, prétendent le combattre, sentant déjà, que ce serpent qu’ils ont nourri dans leur sein prend du poil de la bête et va se retourner contre eux. Comme tout le monde sait, cette « machine infernale » enclenchée par les américains et soutenue aveuglément par la vieille Europe dépersonnalisée a donné naissance à ces « printemps arabes » qui les ont menés à l’anarchie, et ces « révolutions du Jasmin » à l’odeur nauséabonde. Le résultat n’est guère brillant, des pays entiers ont été complément détruits, et bien d’autres, comme le mien, pataugent dans les problèmes et l’incertitude du lendemain. Où est la relation du journal « Le monde » avec tout cela me diriez-vous ? Hélas, « Le monde » est au cœur de ces drames. Comme vous le savez, ce « plan machiavélique » élaboré par les maitres américaino-européens, avec l’aide des frères musulmans, des idéologies wahhabites et salafistes, brandissant l’étendard de l’Islam, auquel ils n’appartiennent pas et sont mêmes ses pires ennemis, ce plan a nécessité de la part de ses concepteurs, la mise en place d’une véritable « stratégie médiatique » à coup de milliards d’euros, et de dollars, pour nourrir nos pauvres peuples d’intox et de désinformation. Tentant de nous faire avaler la pillule de la démocratie et des droits de l’homme en s’appuyant sur des « complices » prêts à vendre leur âme au diable. Ce plan devait aussi conduire, non à la chasse aux sorcières, mais à celle des « tyrans » qui oppriment leurs peuples ; dès lors tout chef d’Etat, arabe en premier lieu jugé indésirable car ne se soumettant pas au dictat et aux injonctions de Washington, ou de Paris, voulant sauvegarder ses propres décision, orientations et ses choix, devient « l’homme à abattre » La liste de leurs victimes serait bien longue à dresser ici. C’est dans ce contexte que s’inscrit le rôle moteur de la machine médiatique, mise en place. Arabo occidentale, elle fera tout pour banaliser le détestable principe des « deux poids deux mesures », dans les relations et les conflits internationaux, nous convaincre d’encourager le spoliateur et de condamner le spolié, de justifier l’injustice et de bannir la justice, de pousser à l’inhumain et de réprimer l’humain. Voilà le rôle dévolu aux médias corrompus par l’argent, « Le monde » a choisi de jouer ce rôle pour le moins dégradant, il nous gratifie, à l’instar d’autres journaux américains et européens, voire même arabes, de titres et d’articles qui sentent le venin et la haine de l’autre, s’obstinant à travestir la vérité, à rendre noir ce qui est blanc injuste ce qui est juste, mauvais ce qui est bon, occultant toutes, les vérités qui ne servent pas leurs intérêts et ceux leurs dirigeants, passant sous silence les massacres de centaines de milliers de femmes et d’enfants, ou tentant de faire tomber la responsabilité sur l’adversaire, véhiculant l’intox et le mensonge dans toute leur horreur ! Ce faisant qui trompent ils tous ces médias occidentaux et arabes, ces pions volontaires dans cette machine médiatique ? En définitive ils ne trompent que leurs propres peuples pour justifier les politiques partisanes de leurs dirigeants, en les confinant dans leur ignorance et leur passivité. Où est donc « L’éthique journalistique » ? Qu’est-elle devenue en occident cette déontologie, qui interdit au journaliste comme à tous les médias de cultiver les contrevérités, le mensonge, la malhonnêteté, l’intox, d’être au service du mal, cette déontologie du métier pour laquelle, seule la vérité compte, que la probité intellectuelle prime, que les grands principes de justice et d’égalité doivent guider notre action médiatique quotidienne. Nous pensions, nous médias et journalistes du sud de la grande bleue, que « déontologie et éthique » avaient encore une signification dans les médias occidentaux. Mais hélas, ces principes sacrés que la vieille Europe, bien avant l’Amérique de l’oncle Sam, nous avait inculqués et auxquels nous sommes restés attachés, la voilà, que par la faute de ses dirigeants et par médias interposés, elle les foule à ses pieds. Aujourd’hui grâce à l’internet et à toutes les technologies nouvelles y compris celle de l’information, même un benêt sait distinguer le bon grain de l’vraie, et faire la part de vérité et de mensonge. Aussi poursuivre ces campagnes pour nous pousser à adhérer aveuglément à tous ces mensonges, c’est en quelque sorte, prêcher dans le désert. En effet, il est bien loin le temps où vous nous faisiez, à notre insu, avaler toutes vos couleuvres. A notre tour maintenant, nous les médias du sud, guidés par les nobles idéaux de justice de paix et de sécurité dans le monde, respectueux du droit des peuples de vivre en paix à l’intérieur de leurs frontières sans aucune ingérence étrangère et dans le strict respect de la légalité et du droit international. C’est à nous qu’il revient de vous rappeler les fondements de l’éthique et de la déontologie journalistique pour être des constructeurs et non des démolisseurs de l’humanité, pour qu’une paix juste s’instaure dans le monde, pour tarir toutes les sources du terrorisme et du fanatisme. C’est notre voix du sud, qu’elle soit entendue ou ignorée cela n’arrêtera pas notre quête et notre combat pour un monde plus juste, plus équilibré, jouissant de la paix du bien-être et de la stabilité. En attendant, nous vous disons qo vadis.
Hedi Hkima
Journaliste Tunisien
jeudi 27 août 2015
Claude Cabanes, une noblesse de plume pour servir l’espérance
L’ancien directeur de la rédaction de l’Humanité est mort mardi soir à l’âge de 79 ans. Son élégance , son goût de la polémique,
sa passion pour les mots ont marqué des générations de lecteurs.
« Le tranchant de la lame, l’élégance de la phrase et l’humour souvent ravageur. » Ces mots que Claude Cabanes dédiait à René Andrieu – « un maître, comme l’on dit d’un maître d’armes » – lui allaient comme un gant. Et des gants, il en avait jeté beaucoup, bretteur de la plume et débatteur enflammé sur le plateau de Michel Polac. Celui qui fut de 1981 à 2000 le rédacteur en chef puis le directeur de la rédaction de l’Humanité s’identifiait à son journal, une inextinguible passion avec ce que cela comporte d’exaltations et de douleurs. Jusqu’à ces dernières semaines, refusant de plier le genou devant la maladie, il passait dans mon bureau et lançait : « Il faut que je te fasse un édito un de ces jours. »
« Je porte en moi, intacte et pure comme le diamant, douce comme la peau du ventre d’une jeune femme, brillante comme la lame du meilleur acier, la flamme de la révolte », avait-il écrit dans son journal en novembre 2000. Avait-elle grandi lors de cette entrée au lycée où les fils de bourgeois moquaient ce pensionnaire « aux chaussettes tricotées » ? S’était-elle nourrie de sa passion étudiante pour « les grands textes de la révolte », Sartre, Camus, Rimbaud ou Lautréamont ? Ou bien dans cet épisode d’insoumission qui conduit le deuxième classe hostile à une guerre injuste dans une prison d’Algérie ? Il est difficile de dénouer la part des mots et des mêlées du temps dans le parcours de Claude Cabanes.
Rien d’anodin à ce que son dernier texte publié dans l’Humanité fut un cri d’indignation contre la volonté d’effacer la résistance communiste de l’histoire. Elle marqua si profondément l’enfant dont le père, colonel FTP, avait guerroyé dans le Sud-Ouest. Un héros si proche et si lointain quand les parents déchirés se disputent sa garde. Finalement confié à sa mère – institutrice vouée à la littérature, occitaniste raffinée qu’admirait l’écrivain Félix Castan, féministe –, Claude Cabanes vécut une enfance gersoise au milieu des femmes de sa famille. On en déduirait peut-être facilement que son goût pour la haute couture à quoi il fait sa place dans les colonnes de l’Humanité et son intérêt pour la corrida tenaient à ces deux pôles d’aimantation.
Sorti de l’université avec un doctorat de droit public, militant communiste en 1962, il était devenu un dirigeant de la fédération du PCF dans le Val-de-Marne, militant professionnel, le matin aux portes des usines, le soir dans des porte-à-porte ou des réunions enfumées. Mais, sans doute, l’art des mots, griffés noir sur blanc, lui manquait-il. Entré à l’Humanité en 1971, passant de l’hebdomadaire au quotidien, alternant les rubriques culturelles et politiques, Claude Cabanes devint vite un de ses noms que retiennent les lecteurs. « C’est grisant de brasser le monde », confiait-il et, lui qui avait vu l’Humanité brûlée au pied de l’amphi de son université par les partisans de l’Algérie française, revendiquait le statut de journaliste communiste. « Je ne crois pas, affirmait-il à l’Événement du jeudi, au mythe de l’objectivité et de l’indépendance (…). Il n’y a pas la vérité, les faits, mais de la contradiction. » Et il répliquait à ceux qui le titillaient sur une écriture engagée : « Il me semble d’abord que la littérature est engagée, comme on disait autrefois, du fait qu’elle s’écrit avec des mots. Or les mots ont un pouvoir d’action sur le monde : ils le transforment. Ce sont les mots de la Bible, de la Déclaration des droits de l’homme, du Manifeste communiste qui ont soulevé des montagnes. »
Garder l’âme, l’esprit du journal et conquérir de nouveaux rivages
« Tenir tête à la cruauté du monde. » C’est sur cette selle-là que galope sa plume et qu’il ne vide jamais, même quand les salons parisiens lui ouvrent leurs portes, fascinés/révulsés par ce séducteur qui sait aussi faire du communisme un dandysme, une élégance, une culture, un drame parfois qu’il balaie d’une citation de Roger Vaillant : « La recherche (du bonheur) est une tâche difficile et héroïque. » Son accent d’Armagnac le fait reconnaître des auditeurs et des téléspectateurs. Le service public ayant mis le pluralisme sous clé, il poursuit ses confrontations de micro sur RTL, dans On refait le monde, désormais animé par Marc-Olivier Fogiel.
En 1982, il devient membre du Comité central du PCF – il restera membre du parlement du Parti jusqu’en 2003 – comme une annonce de la responsabilité qui lui échoira deux ans plus tard à la tête de la rédaction de l’Humanité. Roland Leroy l’a choisi pour l’ouverture qu’il pouvait apporter au quotidien ; Georges Marchais l’a adoubé. Et Claude Cabanes s’y est attaché, exercice délicat où il faut garder l’âme et l’esprit du journal, la fidélité des lecteurs et conquérir de nouveaux rivages. Il le fit parfois jusqu’à trébucher – joutant rudement avec qui le contredisait en interne – et souvent avec succès.
Il frappait de pointe et d’estoc « l’abjection molle » du moment
On se souvient peu que l’Humanité fut ainsi le premier quotidien français à publier à sa une l’Origine du monde, de Gustave Courbet. Avec son ami Michel Boué, il fit rentrer les créations étincelantes de Saint Laurent et de Lacroix dans des colonnes où l’on se méfiait du luxe et les ouvrit aussi à la liberté des mœurs, tandis que, goût pour la polémique aidant, il frappait de pointe et d’estoc les abandons du mitterrandisme, le « règne de la marchandise et du néant », « l’abjection molle » du moment, ainsi qu’il le lança dans un portrait de Libération. Il fut de ceux qui permirent à l’Humanité – et il tira bien des bords dans cette navigation – de se dégager du corset de l’organe central de parti pour une métamorphose en journal communiste, ouvert aux curiosités des femmes ou hommes de gauche. Il avait retenu cette image pour son projet en 1999 : « Quand les hommes s’intéresseront aux hommes. » Sous son profil de condottiere, il recherchait une noblesse de plume (loin des affaissements voraces de la noblesse de robe), mise au service d’une espérance, tendu dans cette trajectoire perturbée par des cahots sanglants. Le train fou de l’actualité lui a longtemps permis de différer une envie que paralysaient les statues des commandeurs de la littérature. Au premier rang desquels Aragon, longtemps lu « comme un voleur ». « Après tout, écrivit-il, nous sommes de la même famille et nous avons partagé le même cauchemar. Il ne faut pas en vouloir aux enfants de fouiller dans les malles du grenier. »
À fleur de peau pour traverser le siècle
Mais le poids écrase, le grand fleuve littéraire emporte, et il est aisé de se perdre dans les plis des étoffes somptueuses de la langue de l’auteur du Traité du style. Ce n’est qu’après avoir quitté ses responsabilités (tout en restant éditorialiste) qu’il publie en 2005 son premier roman, le Siècle dans la peau (chez Maren Sell). Cette peau, c’est celle qu’il lui fallut durcir pour traverser le siècle, mais aussi celle entrevue dans un croisement de jambes sous la jupe. Par quoi, c’est plutôt vers Roger Vaillant qu’il regarde. Ce livre paya la dette qu’il avait à son propre égard et il ne prolongea pas « l’orgie du roman » (1).
Durant les derniers mois où la corne du cancer cherchait l’homme, Claude accueillait ce combat avec lucidité, un stoïcisme romain et le souci d’épargner son entourage, sa femme Marylène et ses trois enfants. Avec toujours, une démangeaison à la pointe de la rapière, quand nous évoquions l’actualité.
http://www.humanite.fr/claude-cabanes-une-noblesse-de-plume-pour-servir-lesperance-582340
Comprendre pourquoi les États sont devenus des otages du système financier
Photo: François Morin, ancien membre du Conseil général de la Banque de France
Comprendre pourquoi les États sont devenus des otages du système financier
François Morin n’est ni une Cassandre de la bourse ni un prophète de malheur des marchés : il nous dresse le constat lucide et alarmant à la fois sur les dettes publiques des états partout en forte hausse (et pas uniquement dans la zone euro), accompagné d’un risque déflationniste et d’une instabilité des prix des matières premières, sans oublier la question posée par la trentaine d’institutions bancaires systémiques.
Il suffit qu’une seule de ces banques connaisse un problème de liquidité pour que l’effet domino qui s’ensuivrait jette toute l’économie mondiale par terre du jour au lendemain : un scénario qui hélas ne relève pas de la science fiction, d’autant que contrairement à 2008, le matelas protecteur constitué par les finances publiques s’est bien dégonflé ! Mais François Morin ne se contente de dresser un sombre diagnostic, il propose également des mesures à appliquer d’urgence pour éviter le prochain krach, mesures qui passent par un retour en force de la puissance publique, accompagné d’une ferme reprise en main de la création monétaire et d’une nationalisation partielle du secteur bancaire.
Il suffit qu’une seule de ces banques connaisse un problème de liquidité pour que l’effet domino qui s’ensuivrait jette toute l’économie mondiale par terre du jour au lendemain : un scénario qui hélas ne relève pas de la science fiction, d’autant que contrairement à 2008, le matelas protecteur constitué par les finances publiques s’est bien dégonflé ! Mais François Morin ne se contente de dresser un sombre diagnostic, il propose également des mesures à appliquer d’urgence pour éviter le prochain krach, mesures qui passent par un retour en force de la puissance publique, accompagné d’une ferme reprise en main de la création monétaire et d’une nationalisation partielle du secteur bancaire.
François Morin est professeur émérite de sciences économiques à l’Université Toulouse I. Il a été membre du Conseil général de la Banque de France, consultant international auprès de l’Organisation des Nations Unies, censeur de l’Institut régional du développement industriel, membre du Comité national des universités, membre du Conseil d’Analyse économique.
Il a publié de nombreux ouvrages sur la régulation des marchés financiers. Son dernier livre, intitulé : La Grande saignée : contre le cataclysme financier à venir (Lux éditeur,2013) sera disponible en dédicaces à l’issue de sa conférence.
Il a publié de nombreux ouvrages sur la régulation des marchés financiers. Son dernier livre, intitulé : La Grande saignée : contre le cataclysme financier à venir (Lux éditeur,2013) sera disponible en dédicaces à l’issue de sa conférence.
« 28 banques gouvernent le monde », accuse François Morin.
« 28 banques gouvernent le monde », accuse François Morin. Revenant sur le pouvoir de cet oligopole mondial, l’économiste propose d’abattre cette hydre et de redonner le pouvoir de la monnaie aux États.
mercredi 26 août 2015
Claude Cabanes a rendu les armes
Claude Cabanes a rendu les armes , je n'oublierai jamais cette voix si particulière qui lors des débats radiophoniques synthétisait en peu de mots l'essentiel , celle qui éclairait le "fil rouge" et rendait compréhensible , événement , la période , ou la politique du moment . Je n'oublierai pas ses papiers dans l'Huma ou la défense des plus faibles , la dignité humaine , en était le fil conducteur . Ce militant fut pour moi comme par exemple André Lajoinie un exemple . C'est un journaliste authentique , un homme de lettre , un militant communiste qui s'est éteint nous perdons un ami , la classe ouvrière un de ces défenseurs solide.
Adieu camarade tu nous as laissé un immense héritage , la ténacité , la droiture , l'engagement total , l'esprit communiste .
Adieu camarade tu nous as laissé un immense héritage , la ténacité , la droiture , l'engagement total , l'esprit communiste .
jeudi 20 août 2015
Comment le Qatar s'est "offert" Nicolas Sarkozy
Dans "Une France sous influence", un livre explosif à paraître dans quelques jours, Vanessa Ratignier et Pierre Péan racontent comment la France est devenue le terrain de jeu préféré du Qatar. En 2008, Chirac serait même sorti de sa réserve d'ancien président pour prévenir Sarkozy qu'il fait alors fausse route en se rabibochant, grâce au Qatar, avec la Syrie de Bachar al-Assad. D'autant que circulent des rumeurs de corruption et de financement de son divorce par l'émirat. Un récit à découvrir dans "Marianne" cette semaine.
Le 14 juillet 2008, à la veille d’un sommet de l’Union pour la Méditerranée, Nicolas Sarkozy invite à sa tribune pour le défilé militaire, le carré des dictateurs de la Méditerranée : Bachar al-Assad, le Tunisien Zine El-Abidine Ben Ali, l’Egyptien Hosni Moubarak et l’émir al-Thani du Qatar. A l’époque, Bachar est traité en paria par la communauté internationale pour l’implication présumée de son régime dans l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri. Ce milliardaire a été en 2005 la cible d’un attentat-suicide commis par une camionnette contenant une charge explosive de 1 800 kilos. Les services de renseignement syriens sont vite montrés du doigt.
Deux ans plus tard, lors de la passation du pouvoir entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, c’est la question du Liban qui domine les échanges en matière de politique étrangère, expliquent Vanessa et Ratignier et Pierre Péan dans leur livre, Une France sous influence*. Chirac conseille alors à son successeur de rencontrer le fils de Rafic Hariri, chef de la majorité qui soutient le gouvernement libanais, et de rester ferme avec la Syrie.
Sarkozy fera la sourde oreille. A l’époque, le nouveau président charge très vite Claude Guéant de reprendre contact avec le régime Syrien. C’est l’émir du Qatar qui sera à la manœuvre de ce rapprochement dont le point culminant sera le défilé militaire du 14 juillet 2008. C’en est trop pour Jacques Chirac, ami très proche des Hariri, qui a quitté le pouvoir il y a un an. En août 2008, en vacances dans la résidence tropézienne de son ami milliardaire François Pinault, Jacques Chirac se rend au Cap Nègre visiter le couple Sarkozy-Bruni, prévenant le président qu’il fait fausse route et que « la France a tout à perdre à aller à Damas. Tous nos amis libanais sont furieux ».
L’ancien président raconte à son successeur que le Premier ministre du Qatar, Hamad Jassem al-Thani a même tenté de le corrompre, venant à l’Elysée avec des valises remplies de billets : « Nicolas, fais attention. Des rumeurs de corruption fomentée par le Premier ministre qatari te concernant circulent dans Paris…Fais vraiment attention ».
En effet, des bruits circulent notamment sur le financement par le Qatar du divorce de Nicolas Sarkozy avec Cécilia en octobre 2007. Certains suggèrent qu’il a été payé par un prélèvement effectué sur l’argent versé par le Qatar à la Libye, en échange de la libération des infirmières bulgares détenues par le régime de Kadhafi. Le Qatar aurait versé bien plus que le montant de la rançon réclamée par la Libye. Le tout sur des comptes en Suisse qui auraient notamment servi à financer le divorce de Nicolas Sarkozy.
En 2008, l’émir de Doha raconte que le président français en a même pleuré sur son épaule : « Sarkozy pleurait presque. Il m’a raconté que sa femme Cécilia lui demandait 3 millions d’euros pour divorcer. C’est moi qui ai payé », confie-t-il à l’ancien activiste libanais Anis Naccache, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 1982 pour avoir tenté d'assassiner l'ancien Premier ministre du shah d'Iran, Shapour Bakhtiar.
Toujours est-il que Sarkozy contribuera à installer le Qatar comme une puissance incontournable du Moyen-Orient, ses dirigeants lui dictant même sa politique étrangère dans la région. D’autres responsables politiques rapporteront que le Qatar aurait pu être « la pompe à fric » de Sarkozy bien après avoir quitté le pouvoir, allant jusqu’à imaginer la création d’un fonds d’investissement dirigé par l’ancien chef de l’Etat, qui lui aurait rapporté 3 millions d’euros par an.
Une France sous influence. Quand le Qatar fait de notre pays son terrain de jeu, Vanessa Ratignier et Pierre Péan, Fayard, septembre 2014.
mercredi 19 août 2015
Alexis Tsipras : « Le peuple grec a surpassé le parti et le gouvernement »
*
Le 29 juillet, le Premier ministre grec s’exprimait longuement à l’antenne de Sto Kokkino. L’entretien, conduit par Kostas Arvanitis, le directeur de cette radio proche de Syriza, offre un éclairage inédit sur cinq mois d’une négociation aux allures de guerre d’usure avec les créanciers d’Athènes et les « partenaires » européens. Avec l’autorisation de nos confrères, nous en publions ici la retranscription intégrale.
*
Parlons de ces six mois de négociations. Quel bilan en tirez-vous ?
Alexis Tsipras. Il faudra en tirer les conclusions de façon objective, sans s’avilir ni s’auto-flageller car ce fut un semestre de grandes tensions et de fortes émotions. Nous avons vu remonter en surface des sentiments de joie, de fierté, de dynamisme, de détermination et de tristesse, tous les sentiments. Je crois qu’au bout du compte si nous essayons de regarder objectivement ce parcours, nous ne pouvons qu’être fiers, parce que nous avons mené ce combat. Et parce que les combats perdus d’avance ne sont que ceux que l’on ne livre pas. Nous avons tenté, dans des conditions défavorables, avec un rapport de force difficile en Europe et dans le monde, de faire valoir la raison d’un peuple et la possibilité d’une voie alternative. Au bout du compte, même si ces rapports de forces étaient déséquilibrés, même si les puissants ont imposé leur volonté, ce qui reste c’est l’absolue confirmation, au niveau international, de l’impasse qu’est l’austérité. Cette évolution façonne un tout nouveau paysage en Europe. L’Europe n’est pas la même après le 12 juillet. Quand Jürgen Habermas lui-même affirme que l’Allemagne a détruit une stratégie de cinquante ans, une stratégie de l’imposition par la persuasion et non par la force, je pense que ce sont des mots qu’il nous faut écouter.
Vous-même, le gouvernement, Syriza étaient-ils prêts à affronter l’adversaire ? N’y êtes-vous pas allés avec de bonnes intentions, face à des institutions qui ne se sont pas comportées de façon très institutionnelle ?
Alexis Tsipras. Il n’y a pas eu de « bonnes intentions », de notre côté ou du leur. Il y a eu une négociation très dure. Pour la première fois. Et la différence avec le passé c’est que sur la table il y avait des stratégies très différentes, contradictoires. Il y avait d’un côté un gouvernement qui avait et continue à avoir la majorité du peuple grec à ses côtés, qui revendique une autre voie, une autre perspective et de l’autre côté les institutions, qui ne sont ni indépendantes ni neutres mais aux ordres d’un plan stratégique précis.
Est-ce que Syriza s’est rangé à l’unisson derrière cette ligne de la négociation ou y avait-il d’autres opinions ? Avez-vous pris la négociation sur vous ? Les organes du parti connaissaient-ils les procédures ? Le parti était-il au courant de ce qui se passait ?
Alexis Tsipras. Le gouvernement fonctionne collectivement, avec le Conseil des Ministres, le conseil gouvernemental, qui tenait des réunions régulières afin que les ministres soient tenus au courant et qu’ils puissent définir le cours des négociations. Et en même temps nous avions créé, et ils existent toujours, des organes institutionnels comme le Groupe de négociation politique à laquelle de façon exceptionnelle assistaient tant le secrétaire du groupe parlementaire de Syriza que le secrétaire du comité central de Syriza, afin qu’ils soient absolument tenus au courant et qu’ils participent aux prises décisions. Le parti était lié aux organes gouvernementaux. Étroitement lié. Et bien sûr il y avait des réunions régulières du secrétariat politique de Syriza. C’est une autre question qu’il faut se poser. À quel point le parti participait de façon active à pour créer les conditions d’un soutien à l’effort gouvernemental dans la négociation ? C’est une question que l’on doit se poser.
Mais c’est vous le président de Syriza.
Alexis Tsipras. Effectivement mais je pense que le peuple grec a surpassé le parti et le gouvernement.
Cela s’est vu aussi lors du référendum.
Alexis Tsipras. Pas seulement. Certains regardaient se dérouler les négociations en grognant au moment même où la majorité du peuple grec voulait renforcer cet effort de la négociation. La négociation est une chose, la lutte quotidienne en est une autre. Les combats sociaux sont indispensables pour créer de nouveaux cadres, dépasser les cadres institutionnels en place, créer les structures et les infrastructures facilitant la confrontation avec l’ordre établi, tout en soutenant les populations qui souffrent des politiques actuelles.
Une grande partie de la population voit toujours d’un œil positif la trajectoire du gouvernement mais il y a aussi ceux qui se sont battus, dans la rue, dans les quartiers, qui se sentent contraints par les évolutions récentes. Qu’en est-il aujourd’hui du mandat populaire donné à Syriza ? Les memoranda n’ont pas été déchirés. L’accord est particulièrement dur. Vous-même, le gouvernement, le parti, avez posé la dette comme étant notre problème principal. Le sujet est enfin en discussion. Mais sur le reste, l’addition finale ?
Alexis Tsipras. Tout d’abord le mandat que nous avons reçu du peuple grec était de faire tout ce qui était possible afin de créer les conditions, même si cela nous coûte politiquement, pour que le peuple grec cesse d’être saigné.
Pour que s’arrête la catastrophe…
Alexis Tsipras. C’est le mandat que nous avons reçu, il nous a guidés dans la négociation…
Vous aviez dit que les memoranda seraient supprimés avec une seule loi.
Alexis Tsipras. Ne vous référez pas à l’un de mes discours de 2012. Avant les élections je n’ai pas dit que les memoranda pouvaient être supprimés avec une seule loi. Et personne ne disait cela. Nous n’avons jamais promis au peuple grec une ballade de santé. C’est pour cela que le peuple grec a conscience et connaissance des difficultés que nous avons rencontrées, auxquelles lui-même fait face, avec beaucoup de sang-froid. Laissons de côté ce cadre d’approche populiste « Vous avez-dit que vous déchireriez les memoranda ». Nous n’avons pas dit que nous déchirerions les memoranda avec une loi. Nous avons dit que nous mènerions le combat pour sortir de ce cadre étouffant dans lequel le pays a été conduit à cause de décisions politiques prises avant 2008 générant les déficits et les dettes, et après 2008, nous liant les mains.
Vous aviez bien dit que vous arrêteriez la catastrophe.
Alexis Tsipras. Je reviendrai sur la catastrophe. Mais nous n’avons pas promis au peuple grec que tout serait facile et que tout serait réglé en un jour. Nous avions un programme et nous avons demandé au peuple de nous soutenir afin de négocier dans des conditions difficiles pour pouvoir le réaliser. Nous avons négocié durement, dans des conditions d’asphyxie financières jamais vues auparavant. Pendant six mois nous avons négocié et en même temps réalisé une grande partie de notre programme électoral. Pendant six mois, avec l’angoisse constante de savoir si à la fin du mois nous pourrions payer les salaires et les retraites, faire face à nos obligations à l’intérieur du pays, envers ceux qui travaillent. C’était cela notre angoisse constante. Et dans ce cadre nous avons réussi à voter une loi sur la crise humanitaire. 200 millions, c’est ce qu’on a pu dégager. Des milliers de nos concitoyens, en ce moment, bénéficient de cette loi. Nous avons réussi à réparer de grandes injustices, comme celles faite aux femmes de ménage du ministère des finances, aux gardiens d’écoles, aux employés de la radiotélévision publique ERT, qui a rouvert. Nous avons voté de manière unilatérale, contre les institutions et la troïka, une loi instaurant la facilité de paiement en 100 fois, qui a permis à des centaines de contribuables, d’entrepreneurs, de s’acquitter de leurs dettes envers l’Etat, et de se débarrasser ainsi d’un poids. Nous avons voté une loi sur la citoyenneté, nous portons un projet de loi sur les prisons… Sans essayer d’enjoliver pour autant, n’assombrissons pas tout. Si quelqu’un a le sentiment que la lutte des classes est une évolution linéaire et se remporte en une élection et que ce n’est pas un combat constant, qu’on soit au gouvernement ou dans l’opposition, qu’il vienne nous l’expliquer et qu’il nous donne des exemples. Nous sommes devant l’expérience inédite d’un gouvernement de gauche radicale dans les conditions de cette Europe, de l’Europe néo-libérale, un peu comme un cheveu sur la soupe. Mais nous avons aussi, à gauche, d’autres expériences de gouvernement et nous savons que gagner les élections ne signifie pas, du jour au lendemain, disposer des leviers du pouvoir. C’est un combat constant. Mener le combat au niveau gouvernemental ne suffit pas. Il faut le mener, aussi, sur le terrain social.
Pourquoi avez-vous avez pris cette décision de convoquer un référendum ? En quoi cela vous a-t-il aidé ? En quoi cela a-t-il aidé le gouvernement et le pays ?
Alexis Tsipras. Je n’avais pas d’autre choix.
Pourquoi vous n’aviez pas d’autre choix ?
Alexis Tsipras. Il faut garder en tête ce que j’avais avec le gouvernement grec entre les mains le 25 juin, quel accord on me proposait. Je dois admettre que c’était un choix à haut risque. La volonté du gouvernement grec n’était pas seulement contraire aux créditeurs, elle se heurtait au système financier international, au système politique et médiatique grec. Ils étaient tous contre nous. La probabilité que nous perdions le référendum était d’autant plus élevée que nos partenaires européens ont poussé cette logique jusqu’au bout en décidant de fermer les banques. Lorsque nous avons pris la décision du référendum ceci n’était pas en jeu, loin de là. C’était donc un choix à haut risque mais c’était pour nous la seule voie, puisqu’ils nous proposaient un accord avec des mesures très difficiles, un peu comme celles que nous avons dans l’accord actuel, voire légèrement pires, mais dans tous les cas des mesures difficiles et, à mon avis, inefficaces. En même temps ils n’offraient aucune possibilité de survie. Car pour ces mesures ils offraient 10,6 milliards sur cinq mois. La principale position de nos partenaires lors des Sommets et des réunions de l’Eurogroupe était que la Grèce devait compléter ses obligations et ses engagements, avec une cinquième évaluation du programme précédent, ce que [le précédent Premier ministre] Samaras avait laissé à moitié fait. Ces engagements sont en fait les mêmes engagements que nous avons maintenant, c’est la cinquième évaluation que nous complétons dans un programme plus étendu, ce sont exactement les mêmes mesures. Ils voulaient que la Grèce, donc, prenne, une fois ses engagements tenus, ce qui restait du programme précédent en termes de financements. C’est à dire à peu près 10 milliards d’euros – 7 existants et 3,6 du FMI – et 2 milliards d’augmentation des bons du Trésor grec que la BCE, juste après notre élection, a mis comme limite – extrêmement basse – pour ne laisser aucune marge de respiration pour l’économie grecque. Essentiellement ils nous donnaient à peu près 12,6 milliards pour cinq mois d’extension, durant lesquels nous devions être soumis à quatre « revues » successives. Nous aurions dû appliquer le programme en cinq mois, au lieu de trois ans désormais, et l’argent que nous aurions obtenu aurait été issu des restes du programme précédent, sans un euro en plus, parce que telle était l’exigence des Néerlandais, des Finlandais, des Allemands. Le problème politique principal des gouvernements du Nord était qu’ils ne voulaient absolument pas devoir aller devant leurs Parlements pour donner ne serait-ce qu’un euro d’argent « frais » à la Grèce, car ils s’étaient eux-mêmes enfermés dans un climat populiste selon lequel leurs peuples payaient pour ces paresseux de Grecs. Un climat qu’ils ont eux-mêmes fabriqué. Tout ceci est bien sûr faux, puisqu’ils paient les banques et les prêts des banques, pas les Grecs.
La droite grecque reprend ce discours…
Alexis Tsipras. Qu’a apporté la position forte tenue contre vents et marées par le peuple grec au référendum ? Elle a réussi à internationaliser le problème, à le faire sortir des frontières, à dévoiler le dur visage des partenaires et créditeurs. Elle a réussi à donner à l’opinion internationale l’image, non pas d’un peuple de fainéants, mais d’un peuple qui résiste et qui demande justice et perspective. Nous avons testé les limites de résistance de la zone euro. Nous avons fait bouger les rapports de forces. La France, l’Italie, les pays du Nord avaient tous des positions très différentes. Le résultat, bien sûr, est très difficile mais d’un autre côté la zone euro est arrivée aux limites de sa résistance et de sa cohésion. Le chemin de la zone euro et de l’Europe au lendemain de cet accord sera différent. Les six mois prochains seront critiques et les rapports de forces qui vont se construire durant cette période seront tout aussi cruciaux. En ce moment le destin et la stratégie de la zone euro sont remis en question. Il y a plusieurs versions. Ceux qui disaient « pas un euro d’argent frais » ont finalement décidé non pas seulement un euro mais 83 milliards. Donc de 13 milliards sur cinq mois on est passé à 83 milliards sur trois ans, en plus du point crucial qu’est l’engagement sur la dépréciation de la dette, à discuter en novembre. C’est un point-clé pour que la Grèce puisse, ou non, entrer dans une trajectoire de sortie de la crise. Il faut cesser avec les contes de Messieurs Samaras et Venizelos, qui prétendaient sortir des mémoranda. La réalité est que ce conte avait un loup, ce loup c’est la dette. Avec une dette à 180-200% du PIB, on ne peut pas retourner sur les marchés. On ne peut pas avoir une économie stable. Le seul chemin que nous pouvons suivre est celui de la dépréciation, de l’annulation, de l’allégement de la dette. La condition pour que le pays puisse retrouver une marge financière, c’est qu’il ne soit plus obligé de dégager des excédents budgétaires monstrueux, destinés au remboursement d’une dette impossible à rembourser.
Le non au référendum était un non à la proposition de la troïka, donc un non à l’austérité…
Alexis Tsipras. Il y avait deux parties dans la question posée au référendum. Il y avait la partie A, qui concernait les mesures pré-requises, et la partie B, qui concernait le calendrier de financement. Si nous voulons être tout à fait honnêtes et ne pas enjoliver les choses, par rapport à la partie A, l’accord qui a suivi le référendum est similaire à ce que le peuple grec a rejeté. Avec des mesures en partie améliorées, en partie plus difficiles, par exemple ce qui a été rajouté au dernier moment sur le Fonds de remboursement de la dette pour les 30 prochaines années. Sur d’autres mesures c’est un accord amélioré, il n’y a plus de suppression de l’EKAS [prime de solidarité pour les petites retraites, NDLR], la proposition Junker parlait de supprimer l’EKAS, d’augmenter à 23% de la TVA sur l’électricité. En ce qui concerne la partie B par contre, et là nous devons être tout à fait honnêtes, c’est le jour et la nuit. Nous avions cinq mois, 10 milliards, cinq « revues ». Nous avons 83 milliards – c’est à dire une couverture totale des besoins financiers sur le moyen terme (2015-2018), dont 47 milliards pour les paiements externes, 4,5 milliards pour les arriérés du secteur publique et 20 milliards pour la recapitalisation des banques et, enfin, l’engagement crucial sur la question de la dette. Il y a donc un recul sur la partie A, de la part du gouvernement grec, mais sur la partie B il y a une amélioration : le référendum a joué son rôle. Le mercredi soir précédent le référendum, certains avaient créé les conditions d’un coup d’État dans le pays, en proclamant qu’il fallait envahir Maximou [le Matignon grec, NDLR], que le gouvernement emmenait le pays vers une terrible catastrophe économique, en parlant de files d’attente devant les banques. Je dois dire que le peuple grec a su garder son sang-froid, au point que les télévisions avaient du mal à trouver du monde pour se plaindre de la situation, ce sang-froid était incroyable. Ce soir-là je me suis adressé au peuple grec et j’ai dit la vérité. Je n’ai pas dit : « Je fais un référendum pour vous sortir de l’euro ». J’ai dit : « Je fais un référendum pour gagner une dynamique de négociation ». Le « non » au mauvais accord n’était pas un « non » à l’euro, un « oui » à la drachme. Appelons un chat un chat. On peut m’accuser d’avoir eu de mauvaises estimations, de mauvais calculs, des illusions, mais à chaque moment, à chaque avancée, et je pense personne d’autre ne l’avait fait auparavant, j’ai dit les choses clairement, j’ai informé deux fois le Parlement, c’était un processus ouvert, Il n’y avait pas dans cette négociation de cartes cachées, tout était ouvert. À chaque avancée j’informais le peuple grec, je disais les difficultés, mes intentions, ce que je préparais, même au moment crucial du référendum, j’ai dit précisément ce que je comptais faire, j’ai dit la vérité au peuple grec.
Avec dans vos mains, aux heures de la négociation, les 61,2% que vous a donné le peuple grec, quel aurait été l’accord qui vous aurait satisfait lors de votre retour de Bruxelles ?
Alexis Tsipras. Le référendum a été décidé le jour de l’ultimatum, le 25 juin, vendredi matin, lors d’une réunion que nous avons tenue à Bruxelles, avec, devant nous, la perspective d’une humiliation sans sortie possible. C’était, pour eux, à prendre ou à laisser. « The game is over », répétait le président du Conseil européen, Donald Tusk. Ils ne s’en cachaient pas, ils voulaient des changements politiques en Grèce. Nous n’avions pas d’autre choix, nous avons choisi la voie démocratique, nous avons donné la parole au peuple. Le soir même en rentrant d’Athènes, j’ai réuni le Conseil gouvernemental où nous avons pris la décision. J’ai interrompu la séance pour communiquer avec Angela Merkel et François Hollande. Je leur ai fait part de ma décision, le matin même je leur avais expliqué que ce qu’ils proposaient n’était pas une solution honnête. Ils m’ont demandé ce que j’allais conseiller au peuple grec et je leur ai répondu que je conseillerai le « non », pas dans le sens d’une confrontation, mais comme un choix de renforcement de la position de négociation grecque. Et je leur ai demandé de m’aider à mener à bien ce processus, calmement, de m’aider afin que soit accordé par l’Eurogroupe, qui devait se réunir 48 heures plus tard, une extension d’une semaine du programme afin que le référendum ait lieu dans des conditions de sécurité et non pas dans des conditions d’asphyxie, avec les banques fermées. Ils m’ont tous les deux assuré à ce moment-là, qu’ils feraient tout leur possible dans cette direction. Seule la chancelière m’a prévenu qu’elle s’exprimerait publiquement sur le référendum, en présentant son enjeu comme celui du maintien ou non dans l’euro. Je lui ai répondu que j’étais en absolu désaccord, que la question n’était pas euro ou drachme, mais qu’elle était libre de dire ce voulait. Là, la conversation s’est arrêtée. Cette promesse n’a pas été tenue. Quarante-huit heures plus tard l’Eurogroupe a pris une décision très différente. Cette décision a été prise au moment où le Parlement grec votait le référendum. La décision de l’Eurogroupe a mené en vingt-quatre heures à la décision de la BCE de ne pas augmenter le plafond ELA [mécanisme de liquidités d’urgence dont dépendent les banques grecques, NDLR] ce qui nous a obligés à instaurer un contrôle de capitaux pour éviter l’effondrement du système bancaire. La décision de fermer les banques, était, je le pense, une décision revancharde, contre le choix d’un gouvernement de s’en remettre au peuple.
Est-ce que le « non » au référendum reste, pour vous, une carte à jouer ?
Alexis Tsipras. Cela ne fait aucun doute. C’est une carte très importante. Le référendum a fait de la Grèce, de son peuple et de son choix démocratique le centre du monde. C’était un référendum contre vents et marées. Tous nos partenaires, nos créanciers et la classe dirigeante internationale affirmaient que la question était euro ou drachme. Mais la question formulée par le gouvernement grec souverain, c’était la question inscrite sur le bulletin de vote.
Vous attendiez-vous à ce résultat ?
Alexis Tsipras. J’avoue que jusqu’au mercredi [précédent le scrutin, NDLR] j’avais l’impression que ce serait un combat indécis. À partir du jeudi, j’ai commencé à réaliser que le « non » allait l’emporter et le vendredi j’en étais convaincu. Dans cette victoire, la promesse que j’ai faite au peuple grec de ne pas jouer à pile ou face la catastrophe humanitaire a pesé. Je ne jouais pas à pile ou face la survie du pays et des couches populaires. À Bruxelles, par la suite, sont tombés sur la table plusieurs scénarios terrifiants. Je savais durant les dix-sept heures où j’ai mené ce combat, seul, dans des conditions difficiles, que si je faisais ce que me dictait mon cœur – me lever, taper du poing et partir – le jour même, les succursales des banques grecques à l’étranger allaient s’effondrer, nous parlons là d’actifs valant 7 milliards d’euros, plus de 405 établissements, environ 40 000 emplois. En quarante-huit heures, les liquidités qui permettaient le retrait de 60 euros par jour se seraient asséchées et pire, la BCE aurait décidé d’une décote des collatéraux des banques grecques, voire auraient exigé des remboursements qui auraient conduit à l’effondrement de l’ensemble des banques. Il n’était pas donc pas question de décote, seulement. C’était bien la menace d’effondrement. Or un effondrement se serait traduit non pas par une décote des épargnes mais par leur disparition. Malgré tout j’ai mené ce combat en essayant de concilier logique et volonté – et je dois dire que moi-même et nos partenaires européens avons pris quelques coups durant ces dix-sept heures. Je savais que si je partais j’aurais probablement dû revenir, dans des conditions plus défavorables encore. J’étais devant un dilemme. L’opinion publique mondiale clamait « #ThisIsACoup », au point que c’est devenu cette nuit-là sur Twitter le premier hashtag au niveau mondial. D’un côté il y a avait la logique, de l’autre la sensibilité politique. Après réflexion, je reste convaincu que le choix le plus juste était de faire prévaloir la protection des couches populaires. Dans le cas contraire, de dures représailles auraient pu détruire le pays. J’ai fait un choix de responsabilité.
Vous ne croyez pas à cet accord et pourtant vous avez appelé les députés à le voter. Qu’avez-vous en tête ?
Alexis Tsipras. Je considère, et je l’ai dit au Parlement, que c’est une victoire à la Pyrrhus de nos partenaires européens et de nos créanciers, en même temps qu’une grande victoire morale pour la Grèce et son gouvernement de gauche. C’est un compromis douloureux, sur le terrain économique comme sur le plan politique. Vous savez, le compromis est un élément de la réalité politique et un élément de la tactique révolutionnaire. Lénine est le premier à parler de compromis dans son livre La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme ») et il y consacre plusieurs pages pour expliquer que les compromis font partie des tactiques révolutionnaires. Il prend dans un passage l’exemple d’un bandit pointant sur vous son arme en vous demandant soit votre argent, soit votre vie. Qu’est censé faire un révolutionnaire ? Lui donné sa vie ? Non, il doit lui donner l’argent, afin de revendiquer le droit de vivre et de continuer la lutte. Nous nous sommes retrouvés devant un dilemme coercitif. Ce chantage est cynisme : soit le compromis – dur et douloureux – soit la catastrophe économique – gérable pour l’Europe, pas au niveau politique, mais économiquement parlant – qui pour la Grèce et la gauche grecque aurait été insurmontable. Aujourd’hui les partis de l’opposition et les médias du système font un boucan impressionnant, allant jusqu’à demander des procédures pénales contre Yanis Varoufakis, pour savoir si oui ou non il avait un plan de crise. Imaginez ce qui se passerait dans ce pays s’il y avait eu une telle catastrophe économique. Nous sommes tout à fait conscients que nous menons un combat, en mettant en jeu notre tête, à un niveau politique. Mais nous menons ce combat en ayant à nos côtés la grande majorité du peuple grec. C’est ce qui nous donne de la force.
Toute cette procédure de négociation pour en arriver là… Cela en valait-il le coût, politiquement parlant ? Au point où nous en sommes, avec les banques fermées, les dommages causés à une économie grecque déjà affaiblie, cela en valait-il la peine ?
Alexis Tsipras. Je ne regrette pas un seul de ces moments, je ne regrette rien de tout ce qui s’est passé ces cinq mois. Cela en valait la peine, et concernant l’économie, les choses sont réversibles. La Grèce est à la Une des journaux, en des termes positifs. Le drapeau grec flotte sur des manifestations à travers les capitales d’Europe. Des milliers de personnes en Irlande, en France, en Allemagne, ont manifesté leur solidarité avec le peuple grec. Cela en valait la peine, bien sûr.
Mais la conclusion de ces négociations est considérée comme une défaite…
Alexis Tsipras. C’est considéré comme une défaite par certains esprits étroits qui pensent que la révolution aura lieu via l’invasion des Palais d’Hiver et qu’elle durera un instant.
Et si l’on regarde les sondages en Espagne pour Podemos ?
Alexis Tsipras. Ceux de Podemos ont devant eux la possibilité de revendiquer une alternative. Ils ne l’auraient pas si le 12 juillet nous avions assisté à une énorme catastrophe économique. Podemos a toutes les possibilités de gagner, ils ont trois mois devant eux pour mener le combat et la bataille électorale en Espagne en novembre fait partie du changement qui arrive en Europe. Tout comme les changements et transformations qui auront lieu dans le reste de l’Europe. Mais revenons aux dommages causés à l’économie grecque. Ils sont réversibles, à condition que l’accord soit complété. Nous ne sommes pas tous seuls : le projet de Grexit des cercles conservateurs extrémistes pour un Grexit est toujours sur la table. Il y restera jusqu’à la décision de dépréciation de la dette grecque, une décision qui doit déterminer si le FMI participera ou non au programme. Je dis que la situation est réversible. S’il n’y avait pas eu de changement politique, le pays, de toute façon, serait contraint de dégager des excédents budgétaires primaires équivalents à 3,5% en 2015 et 4,5% à partir de 2016 et par la suite. Aujourd’hui, nous avons l’obligation, d’arriver en 2018 à un excédent de 3,5%. Aujourd’hui nous pouvons n’en dégager aucun, voire être en négatif, arriver à 1% demain, à 2,5% en 2017, en fonction de la situation économique. Qu’est-ce que cela signifie en pratique ? Cela veut dire que le changement politique et la négociation ont sauvé l’économie grecque de mesures qui lui auraient coûté plus de 15 milliards d’euros.
Mais l’économie réelle devra fait face à la hausse de la TVA… Nous n’avons plus notre mot à dire sur le niveau de taxation de tel ou tel produit. Ils font irruption tels des gangsters dans la gestion de nos affaires internes…
Alexis Tsipras. Il n’y a pas de doute là-dessus.
Les Grecs ont porté la gauche au pouvoir pour arrêter cela…
Alexis Tsipras. La gauche a fait tout ce qu’elle a pu et elle va continuer à se battre que cela s’arrête. Mais il faut que la gauche – et nous tous avec – se rende compte que nous devons nous battre dans un cadre très précis, en mesurant les alternatives qui s’offrent à nous. À ce stade en particulier les alternatives que nous avions devant nous étaient soit la faillite désordonnée soit le compromis difficile qui nous laisse la possibilité de survivre et de nous battre dans les années à venir pour « casser » cette étroite mise sous surveillance. Nous avons la possibilité de nous libérer de cette surveillance asphyxiante. Le peuple grec est comme le fugitif qui, parce qu’il a tenté de s’échapper de la prison de l’austérité, a été placé à l’isolement. Il mène un combat pour s’enfuir mais à la fin il est arrêté et jeté dans une cellule encore plus étouffante et plus étroite. Comment sortir de cette prison désormais ? Certains préconisent de se jeter dans les douves avec les crocodiles ou sur les grillages électriques. Non, ce n’est pas une façon de s’échapper : c’est une façon de se suicider. Aujourd’hui pour quitter cet isolement il faut susciter une immense vague de solidarité internationale pour aider le peuple grec à se libérer du joug de l’austérité. C’est seulement ainsi que nous nous libérerons.
Peut-on encore entrevoir une solution au sein de cette Union Européenne, dans le cadre de cette zone euro ? C’est un peu une alliance de loups…
Alexis Tsipras. Nous vivons dans le cadre d’une économie mondialisée. Regardez les pays voisins, en dehors de l’UE, de la zone euro : la Serbie, l’Albanie. Vous avez l’impression que là-bas il n’y a pas d’austérité ? Que les conditions de survie n’y sont pas difficiles ? Que ces pays ne sont pas contraints d’importer les produits de base ? Tout d’un coup, le pays deviendrait autonome et pourrait couvrir les besoins pour la survie de la population ? Nous ne pouvons pas faire ça du jour au lendemain. Nous sommes donc obligés de voir la réalité en face. Et de voir, dans le cadre de cette réalité, si la lutte des classes existe seulement au niveau des négociations ou aussi au sein du pays. Existe-il, pour un gouvernement de gauche, des possibilités d’ouvrir un espace, de créer des respirations de solidarité et de redistribution ? La différence entre une politique progressiste et une politique conservatrice, au sein de l’étroit cadre européen est-elle possible ? Nous devrons répondre collectivement à ces questions. Cet accord a été un choc pour le peuple et pour la gauche. Certains en concluent que dans ce contexte un gouvernement de gauche n’a pas de raison d’être. Je suis prêt à débattre de ce point de vue. Cela équivaut à dire au peuple grec : « Nous nous sommes trompés en disant que nous pouvions mettre fin à ce mémorandum, demandons au système politique déchu qui nous a mené jusqu’ici de gérer cela. Choisissez plutôt ce système qui toutes ces dernières années ne négociait pas mais complotait avec la troïka afin de vous imposer ces mesures. » Le peuple grec nous répondrait qu’il n’en veut pas, qu’il attend de nous que nous assumions nos responsabilités. Si nous devions renoncer parce que les conditions trop difficiles, comment cela se traduirait-il en pratique ? Nous ne nous présenterions pas aux prochaines élections pour ne pas courir le risque d’être élus, comme l’a fait le KKE en 1946. Voyons maintenant les choses différemment. Supposons que nous en arrivions à la conclusion théorique que nous autres les « sages » de la gauche, façonnions mieux les conditions objectives en étant dans l’opposition. Si nous avouons au peuple, les yeux dans les yeux, que nous ne pouvons pas gérer les choses, en étant au gouvernement, comment pourrait-il nous faire confiance pour le faire dans l’opposition ? Dans l’opposition, nous aurions dix fois moins de pouvoir. Si elle suit cette logique, la gauche en arrivera à clore volontairement une opportunité historique de mener le combat pour changer les choses – tant qu’elle le peut – depuis une position de responsabilités. Au fond, ce serait céder à la peur des responsabilités.
Ne sommes-nous pas dans une position surréaliste, avec des travailleurs appelés à se battre contre une politique que la gauche est supposée mettre en œuvre ? C’est une folie !
Alexis Tsipras. La grande différence, l’énorme différence, et c’est là où se concentre leurs attaques, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parlement, c’est que nous, nous ne revendiquons pas la propriété de ce programme. Quand l’opinion publique européenne et mondiale a vu de quelle façon le gouvernement grec et moi-même avons été contraints à ce compromis, personne ne peut prétendre que la propriété de ce programme nous revient. Ici permettez-moi de répéter la citation de Jürgen Habermas qui a dit, je le cite mot à mot : « J’ai peur que le gouvernement allemand, y compris sa frange social-démocrate, ait dilapidé en l’espace d’une nuit tout le capital politique qu’une Allemagne meilleure avait accumulé depuis un demi-siècle ». Voici quelle défaite politique ont subi nos partenaires européens. Ici s’ouvre devant nous un espace, très important, de transformations en Europe. Doit-on l’abandonner, nous qui en sommes les protagonistes, nous qui avons suscité ces fissures ? Enfin, un gouvernement de gauche obligé de mettre en œuvre ce programme va rechercher en même temps les moyens d’en équilibrer les conséquences négatives, tout en restant dans les combats sociaux, parmi les travailleurs qui se battront.
Mais ils vous couperont l’herbe sous le pied ! Pourquoi vous laisseraient-ils compenser les effets de ces mesures ?
Alexis Tsipras. Vous pensez que la négociation s’est arrêtée le 12 juillet ? C’est un combat constant. Tant que nous façonnerons les conditions pour des rapports de force plus propices au niveau européen, ce combat penchera en notre faveur. Il ne faut pas abandonner le combat.
Il y déjà des rumeurs sur de nouvelles mesures, sur de nouveaux paquets de mesures.
Alexis Tsipras. J’ai bien peur que ces rumeurs ne naissent ici, avant de se propager à l’étranger pour ensuite revenir ici.
Cela fait partie du jeu. Mais vous les avez bien entendues vous aussi. Des rumeurs de prêt-pont.
Alexis Tsipras. Je connais le cadre de l’accord que nous avons signé le 12 juillet au Sommet de la zone euro. Ces obligations fondamentales, indépendamment du fait que nous soyons ou non d’accord avec elles, nous les mettrons en œuvre. Pas une de plus, pas une de moins.
Un auditeur nous dit : « J’ai trois enfants, ils sont au chômage, je travaille à temps partiel, je dois m’acquitter d’une taxe immobilière de 751€, je veux les soutenir mais je n’ai rien ! »
Alexis Tsipras. C’est la réalité de la société grecque aujourd’hui. Un rapport de l’Institut du travail de la Confédération syndicale des salariés du privé évalue à 4 sur 10 le nombre de personnes en situation de pauvreté. Nous devons affronter cette réalité que nous devons affronter. Si nous abandonnons le combat, ces 4 pauvres sur 10 vont-il cesser d’être pauvres? Le seul choix, c’est de rester, d’organiser un mouvement de solidarité et en même temps de nous battre pour des mesures qui contrebalancent les conséquences néfastes des obligations imposées par les recettes néolibérales de l’austérité. Dans le cadre d’un projet que nous allons devoir établir au plus vite, nous allons nous reconstituer pour contre attaquer. Ce projet sera un projet de gauche, il ne peut venir ni de la droite ni de la social-démocratie. Le projet de la droite et de la social-démocratie c’est de dire que s’il n’y avait pas de mémorandum, il faudrait l’inventer ! Nous, nous affirmons que le mémorandum est une mauvaise recette. Les alliances en face étaient trop fortes et nous avons été obligés de l’accepter. Mais nous livrons un combat pour en retourner les termes, pour nous en désengager petit à petit. J’entends dire que c’est le pire mémorandum de tous ceux que nous avons eus. C’est le plus douloureux parce qu’il arrive dans le cadre d’un compromis douloureux. Je suis d’accord là-dessus. Mais les deux précédents memoranda se sont traduits par 16% d’ajustement budgétaire sur quatre ans. Ils comportaient des licenciements collectifs – des licenciements de fonctionnaires, ici nous n’avons pas de licenciements de fonctionnaires, mais nous avons eu des réembauches de gens injustement traités. En même temps, nous avons la poursuite de l’austérité de manière directe avec l’augmentation de la TVA, dans la restauration par exemple, c’est une mesure qui ne va rien donner à notre avis et c’est un des grands problèmes, mais nous n’avons pas de baisse nominale des retraites et des salaires !
Mais nous avons des baisses indirectes !
Alexis Tsipras. Dites-moi donc où sont ces baisses ?
L’augmentation de la TVA se traduira par une perte de pouvoir d’achat.
Alexis Tsipras. Je l’ai dit ça, sur la TVA, je ne vais pas me répéter. Mais est-ce la même chose que d’avoir des baisses de salaires ou de retraite de 40% comme avec les deux précédents memoranda ? 40% de baisse nominale sur les retraites, est-ce la même chose que la TVA à 23% sur la restauration ? Cela justifie-t-il que l’on juge ce memorandum pire que les deux précédents ?
C’est une autre logique…
Alexis Tsipras. Non nous ne sommes pas dans des logiques différentes ! Nous sommes tous déçus, nous sommes tous amers, mais de là à se charger d’un poids supplémentaire, s’auto-fustiger, parce que la gauche s’est habituée à un discours de la faute ces quarante dernières années, et ne pas reconnaître que nous avons réussi quelque chose et que nous allons continuer…
Vous n’avez pas décrit l’accord qui vous aurait fait dire : « c’est un bon accord », après le référendum.
Alexis Tsipras. Oui. Après le référendum un bon accord aurait été celui qui nous aurait donné la possibilité d’assurer nos obligations budgétaires à moyen terme, celles que nous avons assurées désormais, en plus de l’engagement sur la dette. Mais avec un cadre de compromis honnête. D’accord, acceptons les règles de la zone euro, acceptons d’entrer dans une logique de budgets équilibrés et d’excédents budgétaires – mais modérés, pour qu’ils soient viables, ces excédents. Des excédents de 1 ou 2% pour éviter des mesures qui sont, de l’avis des meilleurs économistes de la planète, contre-productives. Par exemple je considère que l’augmentation de la TVA est une erreur. Parce que le pays a besoin d’une amélioration de l’encaissement des impôts et de la TVA. Cela implique de renforcer les mécanismes de contrôle, dans les îles où il y a actuellement énormément de fraude et d’évitement fiscal ; de convaincre les citoyens de prendre part en demandant des factures, pour améliorer l’encaissement. Si on augmente l’encaissement de 3%, on encaissera d’avantage que ce qui est prévu avec l’augmentation de 10% de la TVA dans la restauration. Je dis des choses logiques, il n’y a là rien d’incroyable. De même je considérerais comme logique de ne pas imposer une pression fiscale supplémentaire sur des secteurs touchés par la crise, comme l’agriculture. Là nous devons trouver des mesures qui compensent cette pression fiscale supplémentaire.
Mais qui sont vraiment les agriculteurs ? Ils ne sont pas tous les mêmes. La Grèce compte-elle 800.000 agriculteurs ? On ne peut pas caresser certaines catégories dans le sens du poil…
Alexis Tsipras. Certaines catégories sociales sont habituées à ne pas faire face à leurs obligations et à revendiquer sans critères de justice. Nous devons nous attaquer à tout cela. D’autre part, nous devons comprendre que ces changements ne peuvent pas intervenir dans un contexte de conflit social, mais seulement dans un contexte de cohésion sociale. Mais là vous m’offrez l’occasion de prendre position sur les nombreux choix qui peuvent se faire, dans une perspective progressiste, même dans le cadre d’un ajustement budgétaire difficile imposé de l’étranger. Prenons les exemples de la fraude fiscale, de la corruption. La gauche sera jugée sur sa capacité à les affronter Peut-on suivre un programme politique de gauche, une politique socialement juste sans contrôle de ceux qui fraudent depuis des années, envoient de l’argent à l’étranger, au vu et au su de tous, tout en restant hors d’atteinte ? Nous serons jugés là-dessus.
Qui peut arrêter ceux-là ? Est-ce si difficile, pour l’administration, de repérer les comptes depuis lesquels l’argent est transféré à l’étranger ?
Alexis Tsipras. Cela demande du temps et de la méthode. Je dois avouer que ces derniers six mois, notre attention a été accaparée par les confrontations liées à la négociation. Mais il n’y a pas que la négociation ! Si l’on considère que les étrangers sont responsables de tout ce qui ne marche pas dans le pays, on déroule le tapis rouge à la bourgeoisie et à l’oligarchie locale qui ont mené le pays à la catastrophe. Nous devons nous occuper de l’oligarchie intérieure, cela implique de réorienter notre projet, notre plan de bataille, de confrontation et de conflit, contre l’oligarchie qui a conduit le pays à la destruction et qui continue à contrôler des centres de pouvoir. Certains diront : mais là aussi vous allez vous retrouver avec la Troïka comme adversaire ! Oui. Mais alors chacun devra prendre ses responsabilités publiquement. C’est une chose que la Troïka dise : « Je ne veux pas que vous ayez des déficits » – même si on n’est pas d’accord avec sa politique – et c’en est une autre qu’elle dise : « Je ne veux pas que les riches de votre pays soient mis à contribution et je veux que les pauvres paient toute l’addition ». La Troïka prendra publiquement ses responsabilités, elle devra rendre des comptes devant l’opinion internationale parce qu’en ce moment tous nous regardent, l’Europe et le monde entier. Je suis allé au Parlement européen, il y avait une immense dichotomie : la moitié de notre côté et l’autre moitié avec ceux d’en face. Tout le monde regarde vers la Grèce ! Il faut donc que nous prenions des initiatives, dans le sens de grands changements, des réformes au contenu progressiste, qui vont changer le système politique, combattre la corruption, la fraude fiscale, les pratiques de l’oligarchie. Voilà les buts que doit se donner une politique progressiste et radicale pour notre pays.
Des combats n’ont pas été menés par le gouvernement de gauche. Par exemple, sur les mines d’or de Skouriès où les citoyens se sont dressés contre la compagnie Ellinikos Chrysos. Le gouvernement de droite a poursuivi et réprimé ces citoyens. La Compagnie Ellinikos Chrysos fonctionne encore.
Alexis Tsipras. À Skouriès ce que je sais c’est que l’entreprise se plaint, elle réclame une décision car elle n’a pas encore reçu d’autorisation pour continuer l’extraction et la séparation de l’or sur place. Ce combat continue. Pas seulement contre les grands intérêts. C’est aussi un combat qui se livre sur place contre des intérêts locaux. Il faut trouver un modus vivendi parce que de l’autre côté, ils avancent l’argument de l’emploi.
Mais nous sommes d’un côté, pas de l’autre !
Alexis Tsipras. Nous sommes un gouvernement, nous avons des responsabilités, nous ne pouvons pas mettre 5000 salariés au chômage. Il faut trouver une solution. Ce dossier était géré par Panayotis Lafazanis en tant que ministre [de l'Énergie et de la Reconstruction productive, qui a quitté le gouvernement le 18 juillet, NDLR]. Il est aujourd’hui repris par Panos Skourletis. Ce n’est pas encore réglé mais je suis certain que la solution prendra en compte à la fois la cohésion, la justice sociale et le bon droit du combat citoyen.
Quels citoyens ? Ceux qui se battent contre cet « investissement » ou ceux qui réclament du travail ?
Alexis Tsipras. La justice sociale implique que les gens qui travaillaient ne perdent pas leur emploi. Le droit du combat citoyen, c’est celui des gens qui se battent pour l’environnement et pour leurs vies. Je suis clair là-dessus.
Concernant les médias de masse, il y a depuis des années un environnement anarchique. Le gouvernement a pris des engagements, un projet de loi a été déposé. Cela se fait-il dans un esprit de revanche ? Les nouveaux acteurs qui vont surgir dans le paysage audiovisuel seront-ils plus honnêtes ? Le gouvernement favorisera-t-il ses amis, l’entourage des ministres ?
Alexis Tsipras. Je ne pense pas qu’il y ait de place pour un sentiment de revanche dans le projet de loi. Il exprime pour la première fois la volonté de mettre de l’ordre et d’imposer des règles dans ce secteur. Lorsque quelqu’un veut utiliser un bien public, il a le devoir de payer au secteur public le loyer équivalent à l’usage de ce bien public – et il a le devoir aussi de respecter certaines règles sur la manière de gérer ce bien public. Il ne s’agit pas seulement d’imprimer un journal et de le vendre à celui qui veut bien l’acheter. Il y a usage du domaine public, donc il faut respecter quelques règles ! Pour la première fois depuis l’entrée des investisseurs privés dans le secteur audiovisuel, il va y avoir une règlementation, le cadre va être réglementé. Tous ceux qui, jusqu’ici, ne respectent pas leurs engagements envers la loi seront obligés de les respecter… Les consultations qui vont suivre le projet de loi nous permettrons d’entendre les positions des uns et des autres.
Ces consultations seront-elles ouvertes à tous et sincères ?
Alexis Tsipras. Nous entendrons toutes les parties, journalistes, propriétaires de médias et nous sommes prêts à entendre tous les points de vue. Ce qui compte c’est que nous puissions dire au peuple grec – et s’il doit y avoir des améliorations, des modifications, nous sommes prêts à l’entendre, – que ce secteur va enfin être régulé et qu’il le sera dans la légalité. Aucun groupe de presse ne pourra plus dissimuler des pertes financières et en même temps bénéficier de facilités de la part du système bancaire privé en contrepartie d’un soutien à certains acteurs du système politique. Dans ce triangle de l’intrication, de la corruption, ce triangle du pêché, des entreprises de presse en déficit se voyaient accorder des prêts bancaires de manière scandaleuse tandis que des entreprises saines, dans les autres secteurs d’activité, ne pouvaient obtenir de prêts. Ce triangle scandaleux est terminé. L’information des citoyens est un bien public, elle doit être objective, se plier à des règles et le fonctionnement des entreprises de presse et des mass media doit se faire dans la transparence selon les règles applicables à toutes les entreprises du pays.
Des auditeurs nous interpellent sur les violences policières, puisque nous avons abordé le sujet des mines d’or de Skouriès. C’est un gouvernement de gauche qui réprime les manifestations. Il y a eu des membres cassés, parfois.
Alexis Tsipras. Je n’en doute pas, mais la différence, c’est qu’il n’y a aucune volonté politique de couvrir, de cacher ces faits. Au contraire. Il faut faire toute la lumière sur ces violences et mettre à la disposition de la justice ceux qui provoquent ces incidents, laisser la loi faire son travail. Le rôle du policier n’est pas de tabasser ou de dissoudre la légitimité d’une manifestation publique, comme nous l’avons vécu ces dernières années. Tout de même sur ce point il y a eu des changements importants.
Nous nous étions heureux du retrait des grilles autour du Parlement. Elles sont de retour aujourd’hui.
Alexis Tsipras. Quand ça ?
Je les ai revues.
Alexis Tsipras. Vous parlez des incidents qui ont eu lieu. Des cocktails Molotov ont explosé devant les gens il a failli y avoir des blessés graves. Quinze personnes de nationalités étrangères ont été arrêtées pour cette raison. Est-ce que quelqu’un a relevé ce fait ? Entendons-nous bien : où étaient les grandes foules, les grandes passions ? Juste ces quinze étrangers ! Que voulaient-ils ? Attention ! Il ne s’agissait pas de migrants. Je ne sais pas s’il s’agissait de provocateurs liés à des services secrets étrangers. Je l’ignore, ce point reste à éclaircir. Peut-être s’agissait-il de militants solidaires. Cela ne m’intéresse pas. Mais je suis désolé : pourquoi ne relevez-cous pas aussi ces faits-là ? Certaines actions, certains mouvements, je parle objectivement, fonctionnent de façon provocatrice. Que doit faire la police, dans une démocratie, lorsqu’une pluie de cocktails Molotov s’abat aux abords d’une manifestation, menaçant de bruler vifs des manifestants ? Doit-elle laisser faire, jusqu’à ce qu’il y ait mort d’homme ?
Pourquoi vous mettez vous en colère ?
Alexis Tsipras. Parce que je suis dans un environnement familier et que j’aime me mettre en colère en terrain connu [rires].
Venons-en aux questions relatives au parti. Comment avez-vous fait pour faire des problèmes internes à Syriza des problèmes de la Grèce ? Il n’y a que Syriza pour réussir un tour pareil.
Alexis Tsipras. [Rires] Non, il n’est pas question d’en faire un problème du pays. Le pays avance dans le cadre de la Constitution, selon laquelle les décisions sont prises par les représentants du peuple au Parlement grec. Le gouvernement, le Conseil des ministres assume une responsabilité collective et le cadre dans lequel les décisions sont prises est clairement défini. À partir de là, Syriza est le parti gouvernemental, il joue un rôle important sur la scène politique et se doit, en respectant sa propre « Constitution », c’est-à-dire ses statuts, dans un cadre démocratique, de prendre des décisions. Il y a un décalage lié à la « violente maturation » de Syriza, qui est passé très vite d’un parti à 4% à un parti dans lequel une grande majorité du peuple grec place ses espoirs et ses attentes. C’est un parti de 30 000, soutenu par 3 millions de citoyens. Malgré tout, les partis doivent fonctionner dans les cadres fixés par leurs statuts. Nous devons mener la discussion, pour savoir si Syriza doit s’ouvrir, être en phase avec les angoisses, les espoirs de sa base sociale. Nous ne l’avons pas fait plus tôt, c’est une faute de notre part. Ce débat est désormais ouvert et les 30 000 membres de Syriza devront prendre des décisions.
Si Syriza s’ouvre il devra changer. Aujourd’hui, Syriza est perçu comme un parti de la gauche radicale. Doit-il le rester, devenir un grand parti progressiste ou un parti social-démocrate ?
Alexis Tsipras. Cette pensée ne traverse l’esprit de personne à Syriza. Pourquoi la posez-vous donc ici ?
Parce que c’est une crainte qui s’exprime.
Alexis Tsipras. Une crainte ou un désir ?
J’imagine que beaucoup souhaitent voir Syriza devenir un parti social-démocrate.
Alexis Tsipras. La social-démocratie à deux expressions en Grèce [Le Pasok et le Mouvement des démocrates socialistes de Georges Papandréou, NDLR], trois en comptant Dimar [Parti pro-mémorandum issu d'une scission de Syriza, NDLR], peut-être plus si d’autres partis se créent. La social-démocratie se trouve dans une impasse stratégique, pourquoi Syriza voudrait-il s’engager dans cette impasse stratégique ? Personne au sein de Syriza ne souhaite cela. Nous ne devons pas nous cacher les problèmes mais y faire face avec honnêteté. Il y a deux ans, en juillet 2013, Syriza tenait son premier congrès. Notre principal but était de créer un parti uni, un parti du futur. Il faut reconnaître que Syriza n’est pas devenu un parti uni. L’effort pour transformer une coalition en parti unitaire était honnête mais nous ne sommes pas parvenus au résultat recherché.
La responsabilité est partagée par tous…
Alexis Tsipras. Bien sûr ! Je suis le premier à l’assumer.
Syriza compte de nombreuses tendances, malgré la décision de former un parti uni.
Alexis Tsipras. C’est une réalité. Où se situent les responsabilités ? C’est une discussion. Mais regardons la réalité, demandons-nous comment résoudre ce problème. Un cadre ou un membre du parti qui n’appartient à aucune des tendances constituées n’a pas les mêmes droits que les autres. Tel que je le comprends, cette personne est exclue du processus de décision. Elle n’est même pas tenue informée. C’est dans ce sens que nous devons voir et juger les choses, calmement, à froid, en camarades. Le Secrétariat politique n’est pas le seul centre de décision, il en existe beaucoup d’autres, ces centres s’entrecroisent. Voilà la réalité que nous devons affronter. Pour certains, cette réalité peut être le modèle de fonctionnement moderne d’un parti déterminé. Je peux accepter cela aussi. Mais alors, mettons-y des conditions et des règles. Mon opinion est que cela peut fonctionner, être positif dans le cadre d’un parti pluraliste dans l’opposition. Mais quand un parti exerce le pouvoir, ce modèle n’est pas limité aux affaires internes, il est transposé au Parlement, cela ne peut pas fonctionner. Un parti ne peut pas, quand il est au gouvernement et qu’il s’appuie sur une majorité de 161 sièges, dans le cadre d’un gouvernement de coalition, fonctionner avec des centres de pouvoir parallèles. Qu’il y est une réunion du groupe parlementaire et des réunions dans des hôtels pour que certains députés décident de leur position, cela ne peut pas fonctionner. Je ne dis pas que c’est bien ou mal. Je dis simplement que ça ne peut pas être efficace. On ne peut pas avoir une majorité gouvernementale à la carte. Un coup avec ceux-là, un coup avec les autres. Je ne suis pas partisan du centralisme démocratique, et vous le savez. Je ne peux accepter que le pluralisme pour un parti…
Là-dessus nous sommes en désaccord.
Alexis Tsipras. Oui, vous vous êtes de l’ancienne école, je le sais. Je ne suis pas pour le centralisme démocratique ni même pour la fermeture de nos réunions. Je suis pour la transparence, pour que tous les points de vue puissent s’exprimer, être pris en compte et que nos décisions soient prises de façon démocratique. Mais lorsqu’on prend la décision de gouverner un pays, il faut le gouverner. Ce n’est pas une question d’ordre moral, ni de conscience, c’est une question d’efficacité élémentaire. Si la décision collective d’un parti est de gouverner, il faut que les décisions collectives soient respectées et soutenues par tous les députés sinon, comme le disent les statuts du groupe parlementaire, les députés qui s’y opposent doivent rendre leur siège pour le laisser au suivant. Ce n’est pas possible autrement.
Avez-vous demandé à des députés de rendre leurs sièges ?
Alexis Tsipras. Non, je ne l’ai pas fait. Ce sont des questions qui relèvent du groupe parlementaire. Mais je ne veux pas sous-estimer le problème capital posé par un désaccord stratégique que je respecte. Lorsqu’un parti n’est pas uni mais pluriel, des limites se posent quand ce parti se trouve en situation de gouverner. On ne peut pas transposer son multi-centrisme au sein du gouvernement et de la majorité parlementaire. Il y a des différences de stratégie, cela ne fait pas de doute. Je les respecte, je respecte l’opinion opposée, je ne fonctionne pas avec une culture du chef, une culture qui proclame que l’autre point de vue doit être noyé, c’est pour cela que je n’ai pas demandé, de sanctions, ce que prévoient les statuts du groupe parlementaire, concernant les votes négatifs. Ce que je demande c’est que nous allions vers un processus collectif où le parti prendra des décisions. Une fois qu’elles seront prises, que l’on s’entende, que l’on fonctionne et que l’on avance. On ne pas dire « Je vote contre les propositions du gouvernement mais je soutiens le gouvernement ». Pour moi c’est trop surréaliste. Comme je vous l’ai dit je respecte la différence d’opinion, je suis le premier à demander des procédures collectives. Mais je ne peux pas nier le fait que j’ai été surpris, même à titre personnel, de la position de certains camarades. Certains disent qu’il ne faut pas montrer ses sentiments en politique, je ne fais pas partie de ces gens-là, je considère que les sentiments font partie de la politique et que personne ne peut les cacher. Avec beaucoup de ces camarades nous menions des combats et nous étions à la même table avec la même angoisse il y a quelques jours. Avec l’angoisse commune que l’effondrement du système bancaire signerait notre destruction politique et morale face au mouvement populaire, aux travailleurs et à l’histoire de la gauche. Nous ressentions la même angoisse dans le combat, dans la recherche de solutions. Nous nous sommes battus pour le référendum et nous connaissions l’alternative posée devant nous. Ces mêmes personnes, après le rude combat que j’ai mené pendant dix-sept heures, avec cette alternative à ma disposition, ont considéré opportun de dire le lendemain : « Bien, maintenant que tu t’es assuré que les banques ne fermeront pas et que notre destruction ne viendra pas, nous te laissons la responsabilité de cet accord et nous gardons les lauriers de la pureté idéologique ». Je ne fais pas allusion à la position politique, je le répète, je respecte les différences de stratégie, l’avis selon lequel la gauche ne peut pas gouverner le pays sous de telles conditions. Cela, je le respecte. Je ne parle ni d’opinion ni de stratégie mais des limites de nos valeurs collectives, du cadre moral dans lequel se définit la solidarité au sein d’un parti, au sein d’un gouvernement et au sein d’un groupe parlementaire. Ceux qui, la veille, partageaient mon angoisse m’ont dit, le lendemain : « Je te soutiens, mais prends seul la responsabilité du compromis, moi je garde le droit de voter contre ». Je m’attendais à ce qu’ils me disent : « Nous avons une estimation différente de notre capacité à continuer mais les valeurs élémentaires de solidarité nous imposent de soutenir le gouvernement et le Premier ministre jusqu’à ce que soit possible l’accord – parce qu’il n’existe pas encore, de voter pour tout en soulignant notre désaccord, y compris durant le vote et ensuite de demander la redéfinition de la stratégie du parti et donc du gouvernement à travers une procédure de débat collectif comme le prévoient nos statuts ». Voilà ce qu’aurait dû être une position de solidarité. Je ne comprends pas cette posture, ou plutôt je comprends qu’elle est liée à des décisions prises il y a déjà longtemps. Des décisions de rupture. Des décisions qui peuvent conduire à l’implosion. Je suis le garant de l’unité de Syriza, en tant que président du parti et j’irai jusqu’au bout de mon effort pour garantir cette unité. Mais l’unité forcée, ça n’existe nulle part.
Rien n’indique que ces décisions étaient planifiées, les choses sont arrivées rapidement. Ceux qui, au Parlement, brandissaient le oui et ceux qui brandissaient le non partageaient la même douleur…
Alexis Tsipras. La vie nous dira si mes peurs sont fondées ou injustifiées. Mais voilà quelles étaient mes attentes à l’endroit de camarades avec qui nous avons fait tant de chemin, avec nos désaccords mais toujours ensemble dans les moments difficiles. J’ai dû gérer une réalité terrible, impitoyable. Si quelqu’un pense que Tsipras, en tant que Premier ministre, le 12 juillet, avait d’autres choix et qu’il a décidé de ne pas les suivre pour trahir ses principes et maintenir le pays dans l’asphyxie, qu’il l’explique publiquement, sans manipulations. Et qu’il nous dise quel était ce plan alternatif. Quel était donc ce plan que j’aurais choisi de ne pas suivre ? Posons ce débat en toute honnêteté. Pas en proférant des accusations d’apostasie. Discutons de la monnaie, de l’orientation européenne du pays ! Mais en des termes structurés, qui tiennent la route, pas seulement en théorie mais en pratique aussi. Dans le programme de Syriza, notre priorité absolue est d’empêcher la catastrophe humanitaire. Si notre plan théorique ne prend pas en compte cette priorité alors c’est un plan sans fondement. Je n’ai pas demandé au peuple grec de voter « non » pour aller à la drachme. Et pour autant que je sache, la majorité du peuple grec n’a pas compris la question du référendum en ces termes. Dire que ce grand « non » était un grand « oui » à la drachme, c’est manipuler la vérité. Manipulation que nous n’avons pas le droit de faire face à notre histoire, à nos combats, à notre dialogue démocratique entre égaux. Nous n’avons pas le droit d’essayer de régler nos différences dans un tel cadre.
Vous posez la question de vos rapports – non pas au niveau personnel, mais institutionnel, avec le Parlement et avec sa présidente, Zoé Konstantopoulou.
Alexis Tsipras. J’ai exprimé ma préoccupation, tant à elle en personne que publiquement. Nos relations sont des relations d’estime, il n’y a aucun doute là-dessus. À partir de là, les choix de chacune et de chacun, notamment lorsqu’on occupe des responsabilités institutionnelles, produisent des résultats. De facto. Se trouver face à quelqu’un qui vous dit : « Je te dénonce pour te protéger », c’est surréaliste. Je ne suis pas un enfant, j’ai d’autres façons de me protéger [Rires]. Maintenant, si cela induit un mauvais fonctionnement institutionnel nous en jugerons dans la prochaine période. Si la volonté est de jouer la guérilla pour finir par voter, épuisés, à six heures du matin, en dormant sur les bancs de la Vouli, afin de montrer que de cette façon, on résiste à la Troïka, que dire ? Ce sont des enfantillages.
Quelles est la position du président de la République face à la crise ?
Alexis Tsipras. Le président de la République, avec beaucoup d’angoisse, s’est positionné sur ces décisions difficiles et il respecte scrupuleusement le cadre institutionnel de ses prérogatives. Je me souviens que tout le monde lui était tombé dessus, lui demandant de ne pas accepter le référendum. Il a fait son devoir, comme le définissait la Constitution, mais au-delà du cadre constitutionnel, au-delà des clichés institutionnels et du protocole, je pense qu’il ressent une sincère angoisse pour le pays. Une angoisse qu’il me communique quotidiennement. Nous avons des opinions différentes mais c’est une collaboration exceptionnelle.
Faut-il aller à des élections législatives anticipées ?
Alexis Tsipras. J’aurais été le dernier à vouloir des élections, si nous avions une majorité parlementaire garantie, pour aller jusqu’à la fin du programme et à la sortie des memoranda, tout en menant le combat afin d’être jugés non pas sur des intentions, mais sur une politique de confrontation avec l’oligarchie, de respiration, de redistribution, de soutien aux plus faibles. Mais si nous n’avons pas la majorité parlementaire je serai obligé, nous serons obligés d’aller vers des élections. Cela tiendra en grande partie aux décisions prises au niveau du parti, étant données les dissensions exprimées au sein du comité central et du groupe parlementaire.
Quelle est votre proposition au niveau du Comité Central ?
Alexis Tsipras. Je pense que ma proposition est une proposition logique. Nous avons un parti, avec des membres, il faut leur faire confiance, entendre leurs réponses, de façon ordonnée, démocratique. Qu’il y ait une procédure structurée, pour un congrès extraordinaire, étant donné que ce sont des conditions d’urgences qui se profilent. Les procédures devraient être lancées juste après les vacances d’été, dès septembre il faut qu’il y ait un congrès, que soient élus des délégués appelés à trancher des désaccords stratégiques critiques, à définir la voie de la gauche à partir de maintenant, le nouveau plan stratégique, le nouveau programme. À partir de là, si des membres du Comité Central exigent que le parti se positionne immédiatement, avant la conclusion de l’accord… j’aurai une bombe entre les mains [rires]. Mais enfin si telle est l’exigence, la moindre des choses serait que ce débat crucial pour le futur de la gauche et pour le futur du pays ne soit pas simplement posé au niveau de la direction du parti. Que les adhérents s’expriment. Et comme en si peu de temps il n’existe pas d’autre moyen de leur demander leur avis que par un bulletin. Si telle est l’exigence, la démocratie étant toujours la solution, comme le peuple, le parti devrait voter et décider rapidement. Ce qui n’invalide pas pour autant la proposition d’un congrès extraordinaire par la suite, pour résoudre les problèmes de stratégie.
Une dernière question. Durant tout ce parcours, depuis cinq mois, quelle a été votre erreur ?
Alexis Tsipras. S’il n’y en avait qu’une je serais un homme heureux ! [Rires]
La plus grande?
Alexis Tsipras. Ce n’est que plus tard que quelqu’un pourra en juger. Disons que cette confrontation frontale avec les principaux pouvoirs en Europe, aurait dû avoir lieu plus tôt. Nous avons été emportés après le 20 février dans une négociation qui était une guerre d’usure. Je dois avouer cependant qu’il n’est pas facile de prendre la décision de dire : « Je ne paye pas, advienne que pourra. » C’est une décision très difficile. Cependant, rétrospectivement, il était certain que nous en arriverions là mais vous savez, l’espoir meurt en dernier. Il y avait toujours l’espoir que l’attachement aux principes démocratiques, que les manifestations des peuples nous offriraient une issue, un cadre pour une solution. Ça n’a pas été le cas. Cependant, je le répète, je me sens fier de ce semestre, du combat mené. Il y a eu bien sûr des erreurs. Je crois que malgré les difficultés nous n’en sommes pas arrivés au point où ces erreurs ont mené à une catastrophe irréversible. Tout est réversible. Je pense que nous avons devant nous une voie très accidentée faite de combats constants et de revendications, afin de réussir le mieux possible pour les intérêts du peuple. Tel est notre but.
Entretien réalisé par Kostas Arvanitis (Sto Kokkino) – 31 JUILLET, 2015
Retranscription et traduction Theodoros Koutsaftis
Inscription à :
Articles (Atom)