mercredi 19 janvier 2011
La Tunisie n'a pas fini de nous surprendre ; elle possède un peuple conscient
C’est la crise sociale qui provoquera la chute du régime », nous avait assuré Hamma Hammami il y a quelques années1. La prophétie du leader communiste tunisien faisait alors sourire les amis du vieux dictateur Zine El Abidine Ben Ali, père révéré du prétendu « miracle économique tunisien ». L’arrestation de l’opposant hier à son domicile montre qu’à Tunis l’arrogance a cédé le pas à la peur.
Avec une détermination et une liberté de ton inconnues depuis les « émeutes du pain » de 1983-1984, la jeunesse tunisienne affronte sans relâche depuis un mois ses geôliers autant que ses exploiteurs. Car si le désespoir est surtout alimenté par des conditions de vie dégradées, la revendication politique n’est jamais loin. La révolte de la région minière de Gafsa, en 2008, avait préfiguré ce type de mouvement, d’autant plus explosif qu’il était pluridimensionnel. Le ras-le-bol du flicage s’y nourrit des inégalités et des prébendes qu’une petite minorité continue de se partager.
Vanté comme un modèle pour l’Afrique par le Forum économique mondial (WEF) et par le Fonds monétaire international, le régime tunisien a sagement livré sa force de travail et ses ressources au marché mondial. Prélevant au passage une dîme, qui alimente la corruption et l’immense appareil répressif, mais bien peu les Tunisiens. Ceux-ci, en revanche, subissent les effets des privatisations, des dérégulations et du scrupuleux « remboursement » de la dette externe. L’ouverture complète du secteur textile et la crise financière ont fait le reste.
Ce n’est pas un hasard si d’autres régions du Maghreb connaissent simultanément de tels soubresauts. En novembre au Sahara occidental, puis en décembre à Tinghir, en pays berbère, le cocktail explosif des revendications économiques et du ressenti identitaire a brisé le mythe d’un Maroc uni derrière son monarque réformiste. En Algérie, la manne pétrolière et l’épouvantail islamiste ne suffisent plus à cacher la faillite des réformes libérales et la pression du marché mondial sur les prix de l’alimentation.
Signe de la peur qui l’a saisi, le satrape de Tunis répond avec davantage de sauvagerie que ses voisins, et des dizaines de manifestants pacifiques l’ont déjà payé de leur vie. Des chiffres devant lesquels de nombreuses capitales occidentales – à l’exception notable de Paris – font mine de s’indigner. Pourtant la violence de la répression exercée sur les opposants tunisiens est connue de longue date. Arrêté et tabassé à des dizaines de reprises, torturé, harcelé, Hamma Hammami a déjà passé un tiers de sa vie militante dans la clandestinité, un autre tiers en prison. Le vrai « miracle tunisien » serait que son calvaire et celui de son peuple s’arrêtent.
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