mercredi 19 décembre 2012
il y a un an Salah Hamouri était libéré
Arrêté en 2005 lors d’un contrôle sur la route de Ramallah, Salah Hamouri sera accusé d’appartenir à une section du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), et d’avoir eu l’intention de participer à un complot d’attentat contre le rabbin Ovadia Yossef.
Condamné à sept ans de prison par un tribunal militaire israélien, il a bénéficié, en France, d’un large comité de soutien citoyen. À défaut, diront ses proches, d’un appui de l’État français.
Un an après sa libération, que devient-il ? Entretien.
Après presque sept ans d’enfermement, comment s’est passée cette première année de liberté ?
Salah Hamouri : C’est pas facile de rattraper le temps perdu, mais j’essaie, peu à peu. Aujourd’hui, je suis retourné vivre chez moi, à Jérusalem-Est. J’ai repris mes études, en première année de droit. Je voudrais devenir avocat ici, en Palestine.
Et sinon, j’ai participé à plusieurs tournées en France, pour témoigner des conditions d’incarcération des prisonniers palestiniens. Il y a eu 70 réunions, dans treize villes françaises, en avril et en mai. Et une deuxième tournée en septembre dernier, où j’ai pu témoigner sur la grande scène de la Fête de l’Humanité, en tant qu’invité d’honneur.
Ces « tournées » sur les prisonniers palestiniens ont donné lieu à des projets ?
Oui. Avant tout, le but est d’informer l’opinion publique de France et d’ailleurs sur la question des prisonniers politiques, mais aussi sur la réalité de l’occupation israélienne. Il y a deux semaines par exemple, j’étais invité à témoigner au Forum social mondial du Brésil pour la Palestine.
Mais aussi, avec l’Association France Palestine solidarité (AFPS), on a lancé une grande campagne de parrainage des prisonniers politiques palestiniens. Une opération qui consiste à correspondre régulièrement, par lettre ou carte postale, avec l’un d’entre eux. C’est important de leur montrer qu’ils ne sont pas seuls, et que des milliers de gens les soutiennent à l’extérieur.
À ce jour, on a recueilli entre 1 700 et 1 800 parrainages [il semble qu'en mai 2012, Israël comptait plus de 4 600 prisonniers politiques palestiniens]. Et pour les gens intéressés, toutes les démarches sont expliquées sur le site de l’AFPS.
Là, on est en train de planifier une troisième tournée en France pour l’année prochaine. Et on réfléchie au moyen de développer cette campagne et de coopérer avec d’autres pays européens et partout dans le monde. Le 11 et 12 décembre, il y a eu le Congrès pour les prisonniers palestiniens en Irak, auquel a participé le président de l’AFPS, Jean-Claude Lefort, qui était aussi le coordinateur de mon comité de soutien durant mon emprisonnement.
Justement, en tant qu’ex-prisonnier palestinien, quel témoignage pouvez-vous nous donner ?
Tous les Palestiniens connaissent plus ou moins les conditions d’incarcération en Israël. Mais quand tu l’as vécue, tu ressors forcément choqué.
Israël ne s’occupe pas des lois internationales en ce qui concerne les droits des prisonniers et refuse, jusqu’à aujourd’hui, toute demande d’enquête déposée par les associations ou les institutions internationales.
Il y a, par exemple, les tests de médicaments que font les Israéliens sur les Palestiniens en prison. Les prisonniers de la bande de Gaza qui n’ont eu droit à aucune visite pendant cinq ans. En avril dernier, des prisonniers ont lancé une grève de la faim, pendant 28 jours, etl’administration a finalement accordé quelques visites pour certains d’entre eux.
Cette grève de la faim a aussi permis d’obtenir la fin de l’isolement total pour 22 prisonniers. Mais aujourd’hui, trois y sont toujours.
Il y a surtout les dossiers des prisonniers malades. Douze sont actuellement gravement atteints d’un cancer et sont en réel danger de mort. L’un d’entre eux, originaire de Hébron, est aujourd’hui dans le coma.
On peut aussi parler des prisonniers incarcérés avant les accords d’Oslo de 1993, qu’Israël refuse toujours de libérer. Alors qu’il devait le faire au maximum trois mois après cet accord[d'après l'article XX de « l'accord d'Oslo I », signé le 4 mai 1994 au Caire].
Et les enfants. Ils vivent dans des circonstances de détention très difficiles. Certains passent des mois et des mois sans visite, parce-qu’on ne délivre pas à leur famille les autorisations nécessaires pour passer les checkpoints.
On pourrait aussi parler des prisonniers interdit de continuer leurs études, à cause de la « loi Shalit », votée par le Parlement israélien.
En septembre, vous avez été reçu au Parlement européen [voir la conférence de presse]pour parler de la situation des prisonniers. Y a-t-il eu des suites ?
Avant mon passage, il y avait déjà des élus engagés sur cette question. Pour les autres, certains ont été touchés par mon témoignage, mais surtout choqués. Parce-qu’ils n’avaient pas ces informations sur les prisons israéliennes.
Pour l’instant, concrètement, il n’y a pas de suite. Mais je crois qu’il faut continuer le travail avec eux pour essayer de faire avancer notre cause au niveau international, et au niveau européen plus particulièrement.
Autre sujet : l’entrée de la Palestine à l’ONU en tant qu’État observateur non-membre. Votre réaction ?
Depuis toujours, on [les Palestiniens] veut que la Palestine soit reconnue en tant qu’État membre à l’ONU. Mais les votes ne sont pas suffisants, alors on s’est mobilisé pour être au moins observateurs.
Je considère bien sûr que c’est positif, puisque cela nous donne droit d’accéder désormais à la justice internationale. Surtout, la demande a été faite au nom de l’OLP [Organisation de libération de la Palestine] et pas de l’Autorité palestinienne. Et ça, c’est très important. Car ça doit garantir aussi le droit au retour des Palestiniens.
Mais on n’oublie pas que cette décision peut tout changer, comme rien en même temps. On sait bien qu’il n’y a aucun checkpoint, ni aucun colon qui va se retirer de la Cisjordanie et de Jérusalem. Mais ça nous donne la force d’accéder aux tribunaux internationaux, ainsi que de plus en plus de légitimité pour un État palestinien. Et surtout, ça nous rend de la dignité.
Donc, il faut bien sûr continuer. Ne pas s’arrêter ici. De mon point de vue, cette place aux Nations unies doit servir de substitution aux négociations entre l’Autorité palestinienne et les Israéliens. Car, en vingt ans, on a vu l’échec de ces négociations. La colonisation n’a pas arrêté de se multiplier. Sans oublier les checkpoints, le mur…
Pour moi, tout le dossier palestinien doit être posé au niveau des Nations unies, afin de demander l’application des lois internationales. Et en finir avec les négociations avec les Israéliens.
Pouvez-vous parler de l’opération « pilier défense », lancée le mois dernier par l’armée israélienne dans la bande de Gaza ?
L’histoire de cette occupation ne manque pas de guerres et de tueries sur le peuple. Les massacres, depuis 1948 [première guerre israélo-arabe] jusqu’à la dernière guerre, on ne peut pas les compter.
Cette nouvelle opération est intervenue deux mois avant les élections israéliennes [élections législatives du 22 janvier 2013]. Comme en 2000 [seconde Intifada] et en 2008 [guerre de Gaza 2008-2009], la droite israélienne a voulu améliorer sa position dans les élections. À chaque fois qu’il y a des élections chez les israéliens, il y a la guerre contre les Palestiniens.
Mais moi je crois qu’Israël a été obligé d’arrêter cette guerre après huit jours, parce-qu’il n’avait pas imaginé cette riposte de la résistance palestinienne qui est arrivée jusqu’à Tel Aviv et jusqu’à Jérusalem.
Alors pour les Palestiniens, c’est une petite victoire. Pas une grande victoire, mais une petite victoire. Parce-que cette guerre a été l’échec total d’Israël, qui n’a pas réussi à atteindre son but.
Aujourd’hui, les tirs sont arrêtés. Mais encore la semaine dernière, l’armée israélienne a tué un enfant de 16 ans à Hébron, sous prétexte qu’il avait un pistolet sur lui. Sauf que c’était un pistolet en plastique.
Lors de votre procès, en 2008, vous avez plaidé coupable. Encore aujourd’hui, beaucoup de vos détracteurs continuent de s’appuyer sur ce fait. Pouvez-vous expliquer votre choix ?
Il faut savoir qu’ici, on est pas dans un État de droit, mais dans une occupation. Il n’y a pas de justice. Et chaque Palestinien est déclaré coupable. J’ai été jugé par un tribunal militaire d’occupation, qui m’a dit : « Soit tu plaides non-coupable, et tu prends quatorze ans. Soit tu plaides coupable, et c’est sept ans ». Alors, c’est normal de choisir sept ans. Et il faut savoir que moi, je n’ai même pas parlé devant la cour. C’est l’avocate qui parlait. [lecture de l'acte d'accusation de Salah Hamouri, par Jean-Claude Lefort]
Certains se demandent alors pourquoi vous n’avez pas fait appel au jugement ?
Un appel ? Quand tu fais ce choix-là, tu n’as pas le droit de faire encore un appel. Parce-que ce sont des tribunaux militaires. Il n’y a pas de possibilité de faire appel au jugement.
Le parallèle est fait parfois entre votre cas et celui du Franco-Israélien Gilad Shalit. Qu’en pensez-vous ?
J’ai toujours refusé cette comparaison avec Gilad Shalit. Lui, c’est un soldat d’occupation. Il a été pris dans un char militaire qui sert à bombarder Gaza. Moi, je suis d’origine palestinienne. Je vis ici et je suis civil. Alors je refuse toute comparaison entre Gilad Shalit et moi.
Vos proches ont parfois exprimé un sentiment « d’abandon » de la part des autorités françaises. Pouvez-vous expliquer ?
Pendant le mandat de Nicolas Sarkozy, je n’ai pas du tout ressenti que j’étais considéré comme un vrai compatriote français, qui doit être défendu par l’État français. C’est clair que ça a été le silence total sur mon dossier.
Et la France – la France officielle – n’a pas voulu parler de mon cas avec l’occupation. Ils ont fait seulement une demande après la libération de Gilad Shalit. L’attitude de l’ex-président et la façon dont a été traité mon dossier étaient vraiment honteuses. Il a toujours refusé de recevoir mes parents quand j’étais en prison. Et même après ma libération, à part la visite du consul général de Jérusalem, je n’ai pas eu de contact officiel.
Un dernier mot ?
Un an après ma libération, je remercie encore une fois Monsieur Jean-Claude Lefort et tous les gens qui m’ont soutenu pendant mes années de détention. Ce comité de soutien me donnait le moral tous les jours. C’est grâce à eux que j’ai eu de l’espoir et que j’ai aujourd’hui la force et l’énergie d’avancer. D’ailleurs, ce comité était peut-être au nom de Salah Hamouri, mais tous les prisonniers politiques se sont sentis soutenus.
Maintenant que je suis sorti, c’est très important pour moi de défendre cette cause. Et surtout, de faire comprendre à cette occupation israélienne que les prisons ne sont pas un endroit où elle peut cacher ses pratiques.
http://diversgens.com/
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