dimanche 10 juillet 2011
la transparence n’existera pas tant que le capitalisme vivra, et le capitalisme ne pourrait survivre un instant à la transparence.
Face à l’effondrement économique inévitable de la “zone euro”, nos bons dirigeants nous refont aujourd’hui – et sans complexe - le coup de la “transparence”. En effet, les échanges mondialisés d’aujourd’hui sont tous plus ou moins noyés dans d’obscures salles de marché, ici ou là, à l’abri de tous les regards, anonymes et multiples, enfermés dans les disques durs de chambres de compensation ou des paradis fiscaux, et le tout sans aucune possibilité de savoir qui fait quoi. Cela n’a jamais vraiment eu l’air d’inquiéter personne d’autre que ce cher Denis Robert, car en réalité le manque de transparence lié aux transactions financières arrangeait bien tout le monde jusqu’à maintenant. Mais c’est qu’aujourd’hui le manque de transparence de certains organismes, les agences de notation qui soufflent le chaud et le froid sur les marchés (et même sur les Etats), embarrasse fortement le pouvoir politique.
Car le problème est que personne ne semble savoir comment sont faits et défaits tous ces calculs, tous ces montages financiers, ces petits arrangements fiscaux et autres notations obscures. Ce que les gouvernements réclament donc, à travers la transparence, ce n’est pas celle de leurs comportements à eux mais celle de ceux qui les dirigent. Car il faut bien admettre que les véritables gouvernants ne sont plus ceux qu’on élit mais ceux qui possèdent l’argent.
Face à cette mainmise du pouvoir financier sur le pouvoir politique les gouvernants, confrontés à une crise capable de leur faire perdre leur position, souhaitent pouvoir accéder au jeu des financiers, et c’est ce vers quoi ils poussent actuellement en évoquant la création de leurs “propres” agences de notation (qui leur seront sans doute plus favorables). On devrait pourtant s’étonner que des Etats se soient si longtemps laissés noter par des organismes privés qui sont désormais capables de faire chuter des Etats tout entiers, qui se retrouvent ni plus ni moins qu’au bord de la faillite, avec tout ce que cela implique pour les populations. Car en définitive, l’Etat appartient aujourd’hui à des créanciers privés, créanciers dont le pouvoir immense s’appuie justement sur l’opacité, le manque de transparence. Les Etats, comme les entreprises ou les matières premières, sont peu à peu devenus des outils de spéculation destinés à faire du profit. Les dirigeants des pays les plus endettés se sont laissés entrainer par des banquiers sans scrupule qui, une fois la crise venue, ont décidé de se payer avec les restes, c’est à dire sur les deniers des peuples concernés.
Et ces dirigeants, considérés comme responsables de leurs “employés”, c’est-à-dire le peuple qui travaille et paye ses impôts, qui fait tourner la machine, commencent à se rendre compte qu’en perdant le peuple ils sont en train de perdre aussi leur pouvoir : et c’est pourquoi ils exigent aujourd’hui plus de transparence.
Mais c’est quoi « plus de transparence » ? Cela signifie-t-il de tout montrer au peuple, d’exhiber au grand jour les fabuleux « trous noirs de la finance » dans lesquels se perdent toutes les manipulations financières ? Le problème c’est que tous ces dirigeants sont tous plus ou moins complices et bénéficiaires de cette opacité, car ils en sont aussi les instigateurs, les artisans. Ce qu’ils souhaitent donc en réalité n’est pas la transparence, mais l’illusion de celle-ci. Sachant pertinemment qu’elle est impossible et peu souhaitable (pour eux), ils préfèreront mettre en place de nouvelles agences tout aussi opaques, mais suivant leurs propres règles. En s’appuyant sur la colère d’un peuple de qui on exige sans cesse plus de transparence (cf tous les fichiers créés pour tracer lesmoindres actes des citoyens), ils espèrent faire pression sur le pouvoir financier et retrouver ainsi un peu de leur puissance perdue.
Car cette “transparence réclamée” ne peut être totale, ou alors c’est tout le système qui s’effondrerait. La transparence c’est la clarté, la vérité, la réalité. La transparence c’est de pouvoir regarder d’où vient l’argent, par qui il passe, et combien, et où il va.
Tandis que l’opacité est le moyen sur lequel s’appuie le capitalisme pour exister, et les injustices pour se perpétuer : car sans cette opacité (très bien organisée d’ailleurs), c’est tout un chacun qui pourrait s’apercevoir des vols et des mensonges perpétrés par ceux qui dirigent véritablement le monde, les riches. Et c’est bien pour ça que cette transparence n’est qu’une illusion. En réalité, aucun des deux camps qui s’opposent ne la souhaitent totale. Dans « l’échange, le partage et la double-pensée », j’ai tenté de montrer que l’échange, c’est à dire le commerce, est un vol inévitable, car si chacun avouait ses marges à ses clients, alors c’est tout le système qui s’effondrerait de lui-même.
Et bien imaginons maintenant que l’on devienne réellement transparent : de la même manière qu’avec le site “prix de l’eau“, que les véritables victimes de l’échange montrent réellement la part de leur propre vol pour laisser entrevoir celle des véritables voleurs de cette planète. Et qu’on s’aperçoive enfin que les véritables victimes ne sont ni les petits salaires, ni les chômeurs ni les “illégaux”, mais bien plutôt une toute petite fraction de la population, celle qui justement profite de l’opacité du système financier. Que les cadres supérieurs, les artisans, commerçants, chefs d’entreprises petites ou moyennes, paysans et agriculteurs, salariés, fonctionnaires, tous nous sommes certes à la fois « victimes » et « bourreaux », mais surtout victimes. Car les profits gigantesques faits par un petit nombre (10% de la population détient 90% des richesses) ne sont jamais redistribués, car ils disparaissent tous derrière une façade de transparence, les « bilans » et autres “résultats”. Mais que tous les petits patrons des supermarchés ouvrent, un peu à la manière de Wikileaks, les marges de leur entreprise, que les journalistes montrent les liens, les bénéfices et les impôts réellement payés par ces dernières, que les commerçants disent combien ils gagnent vraiment sur les produits qu’ils vendent, que les producteurs affichent le prix auquel ils vendent leur production afin que l’on compare avec le prix auquel ces produits se retrouvent en grand surface (ici)… Que les députés, sénateurs encore soucieux de “déontologie” montrent au grand jour les montants de leurs émoluments, ou comment ils se votent et se conservent moultavantages pour eux-mêmes… Que les entreprises du CAC40 affichent leurs résultats, et combien ils payent réellement d’impôts…
Imaginons une véritable transparence, et réfléchissons deux minutes : comment pourrions nous laisser cette situation perdurer sans se révolter ? Créons donc un grand site d’observatoire des prix et des marges faits par les acteurs eux-mêmes, et montrez tout au grand jour, et puis regardez ce qu’il vous reste de votre travail, ce que vous volez vous-même, vous de qui on exige la plus grande transparence afin que ne puissiez détourner le moindre centime, regardez combien vous payez de taxes, ou combien vous coûte votre crédit…, et comparez à ce que gagnent les véritables voleurs de cette planète. Faites-la vous-mêmes cette transparence, et vous verrez la vérité :
la transparence n’existera pas tant que le capitalisme vivra, et le capitalisme ne pourrait survivre un instant à la transparence.
Caleb Irri
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