L’ancien premier ministre, candidat malheureux à l’Elysée, son ancien ministre de la Défense et celui qui fut son bras droit à l’heure des grands contrats d’armement commencent à comprendre ce que leurs ennuis avec la justice doivent à l’erreur de Serge Hauchart, qui, pensant bien faire, avait poussé le Parti républicain, sur lequel compte s’appuyer Balladur pour sa conquête du pouvoir, à ouvrir un compte dans une coopérative financière de droit italien, le Fondo Sociale di Cooperazione Europea.
Un organisme dont le siège était à Milan, mais qui disposait d’un bureau à Paris, d’abord avenue Hoche, puis rue du Faubourg Saint-Honoré, sur lequel les responsables du Parti républicain avaient jeté leur dévolu faute de pouvoir solliciter une banque française, par l’entremise de Jacques Bournazel, ami de Léotard.
Le patron du Fondo, à l’époque s’appelle Ahmed Chaker. Homme d’affaires franco-marocain, il a racheté cet organisme en 1992 sur le conseil de Guy Genesseaux, adjoint au maire de Paris tendance Raymond Barre et pilier de la Grande loge nationale de France. Genesseaux (aujourd’hui décédé) qui promet de jouer de son influence pour transformer la société en banque, le jour venu, mais qui en attendant s’installe à la présidence de l’établissement.
Chaker est mis sur la touche quatre ans plus tard, mais Genesseaux ne perd rien pour attendre, puisqu’il doit céder sa place à Hauchart en mars 1997. Pas pour longtemps, puisque Chaker fomente un putsch, reprend les rennes et installe une nouvelle équipe prête à collaborer avec la brigade financière.
La vengeance couve, alimentée par les services de renseignement de plusieurs pays arabes qui lèvent le voile sur les contrats d’armement avec l’Arabie Saoudite...
Près de 15 ans plus tard, c’est ce fil que tirent les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, en charge du volet financier lié à l’attentat de Karachi.
Entendu par un enquêteur de la Division nationale d’investigations financières et fiscales, le 20 septembre dernier, l’ancien fondé de pouvoir du Fondo, Olivier Mevel, se met le premier à table.
Il nous explique qu’il a 40 millions de francs en liquide à placer et que cette somme viendrait de l’époque de Raymond Barre.
M. Genesseaux indique à Hauchart qu’il ne croit pas beaucoup à son explication sur l’origine des fonds.
Hauchart poursuit en disant que le PR a des difficultés pour financer le siège du parti et qu’en même temps ils ont 40 millions à placer et ne peuvent le faire avec leur banque, le Crédit du Nord, la direction ne voulant pas prendre cet argent en liquide (...) Finalement, le conseil d’administration du Fondo a décidé d’autoriser le dépôt des 40 millions par le nouvel associé, à savoir le Parti républicain (....)
Hauchart nous informe qu’il va d’abord faire une première opération pour le compte du PR, pour qu’on apprenne « à se connaître » et à « se faire confiance ». En juin 1996, Hauchart arrive au siège parisien du Fondo, un matin. Nous le recevons avec M. Genesseaux et il nous dit que Renaud arrive avec les fonds.
C’est la première fois que je vois Renaud Donnedieu de Vabres. Il s’est garé côté jardin et il est monté avec une mallette noire à codes. On m’appelle pour procéder à l’ouverture et compter les fonds. Au total, il y avait 5 millions de francs, plus 500 000 francs pour les commissions. C’était des billets de 500 francs compactés dans du papier plastique. Les billets étaient neufs et leurs numéros se suivaient. Il y avait 11 liasses de 500 000 francs, dans des sachets de plastique très épais. Donnedieu de Vabres a dit qu’il sortait de la Trésorerie municipale, ce qui m’a beaucoup étonné.
Genesseaux et moi avons pris la route le lendemain pour nous rendre au Luxembourg afin de déposer cette somme en liquide sur un compte du Fondo ouvert à l’American Express Bank. Nous avons dit que cet argent venait du Parti républicain et qu’il devait retourner au Parti républicain, raison pour laquelle nous demandions un chèque de la même somme (....) Quelques temps plus tard, Hauchart nous a dit qu’il voulait faire une seconde opération à hauteur de 10 millions de francs, elle ne se fera jamais, du moins avec le Fondo ».
En attendant d’en savoir plus, les déclarations du fondé de pouvoir du Fondo poussent Serge Hauchart à se libérer de ses trop lourds secrets.
Dans cette instruction, j’ai constaté que les parties étaient les familles des victimes des attentats de Karachi. Je comprends que celles-ci n’ont toujours pas réalisé leur deuil tant que la manifestation de la vérité n’a pas été faite, alors j’ai décidé d’aller jusqu’au bout, quelles que soient les conséquences pour moi (...)
Je réalise que les 40 millions qui ont été évoqués lors des négociations (réalisés avec le Fondo à la demande de MM Léotard et Donnedieu de Vabres) sont vraisemblables. Cette somme ne peut venir en aucune façon des fonds secrets. Cette somme provient de la confédération de l’UDF (...) Les propos de M. Mevel sont plutôt conformes à la réalité des faits ».
- « Dans mon souvenir, ce compte existait dans un établissement bancaire marocain », précise l’homme d’affaires, ouvrant de nouveaux horizons aux investigateurs.
- « Quel était le montant total des espèces que M. Leotard voulait mobiliser ? » insiste l’enquêteur.
- « Je n’en ai aucune idée. J’au été au cabinet du 1erministre et je savais qu’il y avait des fonds secrets à la libre disposition de chacun des ministres. L’usage voulait que chaque ministre parte avec la caisse à la fin de son mandat (...) Quand il n’y a plus eu de solution avec les banques françaises, Renaud Donnedieu de Vabres et François Léotard m’ont dit : « on a 5 briques, débrouille toi pour les utiliser ».
Forts de ces réponses, l’enquêteur entend une nouvelle fois Olivier Mevel, l’ancien fondé de pouvoir du Fondo, le 21 mars dernier. Au cœur de l’audition, le nouveau prêt de 10 millions de francs réclamé par le Parti républicain en juillet 1996.
- « Dés le départ des négociations, M. Hauchart vous dit que le PR a des difficultés financières, mais qu’en même temps il propose de vous garantir leur prêt par un dépôt de 40 millions de francs en numéraire, interroge l’enquêteur. N’y a-t-il pas une contradiction ? »
- « Bien évidemment je m’étais posé la question et j’en avais parlé avec M. Genesseaux qui m’avait expliqué qu’il s’agissait de fonds secrets. J’étais jeune et très surpris. M. Genesseaux m’a répondu qu’il ne fallait pas être naïf ».
La petite famille autrefois si soudée est en train de se décomposer sous les yeux des juges. Preuve supplémentaire, le coup de téléphone énervé passé par Jacques Bournazel (ancien administrateur du Fondo) à l’avocat d’Olivier Mevel, M° Pierre Duponchel. « Il a accusé Pierre Duponchel de ne pas l’avoir prévenu de son éventuelle audition par vos services, car lui-même était franc-maçon, explique Mevel (...) Il aurait du prévenir M. Bournazel s’il avait été un « bon » franc-maçon ».
De quoi inciter l’une des avocates des victimes de Karachi, M° Marie Dosé, à réclamer le 5 avril dernier une confrontation au sommet entre Mevel, Bournazel, Hauchat et Donnedieu de Vabres. En s’étonnant du fait que Bournazel refuse de s’expliquer sur ses allers et retours à l’Hôtel Beau rivage, en Suisse, « à des dates particulièrement intéressantes au vu des éléments dores et déjà actés au dossier ».
L’avocate incite au passage les juges à creuser cette nouvelle piste apparue au détour des déclarations de Serge Hauchart, selon lequel une importante somme d’argent aurait été déposée dans une banque marocaine.
Balle saisie au bond par le commissaire chargé de coordonner les investigations, qui considère à son tour « opportun » de solliciter les autorités judiciaires marocaines en ciblant Renaud Donnedieu de Vabres, mais aussi l’ensemble de ses proches. Pour mémoire, le contrat Sawari II, antérieur à celui du Pakistan, a été signé... à Casablanca (Maroc).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire