LE SOCIALISME EST DANS L'ANTI-CHAMBRE DE L'HISTOIRE
Par Daniel Paquet
Il ne faut pas vendre la peau… La classe ouvrière n’a jamais abdiqué
Déjà avant la contre-révolution qui a précipité l’Union soviétique dans la spirale capitaliste, l’auteur communiste français, Lucien Sève, s’interrogeait sur la portée de l’action des communistes :
« La fin épique des années quatre-vingt a-t-elle changé l’an 2000?
Le communisme est-il désormais rayé de l’avenir?
Avec le capitalisme, l’histoire aurait-elle dit son dernier mot?
Si le courant révolutionnaire n’était en difficulté qu’en France, la raison suffisante pourrait en être l’âpreté particulière de l’effort pour l’y déraciner, jointe aux graves effets des retards stratégiques que le PCF est conscient d’avoir pris naguère.
Mais à des degrés et sous des formes variables, il l’est un peu partout dans le monde, et en particulier dans toutes les grandes nations capitalistes développées sans exception.
Il l’est aux USA, au Canada, en Grande-Bretagne, en RFA (Allemagne, -ndlr) où les partis communistes, malgré leurs mérites, ont le plus grand mal à décoller. »
[1]
Ces interrogations ne sont pas nouvelles dans le mouvement révolutionnaire.
Il est de ces ressacs : « Peut-être faudra-t-il attendre assez longtemps avant que reprenne l’essor des masses, mais ceux qui ont eu à traverser les longues années de batailles révolutionnaires à l’époque de l’essor de la révolution et à l’époque où la révolution roulait aux abîmes, où les appels révolutionnaires ne trouvaient pas d’écho dans les masses, ceux-là savent que, malgré tout, la révolution s’est toujours relevée… »[2]
C’est une tendance historique, appelée à changer avec la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière qui posera de nouveaux jalons dans son cheminement idéologique.
« L’histoire n’est pas autre chose que la succession des différentes générations dont chacune exploite les matériaux, les capitaux, les forces productives qui lui sont transmis par toutes les générations précédentes; de ce fait, chaque génération continue donc, d’une part le mode d’activité qui lui est transmis, mais dans des circonstances radicalement transformées et d’autre part elle modifie les anciennes circonstances en se livrant à une activité radicalement différente… »[3]
Au sein de ces générations se distinguent des classes sociales, dont la classe ouvrière, qui s’affirment dans des mouvements revendicateurs pour de meilleures conditions de travail (une journée de labeur plus courte), et très souvent pour de meilleurs salaires.
Ce sont donc des demandes économiques à prime abord.
« C’est ainsi que partout un mouvement politique naît de tous ces mouvements économiques isolés des ouvriers, c’est-à-dire un mouvement de la classe pour faire triompher ses intérêts sous une forme générale, sous une forme qui a une force générale socialement efficace. »[4]
C’est en 1848 que Marx et Engels présentent à leurs amis communistes de différentes nationalités, en exil à Londres, le Manifeste du Parti communiste qu’on leur avait demandé de rédiger.
Pour le néophyte, c’est de l’histoire ancienne, alors que nous vivons toujours dans le cadre du capitalisme et de la révolution industrielle, née en Angleterre, s’étant enracinée au XIXème siècle.
« La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n’a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n’a fait que substituer de nouvelles formes de lutte à celles d’autrefois. Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l’époque de la bourgeoisie, est d’avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat. »[5]
Alors 120 années plus tard, toujours au cœur du capitalisme, des évènements se précipitent en Europe, notamment en France.
C’est Mai 68.
La jeunesse s’enflamme.
Est-ce la révolution communiste? L’auteur Michel Clouscard fera un retour sur l’épopée qui « transformera » les rapports de classes dans l’Hexagone :
« La situation n’est pas révolutionnaire, mais l’occasion d’un grand front antimonopoliste de la nation française.Mai 68, malgré ses avancées sociales importantes, doit nous inciter à un bilan sans complaisance; en effet Mai constitue une césure annonciatrice du déclin des deux grandes forces de la Résistance et le retour en grâce de l’atlantisme, de Giscard à Mitterrand.[On peut] relier Mai 68 à l’arrivée d’un néo-capitalisme, nouveau modèle de gestion qui ne repose plus sur l’épargne de la pénurie mais sur un consumérisme réservé à une partie de la population.
Que la conduite des firmes fasse courir par endroits des risques environnementaux, c’est bien possible; mais cela justifie d’autant plus une économie organisée rationnelle, démocratique et socialiste.
C’est le capitalisme qu’il faut restreindre, et non la production.
L’idéologie (dominante, -ndlr) est la pratique des mœurs selon ses quatre relais : la publicité, le décervelage, la mondanité, le néo-fascisme culturel.
L’ombre portée de telle ou telle alliance électorale aujourd’hui sur les événements de 68 fait oublier l’aspect conflictuel entre communistes et gauchistes. »[6]
Aujourd’hui en 2011, disons les choses franchement, la direction du Parti communiste français (PCF) fait dans le révisionnisme; et ne s’embarrasse pas de diplomatie alors que le secrétaire national, Pierre Laurent, se rendant en Grèce (en tant que président du Parti de la Gauche européenne), évite de rencontrer la direction du Parti communiste de Grèce (KKE), fer de lance du mouvement de protestation des travailleurs grecs opposé aux mesures du grand Capital.
La grande bourgeoisie piétine les droits acquis de la classe ouvrière, et fait des pieds et des mains –soutenu par la droite et par les opportunistes de « gauche »-, pour confisquer la richesse nationale en faveur de quelques heureux élus et privilégiés, style famille Onassis.
Au même moment, en France, les dirigeants communistes disent benoîtement :
« … la démocratisation que nous visons ne se borne pas à la seule sphère politique. Jusqu’à quand tolérerons-nous que quelques actionnaires guidés par la folle boussole du profit mènent l’économie de notre monde? Jusqu’à quelle catastrophe sociale, économique, écologique, humaine, anthropologique? La crise actuelle du capitalisme, en ce qu’elle révèle la totale et criminelle incurie des financiers pour gérer la production et les échanges, redonne toute sa force à cette question cruciale de la démocratie sociale et économique. »[7]
Il y a des débats dans la gauche française, y compris dans les cercles et mouvements se réclamant du communisme.
Ainsi, on peut lire :
« La sortie de l’Euro ne serait pas un progrès sans l’annulation de la dette vis-à-vis des banques copieusement engraissées par l’endettement des États depuis trente-cinq ans. Annulation de la dette : voilà qui est beaucoup plus clair et percutant que la fumeuse demande du Front de Gauche de ‘construire petit à petit le rapport de forces qui fera que, dans l’ensemble de l’Europe, des majorités se constitueront dans les opinions pour exiger une modification des traités,’--PCF. Cesser de rembourser les banques conduirait inévitablement à un affrontement dur avec le grand capital financier du continent – c’est bien ce qui effraie le Front de Gauche! »[8]
Craint-on des désertions au sein de la classe ouvrière française?
Dans d’autres circonstances, on a pourtant écrit :
« Il ne faut pas faire trop de concessions au souci de la popularité; il ne faut pas sous-estimer les facultés intellectuelles et le degré de culture de nos ouvriers. Ils ont compris des choses bien plus difficiles que celles que pourra leur présenter le programme le plus concis et le plus court… »[9]
En Amérique du Nord, il semblerait que les choses se font différemment qu’en Europe.
Avouons-le, le mouvement « Occupy Wall Street » a surtout été perçu comme le Mai 68 des États-Unis parmi les milieux ouvriers d’avant-garde.
Quant au mouvement syndical, l’ American Federation of Labor-Congress of Industrial Organizations (AFL-CIO), fort de 13 millions de membres, il était plutôt à la remorque des évènements.
Son principal cheval de bataille étant présentement la réélection du président Barack Obama et le soutien à ses politiques de création d’emploi pour la « classe moyenne », c’est ainsi qu’on désigne la classe ouvrière organisée et bien rémunérée en Amérique.
Que peut-on dire de plus des USA, si ce n’est que : « … dans les pays comme l’Amérique du Nord, qui débutent d’emblée dans une période historique déjà développée, le développement se fait avec rapidité. De tels pays n’ont pas d’autre condition naturelle préalable que les individus qui s’y établissent et qui y furent amenés par les modes d’échanges des vieux pays, qui ne correspondent pas à leur besoins. Ces pays commencent donc avec les individus les plus évolués du vieux monde, et par suite avec la forme de relations la plus développée correspondant à ces individus, avant même que ce système d’échanges ait pu s’imposer dans les vieux pays. »[10]
La Vie Réelle note, quant à elle, un regain d’intérêt des travailleurs européens, surtout français, pour l’étude des classiques du marxisme et pour la réflexion politique et théorique.
Le vieux fonds pragmatique en Amérique du Nord n’a pas encore permis ce développement des idées. D’ailleurs, les ouvriers nord-américains, longtemps comparés à des oiseaux dans une cage dorée, subissent toujours, en phase avec une discrimination économique, des limitations à l’instruction et à la culture.
« Or, la production capitaliste veille à ce qu’il ne revienne à la grande majorité des personnes jouissant de l’égalité de droits que le strict nécessaire, et elle ne respecte pas conséquent guère plus – quand elle le respecte- le penchant au bonheur de la majorité que le faisait la société esclavagiste ou féodale.
Et la situation est-elle meilleure en ce qui concerne les moyens intellectuels du bonheur, les moyens de culture? »[11]
Comme l’a écrit Lucien Sève, de façon prémonitoire :
« Ce siècle ne se termine pas sur le constat de faillite du communisme mais bien plutôt sur la promesse de sa reprise. »[12]
Malgré toutes les difficultés dans la lutte pour le socialisme et la paix, il faut lutter dans l’optimisme. Comme le disent les ouvriers allemands : « L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt! »
C’est sûrement le message qui se dégage des communistes canadiens désormais. D’ailleurs, le Parti communiste du Canada (PCC) a participé à la 13ème Rencontre des partis communistes et ouvriers en décembre à Athènes.
Voici, le compte-rendu partiel de la représentante du Parti communiste de Grande-Bretagne, Liz Payne, suite à cette rencontre :
« Les délégués européens ont convenu que l'Union européenne est une création du capital monopoliste pour le capital monopoliste. Ils ont décrit dans le détail les répercussions de la crise pour la classe ouvrière – pertes d'emploi massives, diminutions salariales, attaques contre les retraites, coupes nettes dans les services publics et destruction de l'industrie manufacturière. En Allemagne, deux-tiers de la population de moins de 35 ans est en emploi précaire ou sans-emploi. Au Danemark, le chômage explose et un million de chômeurs en Espagne ne bénéficient d'aucune aide publique. Au Luxembourg, 10% des ménages détiennent 80% des richesses du pays. Le Portugal est désormais le pays le plus inégalitaire d'Europe. Un travailleur sur dix est au chômage, près d'un tiers d'entre eux a moins de 30 ans. Un travailleur sur dix a un emploi précaire. Le week-end précédent, le syndicat dont les communistes sont à la tête, la CGTP, a organisé une grève générale. »
Pour paraphraser un article de D. Likhatchev (comprenez que « critique » peut vouloir dire « parti communiste ») :
« Le rôle de la critique sera réduit à zéro et perdra tout son crédit si elle a simplement la prétention de tout régenter en déclarant : ceci est bien, ceci est mauvais.
La critique doit former les représentations esthétiques des lecteurs, à partir desquelles ceux-ci pourront voir eux-mêmes les qualités et les défauts de l’œuvre. »[13]
Non, décidément, l’heure n’est pas à la « déprime ».
Que pouvons-nous dire par exemple à notre jeune camarade Camila qui a mené la lutte de la jeunesse estudiantine au Chili en 2011 pour une école démocratique, gratuite et de qualité ; rappelons-nous que dans le pays qui sort du fascisme, elle a bravé les mass média, la droite et tout ce qui a de plus immonde dans ce pays et dans les nôtres pour dire sereinement qu’elle était aussi dirigeante de la jeunesse communiste ?
Décemment, que répondrons-nous à nos camarades, les courageux ouvriers du pétrole du Kazakhstan, qui défient un gouvernement fascisant, pour défendre leurs droits charcutés depuis le passage du socialisme au capitalisme ?
Enfin, comment réagirons-nous quand les travailleurs grecs iront –et c’est plus qu’une probabilité- au-delà de la simple revendication pour la défense de leurs droits reconnus, vers la lutte pour un monde nouveau au pays de l’Acropole et des héros de l’Antiquité ?
Nous vivons une ère nouvelle. Il faut comprendre que les peuples ont de plus en plus le besoin et le goût de vivre autrement, pendant que la bourgeoisie est de moins en moins capable de nous imposer la vie stéréotypée qu’elle nous a toujours offert, en croyant « qu’on ne s’en aperçoit pas » comme le chante le poète national du Québec, Gilles Vigneault !
La Vie Réelle : www.laviereelle.blogspot.com -30-
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[1] SÈVE, Lucien, Communisme, Quel second souffle?, Éditions sociales, Paris, 1990, pp. 9-11
[2] LÉNINE, Œuvres, tome 27, Éditions sociales-Paris, Éditions du Progrès-Moscou, 1980, p. 41
[3] MARX et ENGELS, L’idéologie allemande, Éditions sociales, Paris, 1968, p. 72
[4] MARX et ENGELS, Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, Éditions sociales, Paris, 1966, pp. 118-119
[5] MARX et ENGELS, Manifeste du Parti communiste, Londres, 1848, www.marxisme.fr
[6] MONVILLE, Aymeric, Mai 68 dans l’œuvre de Michel Clouscard, La Pensée, Paris, 2010
[7] QUASHIE-VAUCLIN, Guillaume, Place au peuple! Résolument!, La Revue du Projet, Revue politique mensuelle du PCF, No. 11, Oct. Nov. 2011, p. 6
[8] FLAMENT, Vincent, Euro : en sortir sur des bases progressistes, Initiative Communiste, No. 114, Liévin, Novembre 2011, p. 16
[9] MARX et ENGELS, Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, pp. 92-93
[10] MARX et ENGELS, L’idéologie allemande, p. 127
[11] ENGELS, Friedrich, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, édition électronique réalisée par Vincent Gouysse à parti du Tome III des Œuvres choisies de Karl Marx et Friedrich Engels publié en 1970 aux Éditions du Progrès, Moscou, p. 16, www.marxisme.fr
[12] SÈVE, Lucien, Communisme, Quel second souffle? p. 263
[13] LIKHATCHEV, D., L’avenir de la littérature, Recherches internationales, no. 87,
Littérature, Les éditions de la Nouvelles Critique, Paris, 1976, pp. 80-
mercredi 25 avril 2012
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