17 octobre 1961. "On était à côté de la plaque sur le nombre des morts"
lundi 17 octobre 2011
17 octobre 1961,un crime trop longtemps nier , l'Humanité . fr Entretien avec Didier Daeninckx
Littérature
17 octobre 1961. "On était à côté de la plaque sur le nombre des morts"
Qu’est-ce qui vous a amené à écrire sur le 17 octobre 1961 dans votre roman Meurtres pour mémoire ?
Didier Daeninckx. J’avais au départ l’intention de travailler sur Charonne. Ma mère, en effet, était amie de Suzanne Martorell, qui était une des victimes du 8 février 1962. Et c’est en me documentant que j’ai pris conscience que, quatre mois plus tôt, la manifestation des Algériens de France, dont j’avais une connaissance plutôt vague, avait eu une importance énorme, et avait été suivie d’une répression particulièrement sanglante. Alors je suis allé aux archives et j’ai étudié de près cet événement dont on ne parlait pratiquement pas à l’époque. J’avais une deuxième raison d’écrire sur ces faits, c’est la personnalité de Papon, le responsable à la fois de Charonne et du 17 octobre, dont on ignorait évidemment le passé, et qui était un grand ministre de la République.
À quelles archives avez-vous eu accès ?
Didier Daeninckx. J’ai eu accès à des sources ouvertes, la presse de l’époque, principalement, des témoignages, et des lettres écrites à l’époque, à la demande du FLN, par des personnes ayant été victimes de la répression. Le fait que ma famille soit à moitié kabyle a évidemment facilité les choses. C’était en 1982, aucun livre n’avait encore été publié, et les archives de la préfecture de police de Paris n’étaient évidemment pas ouvertes aux chercheurs.
Pourquoi en faire un sujet de série noire plutôt qu’un livre d’histoire ou de témoignage ?
Didier Daeninckx. Parce que le roman policier français était en train de changer profondément. Jean-Patrick Manchette, avec l’Affaire N’Gustro, en 1971, avait évidemment pris comme sujet l’affaire Ben Barka. Et il y avait les œuvres de Fajardie. Tout cela démontrait la puissance de la littérature, et le rôle du roman noir dans la mise en cause de l’état de sujétion dans lequel nous sommes. C’est ainsi que j’ai écrit Meurtres pour mémoire.
Comment a-t-il été reçu ?
Didier Daeninckx. Il a d’abord été refusé par beaucoup d’éditeurs. J’ai eu la chance d’être lu par Robert Soulat, qui dirigeait la « Série noire », un ancien résistant, qui avait assisté à la répression en
Algérie, en mai 1945, des
manifestations de Sétif et Guelma, qui avait fait des milliers de morts. Mon livre a suscité chez lui de fortes résonances, et il l’a publié. Pendant quelques mois, malgré un vrai bouche-à-oreille et un travail dans les milieux enseignants, le silence critique a été total.
Comment a-t-il fini par se faire connaître ?
Didier Daeninckx. André Wurmser, qui publiait chaque semaine dans l’Humanité une pleine page de critique littéraire, était un amateur de romans policiers. Il a été emballé par le livre, il m’a téléphoné et nous nous sommes rencontrés. Il avait l’intention d’écrire un article sur Meurtres pour mémoire, malheureusement il est mort quelques semaines plus tard. Mais il avait laissé, à l’intention des jurés du prix Paul-Vaillant-Couturier, une enveloppe leur recommandant de me choisir. C’est ainsi que je l’ai reçu, grâce au vote
posthume d’André Wurmser, ce prix décerné par l’Humanité. Plus tard, le livre a obtenu le grand prix de littérature policière.
Où en êtes-vous aujourd’hui avec le 17 octobre ?
Didier Daeninckx. À présent, il y a beaucoup de travaux sur le massacre des Algériens, en particulier sur son ampleur. Je me suis dit qu’on était à côté de la plaque sur le nombre des morts. Ce qui compte, c’est de nommer les individus. J’avais donné des noms, en 1986, dont celui de Fatima Bédar, une collégienne de Stains, la plus jeune victime. Et j’ai reçu un appel de sa sœur, me disant qu’elle n’avait pas été tuée par la police. J’en ai parlé à Jean-Luc Einaudi, qui a fait des recherches. Elle avait bien disparu le 17. On a retrouvé son corps noyé, et le 30, il a été présenté à son père, analphabète, à qui on a fait signer un papier « reconnaissant » qu’elle s’était suicidée. Aujourd’hui, sa dépouille a été transférée en Algérie. Avec Mako, nous nous sommes appuyés sur cette histoire pour faire une bande dessinée, Octobre noir, qui vient de paraître.
Comment est-elle reçue ?
Didier Daeninckx. C’est tout récent. Tout ce que je peux dire, c’est qu’à la Fête de l’Huma, le premier jour de parution, il ne restait plus aucun exemplaire.
Meurtres pour mémoire, Gallimard, 1984.
Octobre noir, dessins de Mako, texte de Didier Daeninckx, préface de Benjamin Stora, Éditions Ad Libris. 13,50 euros.
--> Lundi 17 octobre, l’Humanité célèbre le cinquantième anniversaire du massacre des manifestants algériens à Paris avec un supplément de 8 pages consacré à ces heures noires de l’histoire de France
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