jeudi 8 décembre 2011
Un peu de philo mais de la pure non celle celle de BHL : analyser le système :Nous assistons donc à un double mouvement : une prolétarisation des États et de la démocratie.
Paul, permettez-moi tout d’abord de vous féliciter pour votre passage sur France culture et subséquemment de vous remercier d’avoir enfin expliqué à M. Couturier qu’il utilisait des « concepts zombies », pour employer l’expression du sociologue allemand Ulrich Beck (« La société du risque » 1986), concepts qui ne peuvent plus rendre compte de la réalité et qui relèvent donc davantage de l’idéologie et de la mystification que d’une description précise et détaillée de la réalité.
Je poursuis ma réflexion sur la théorie hayékienne en vous soumettant mes récentes recherches qui portent sur la forte influence exercée par le sociologue wébérien Alfred Schütz et sur le concept de « discipline » ayant pour synonyme celui de « coordination ».
Hayek appartient à l’école du « subjectivisme » en économie. Il faut entendre par subjectivisme, « la forme pure de la subjectivité », une subjectivité purement formelle dénuée de toute substance individuelle. Autrement dit, cette subjectivité correspond et coïncide avec le concept d’« aliénation » comme aboutissement d’un processus de déshumanisation ou prolétarisation de l’individu qui aboutit à la forme pure du sujet réduit désormais à l’état d’objet-marchandise ou aliéné.
Le subjectivisme hayékien ressemble fortement donc à la description que Marx opère lorsque qu’il parle d’aliénation (de réification ou de marchandisation).
Ainsi, le concept hayékien d’égoïsme qui est issu du self-love d’Adam Smith (l’amour de soi, par opposition à l’amour-propre chez Rousseau) est moins l’affirmation de notre individualité que l’expression de la forme pure du sujet.
L’égoïsme est défini comme la réponse apportée aux besoins d’autrui, l’égoïsme du boulanger renvoie à son souci de répondre à la demande du consommateur, l’offre de travail du salarié doit répondre à la demande de travail de l’entreprise.
Cet égoïsme se définit comme « la forme pure du sujet », flexible malléable, manipulable et discipliné. Le sujet égoïste désigne donc l’individu aliéné ou discipliné que Marx définit comme réifié, réduit à l’état d’objet ou de marchandise.
La discipline pour un individu se définit comme « la forme pure du sujet », malléable, flexible. C’est la raison pour laquelle la « flexibilisation » du marché du travail ne vise en réalité qu’à une aliénation du travailleur, c’est-à-dire à sa réduction pure et simple à l’état de marchandise .
De la même manière, la question de la discipline ou de ce qu’il convient d’appeler « la coordination des politiques économiques » s’assimile à l’aliénation des États.
La discipline ou la coordination exige que les États soient aliénés, c’est-à-dire se transforment en États sans substance démocratique et sans substance économique.
La discipline implique donc au préalable un processus de prolétarisation des États c’est-à-dire des États à qui l’on retire toute substance démocratique (par la dépolitisation des choix économiques) et toute quintessence économique (en menant des politiques de rigueur budgétaire : le pacte de stabilité européen).
Nous assistons donc à un double mouvement : une prolétarisation des États et de la démocratie.
La démocratie prolétarisée dont le stade ultime est la démocratie aliénée, est ce que l’on appelle aussi ladémocratie formelle, la démocratie procédurale ou la démocratie de marché : une démocratie sans substance, une démocratie sans peuple et une démocratie sans démos. (Nous pourrions évoquer ou définir dans les mêmes termes ce que revêtent véritablement les concepts d’« égalité formelle » ou de « liberté formelle » : nous somme forcés ou disciplinés de vivre comme si nous étions libres et égaux).
Cette discipline constitue, comme je l’ai signalé, la phase ultime d’un long processus de prolétarisation, de dé-substantialisation, qui n’est que le résultat de la mise en œuvre de l’utopie néolibérale.
L’utopie néolibérale ou la conception néolibérale de l’utopie à été théorisée par Alfred Schütz dans son article « Sur les réalités multiples » (1945). Article majeur puisqu’il influença Friedrich Hayek et Karl Popper (« Conjectures et réfutations »1953 ; « La connaissance objective » 1972).
La conception néolibérale de l’utopie est très loin de la définition traditionnelle de l’utopie où l’on convoque les figures de Platon ou de Thomas More. La définition de l’utopie néolibérale correspond davantage à ce que Ricœur appelait : « processus d’exploration, de subversion, aboutissant à une rupture avec la réalité ».
En d’autres termes, ou en termes poppériens et hayékiens (l’utopie néolibérale est théorisée par Hayek dans « Economics and Knowledge » 1937), l’utopie néolibérale est « ce processus ou cette logique de la découverte » qui consiste à saper le système existant jusqu’à en provoquer l’effondrement de manière à proposer un modèle alternatif.
C’est ce que Jean-Claude Michéa appelle « l’empire du moindre mal » ou ce que Naomi Klein appelle « la stratégie du choc » (la notion de choc étant définie par Schutz comme une rupture avec la vision du monde existante, nous pouvons donc envisager de relire le concept de choc monétaire à l’aune de Schutz), à savoir saper le système existant, provoquer son effondrement et proposer une solution alternative en la présentant comme « le moindre des maux » (voilà pourquoi Popper définit toute « théorie », ce qu’il appelle « solution », comme négative).
Au fond, l’utopie néolibérale, dans sa quintessence, réside toute entière dans cette formule de Thatcher : « There is no alternative » (il n’y a pas d’alternative »).
La rupture avec le néolibéralisme exige aussi une rupture avec son épistémologie poppérienne des sciences sociales : nous sommes en effet là dans la pure idéologie, l’œuvre de Popper se présente comme une épistémologie des sciences sociales, alors qu’il ne s’agit en réalité avec elle que de l’élaboration de « la théorie néolibérale de l’utopie ».
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