mercredi 11 mai 2016
Serge Grossvak cet homme honnête, humaniste et non violent , nous raconte la brutalité policière dans la manif
Le témoignage d’un manifestant contre la loi travail. Une pétition demande aux députés socialistes de soutenir la motion de censure pour que la loi soit rejetée.
J’ai pensé à Renaud, Renaud le mec d’aujourd’hui tout attendri pour un flic qui pleure. Moi aussi j’ai vu un flic pleurer. Je vous raconterai. Et puis moi aussi j’ai pleuré mais je ne laisserai pas le mystère : j’ai pris du gaz plein la gueule, les yeux, la gorge. Trois fois !
J’ai tout vu, pont d’Austerlitz, j’étais devant sur le trottoir face aux “black blocks”. J’étais là parce que j’ai retrouvé trois mecs supers ! Je les avais connus sales mômes à l’adolescence. Des mômes de banlieue, de Villetaneuse, chiants et attachants. Maintenant ce sont de super trentenaires et ils participent à la révolte de la jeunesse. Vraiment des mecs bien, des mecs conscients… Et donc, ils m’entrainent devant.
Les “black blocks” sont une cinquantaine et paraissent très jeunes pour la majorité. Ils ont des slogans pas sympas pour la “flicaille”, ça c’est sûr, mais jusqu’au pont d’Austerlitz rien de plus grave. Autour, à quelques pas, autant de policiers (CRS, gendarmes ? Oublié de vérifier) bien casqués. Et puis ceux en civil (une bonne dizaine). Pourquoi en civil alors qu’ils ont tous le même sac à dos, un casque léger dès que ça chauffe ? Et puis quelques autres flics en civil, plus discrets avec des autocollants syndicaux, mais une proximité et une attitude qui fait qu’ils sont vite repérés.
Jusqu’au pont d’Austerlitz, pas de casse, nada… Pourtant la tension est forte, la police est à deux pas des “black blocks”. Et au pont tout dégénère. La police entre dans la manif, lâche les gaz, un nuage. La baston peut commencer.
Saloperie de gaz ! Qu’est-ce que ça pique cette saloperie ! D’abord les yeux, puis la gorge lorsque j’ai parlé pour expliquer à une personne qu’elle devait rebrousser chemin, ça devenait irrespirable. Plein de monde sort les masques (papier, tissus, quelques uns plus sophistiqués). Les lunettes de piscine, de ski sont géniales, j’ai regretté de ne pas en avoir. Je croise une inconnue qui me pulvérise un liquide dans les yeux (j’ai oublié de lui dire merci, elle en méritait 1000 !)
Quel ordre ont reçu les flics ? C’est infâme. Ça ne peut qu’être volontaire. Sûr, ça plombe l’ambiance de la manif ! C’était le premier but. La manipulation des infos également. BFM s’est régalé. Mais ce n’est pas fini. Ce n’était que le premier gazage.
Enfin on passe le pont. On a fait peut être cent mètres et blocage à nouveau. Blocage devant. Blocage sur les côtés avec interdiction de passer (pour quelle raison de sécurité ?) Et blocage derrière à nouveau sur le pont. Derrière ça pète fort. Grenade assourdissantes, nuage de gaz. Et nous dans la souricière. C’était prévu, j’avais vu les flics mettre le masque à gaz. J’avais cherché un abri. À ce moment j’étais avec un vieil ami, ancien prof de fac, 70 ans. Il n’y a pas d’âge pour prendre sa dose de gaz. J’ai eu peur pour lui.
Et la colère prend ce vieil ami. Il va invectiver ces flics en armure, ces hommes aux ordres de la honte. Il y a de la colère, plein de colère. Et arrivent d’autres hommes, eux aussi les cheveux gris, eux aussi d’âge avancé. Et là, comme ça, se crient notre écœurement, notre indignation. Je me souviens avoir dit que c’était une honte pour la République, que le flic français qui avait arrêté mon père pour les nazis était leur digne père.
Et purée, surprise, ils étaient mal ces flics, que ce qu’ils faisaient était une honte pour leur uniforme. Oui, mal. Il restait un peu de conscience humaine sous ces têtes casquées. Le plus jeune ne pouvait plus nous regarder. Il montrait une réelle émotion. J’ai vu des tarés après, bien heureux de montrer leur virile force, leur mépris… Mais ce n’est pas tout…
Et la manif reprend. Il fallait en vouloir, être décidé. On repart. On arrive place de la Nation. Je ne me souviens plus pourquoi mais je ne suis plus tout à fait dans la tête de la manif. Quelques traces ici aussi des échauffourées mais les musiques retentissent, les tam-tams et les danses de fin de manif qui annoncent que la place va rester à la manif encore un bout de temps. Il fait soleil et beaucoup de monde est assis autour de la place. C’est agréable. La rue vers l’hôpital des Diaconesses est bloquée par la Police mais nous n’y faisons pas attention.
Je m’assois également et je rédige quelques commentaires destinés à ma page Facebook. Les manifestants de Sud Rail arrivent. Je regarde si mon voisin s’y trouve. Et là, tout d’un coup, une pluie de grenades. Ça fume de partout autour de moi, autour de nous. Pourquoi cet énorme déclenchement ? Il y avait encore des manifestants qui passaient entre la police et la place. Ça ne laissait pas beaucoup de possibilités de provoquer les flics ! Du gaz partout. Il faut se tirer, marcher, et les yeux brûlent et ne demandent qu’à se fermer.
Vers la statue centrale c’est un peu moins exposé. Un type doit calmer ses chiens et leur met un vêtement sur la tête. Il y a des gamins parmi nous… Des gamins ! Leurs parents se croyaient dans un pays libre… Je vois des jeunes, lunettes et écharpes sur la bouche, donner des coups de pied dans les grenades de gaz (petites, plates et lâchant leurs gaz au milieu de nous).
Ces attaques à la grenade sont coordonnées. Je découvre du centre que toutes les rues sont barrées par la police casquée. Et voila qu’à tour de rôle ça part de toutes les issues (sauf la rue de l’arrivée de la manif par où je finirai par repartir). Et j’ai vu des CRS sourire, méprisants devant nos galères à sortir de cet enfermement.
J’ai vu un jeune homme (la trentaine) protester de ne pouvoir passer pour partir et se faire alpaguer comme pas possible : projeté contre un mur, insulté. Courageux homme qui ne lâche pas, que j’entends crier « vas y frappe, j’ai pas peur. Frappe »… Malaise. Ce n’est pas prévu dans les manuels de CRS qu’un type est prêt à se faire frapper pour garder sa dignité… Je reste à regarder, s’il faut témoigner. Je cris juste « c’est une honte »… Au bout d’un temps qui me parait très long, le type peut partir libre.
Je veux prendre le métro. Les grilles sont tirées ! Impossible ! Les premiers crient « collabos ». Dedans aussi des manifestants protestent. Dégueulasse !
Hé, Renaud ! Arrête de chialer avec un flic. En tout cas pas quand il est en uniforme, pas quand il est aux ordres. Seulement lorsqu’il redevient homme.
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