mercredi 19 décembre 2012
Comment la terre d'Israël fut inventée: De la Terre sainte à la mère patrie Shlomo Sand Éditeur : Flammarion« Dans ce nouveau livre, dit Jérôme Segal, il est bien question de la terre (on regrette d’ailleurs qu’il n’y ait aucune carte) et Shlomo Sand entend s’intéresser, d’une part, à ce qu’il faut bien appeler la colonisation de la Palestine par les Juifs (à la fin du XVIIIe siècle on comptait 5000 Juifs en Palestine sur une population totale de 250 000 habitants musulmans et chrétiens ) et, d’autre part, dans une approche plus pragmatique, aux conditions selon lesquelles un vivre ensemble serait possible dans la région. Autant dire que cet objectif demeure, fin 2012, d’une triste actualité. »
Merci à Michel Peyret
LES TEXTES RELIGIEUX NE SONT PAS L'HISTOIRE
« Dans ce nouveau livre, dit Jérôme Segal, il est bien question de la terre (on regrette d’ailleurs qu’il n’y ait aucune carte) et Shlomo Sand entend s’intéresser, d’une part, à ce qu’il faut bien appeler la colonisation de la Palestine par les Juifs (à la fin du XVIIIe siècle on comptait 5000 Juifs en Palestine sur une population totale de 250 000 habitants musulmans et chrétiens ) et, d’autre part, dans une approche plus pragmatique, aux conditions selon lesquelles un vivre ensemble serait possible dans la région. Autant dire que cet objectif demeure, fin 2012, d’une triste actualité. »
Une invention plus que centenaire qui éclaire le présent
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Comment la terre d'Israël fut inventée: De la Terre sainte à la mère patrie
Shlomo Sand
Éditeur : Flammarion
Résumé : A travers une démonstration brillante, Sand dénonce la création d’un "Mytherritoire" et appelle à une relecture de l’histoire d’Israël, "de la Terre sainte à la mère patrie".
Ce livre aurait pu s’intituler, très sobrement, Israël et la Palestine, mais l’ouvrage aurait alors pu être classé dans les guides de voyage, ce qui aurait été une erreur funeste. A travers une analyse rigoureuse des textes religieux, mais aussi et surtout de l’histoire sociale et politique, ce sont bien les liens entre Israël et la Palestine qui sont au cœur du dernier livre de Shlomo Sand.
Plus modestement et non sans une pointe de cette provocation qui fait la marque de fabrique de l’auteur, l’historien israélien a préféré calquer le titre de son ouvrage, Comment la Terre d’Israël fut inventée, sur celui qui l’avait très largement fait connaître en 2008, Comment le peuple juif fut inventé ?.
Dans ce nouveau livre, il est bien question de la terre (on regrette d’ailleurs qu’il n’y ait aucune carte) et Sand entend s’intéresser, d’une part, à ce qu’il faut bien appeler la colonisation de la Palestine par les Juifs (à la fin du XVIIIe siècle on comptait 5000 Juifs en Palestine sur une population totale de 250 000 habitants musulmans et chrétiens ) et, d’autre part, dans une approche plus pragmatique, aux conditions selon lesquelles un vivre ensemble serait possible dans la région. Autant dire que cet objectif demeure, fin 2012, d’une triste actualité.
Encore une invention ?!
Shlomo Sand ne met pas de majuscule au substantif ‘juif’ car il ne s’agit pas, pour lui, d’un peuple comme le "peuple français" ou le "peuple américain" . Selon l’auteur, "peuple juif" a autant de sens que "peuple bouddhiste", et c’est sur ces bases, pour le moins discutables, qu’il retrace aujourd’hui l’évolution de la "Terre sainte à la mère patrie" (sous-titre du livre), tout en nous offrant une analyse lucide et sans concession de la situation actuelle.
Pourtant, on pourrait rétorquer, après avoir refermé son précédent opus, que si le peuple juif a effectivement été inventé, ou plutôt socialement construit, c’est bien qu’il existe (contrairement au peuple bouddhiste).
Même si Sand avait été un peu rapide dans sa critique des théories relevant de la génétique des populations, on doit lui reconnaître le mérite d’avoir à la fois explicité les dangers d’une approche biologique de la notion de peuple, forcément excluante, et d’avoir dénoncé sans ambiguïté l’instrumentalisation politique qui a été faite de la notion de "peuple juif". Aussi, toujours selon l’auteur, avant d’être un "État juif", Israël devrait d’abord être un État démocratique pour tous ses citoyens.
Partant de ce point de vue, l’historien de l’université de Tel Aviv passe de la notion de peuple à celle de patrie, qui fait l’objet du premier chapitre . Dans un exposé historique assez exhaustif, il signale "[qu’]il faut être conscient que ce n’est pas la patrie qui a engendré la nation, mais bien plutôt la nation qui a créé la patrie (…)." .
L’attachement à la terre est vu comme un corollaire du développement des nationalismes et Sand précise encore que "le territoire est la propriété commune de tous les ‘actionnaires’ de la nation (…) [et que] ce sentiment de propriété procure une satisfaction émotionnelle et une impression de sécurité qu’aucune utopie politique ou promesse d’avenir n’a pu concurrencer."
Dans le cas de la "terre d’Israël", il y a, comme il l’explique dans les chapitres suivants, une conjonction de phénomènes expliquant aujourd’hui la relation des Israéliens à leur terre, sans pour autant justifier la conception actuellement dominante, bien au contraire.
De la différence entre mythe et histoire(s)
Déjà, dans son livre sur le peuple juif, l’historien avait pointé le danger qu’il y avait à considérer les textes religieux, au premier rang desquels la Thora, comme des livres d’histoire. Un point essentiel est par exemple la conséquence de la destruction du Second temple, en l’an 70 de notre ère (fait largement commenté dans le Talmud).
A plusieurs reprises, Shlomo Sand insiste sur le fait qu’il n’y a pas eu « d’exil du peuple juif » après la destruction de ce temple par les Romains : "les juifs n’ont pas connu d’exil forcé de Judée au Ier siècle et (…) ils ne sont pas ‘revenus’ au XXe siècle en Palestine, et ensuite en Israël, de leur plein gré." .
Toutes ces démystifications, au sens propre du terme, font l’objet du deuxième chapitre, "Mytherritoire". Sand remonte jusqu’au 6ème siècle avant notre ère et rappelle que dans la Tossefta, compilation de la loi orale juive rédigée vers l’an 200, on lit "Pourquoi Israël fut exilé à Babylone, plutôt que dans tout autre pays, car de là était, à l’origine, la maison d’Abraham, leur père (…). On peut faire la comparaison avec une épouse qui s’est mal conduite avec son époux, et qui, de ce fait, est renvoyée à la maison de son père."
L’historien conclut, non sans une pincée d’ironie : "L’analogie du ‘peuple d’Israël’ avec une épouse répudiée réintégrant le foyer de ses parents ne vient pas particulièrement à l’appui d’une image de l’exil comme une épreuve douloureuse sur une terre étrangère et inconnue !" . La Terre d’Israël biblique se limitait d’ailleurs dans un premier temps à la Samarie, "autrement dit [précise Sand] la terre du royaume d’Israël septentrional". Jérusalem, Hébron et Bethléem n’en faisait pas partie .
C’est suite à des conversions massives que la Terre d’Israël s’est étendue, sous l’action des dirigeants hellénistiques de Judée.
Sand signale ainsi que "les Édomites dans le Néguev et les Ituréens en Galilée furent contraints par le rouleau compresseur hasmonéen [dynastie qui a régné sur la Judée de 140 à 36 av. J.-C.] de renoncer à leur prépuce et de devenir des juifs à part entière." . On assiste alors à une diffusion de la foi juive dans toutes les capitales du monde hellénistique.
Dans ce chapitre sur les conceptions scripturaires et historiques de "l’espace juif" aux différentes périodes de l’Antiquité, l’auteur s’intéresse également aux révoltes juives qui se sont déroulées entre 66 et 117. Il écrit à ce sujet : "Le soulèvement des communautés juives, que l’historiographie sioniste qualifie de ‘révolte de la diaspora’, afin évidemment de mettre en exergue la dimension ‘nationale’ imaginaire, n’exprima aucune aspiration d’un retour vers la terre des ancêtres, et pas davantage la moindre loyauté ou relation à une lointaine patrie d’origine." .
Enfin, pour asseoir sa démonstration, Shlomo Sand se réfère au Talmud de Babylone, rédigé au VIIe siècle de notre ère, et plus précisément aux trois serments qui y figurent. "L’un dicte aux Juifs qu’ils ne doivent pas converger vers [Sion] en un mur [par la force]" . Il ne saurait de toute façon pas y avoir d’émigration avant la venue du Messie et Sand touche là à un point capital : l’opposition fondamentale entre le sionisme et le judaïsme rabbinique (largement développée au chapitre 4).
Il est intéressant de constater qu’à l’issue de son analyse, Sand tend à relativiser l’importance des textes religieux. Il s’agit presque, pour lui, de prévenir toute contestation possible, en affirmant, que, quand bien même un de ces textes ferait état d’une présence juive affirmée, "vouloir reconfigurer le monde tel qu’il était il y a des millénaires ou des siècles reviendrait à détraquer tout le dispositif des relations internationales." .
Si des Indiens Lenapes venaient à retrouver une trace de leur attachement à la presqu’île de Manhattan, Sand note non sans faire preuve de bon sens, que cela ne justifierait pas le départ des actuels habitants.
A travers cette problématique liée au rôle des mythes dans l’appropriation affective ou réelle des territoires, ce sont aussi les processus de constructions mémorielles qu’il entend aborder, ce qui fait l’objet, comme nous le verrons ci-dessous, de la conclusion du livre et surtout de son épilogue.
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