mercredi 17 avril 2013
Severiano de Hérédia ,cousin des deux poètes José-Maria de Heredia, a été dénigré de son vivant et effacé des mémoires dès son trépas .« Sévériano de Hérédia : ce mulâtre cubain que Paris fit maire et la République ministre »
Paul Estrade, professeur émérite de l’université de Paris VIII, a présenté vendredi dernier à l’Assemblée Nationale son livre, « Sévériano de Hérédia : ce mulâtre cubain que Paris fit maire et la République ministre », préfacé par la 1re députée noire de la capitale, Georges Pau-Langevin.
L’auteur a épluché les archives de la police de Paris, de la Bibliothèque nationale, du Grand orient de France, ainsi que les archives cubaines afin de rétablir l’histoire. « En France, seul l’archiviste du Grand orient de France avait remarqué son nom clinquant et son rang éminent au sein de la hiérarchie maçonnique. Mais il ne savait pas qu’il était noir. »
Severiano de Hérédia a été élu conseiller municipal du quartier des Ternes en 1873, puis président du conseil de Paris en 1879 et député de la Seine en 1881. Il devient en 1887 le premier ministre noir des Travaux publics. Un ministère de plein pouvoir dans le gouvernement Rouvier. « Severiano de Hérédia était un grand réformiste social et laïc », résume l’auteur.
Et pourtant, il reste méconnu pour ne pas dire inconnu. Son nom ne figure pas sur la liste des personnalités enterrées au cimetière parisien des Batignolles où il repose, ni dans les dictionnaires et encyclopédies populaires actuelles. Aucune trace de son nom dans le Paris d’aujourd’hui ou ailleurs en France. Il n’a d’ailleurs jamais été décoré de la légion d’Honneur alors même qu’il est le créateur des bibliothèques municipales à Paris et, à la suite de Victor Hugo et Jules Ferry, président de l’association Philotechnique.
Ce grand républicain classé au cimetière des oubliettes fait partie de ces Noirs qui ont fait la France. Né à la Havane, le 8 novembre 1836, de deux mulâtres libres, il a été élevé par son parrain, un riche planteur qui disait de lui : « Je l’aime comme un fils pour l’avoir élevé. » Il débarque à Paris en 1845, où il mourra le 9 février 1901 d’une commotion cérébrale. C’est lui qui géra avec succès les très grands froids de l’hiver 1879-1880 sur la capitale. « C’est un exemple à méditer », s’est émue George Pau-Langevin qui a offert un exemplaire de l’ouvrage à Bertrand Delanoë, son lointain successeur. Ce dernier ignorait jusqu’alors qu’un Noir avait occupé son fauteuil avant lui. L’ambassadeur de la République de Cuba à Paris, Orlando Requeijo Gual, a été surpris que personne, particulièrement aux archives, ne connaissent l’existence de Séveriano de Heredia. « Ce n’est pas possible », lui a-t-on répondu. « C’est pourtant le tournant de l’histoire, s’exclame le diplomate. C’est d’une actualité incroyable ! Il est peut être le premier ministre non blanc en Europe ! Ce livre est un monument surtout pour penser, pour réfléchir. »
Aujourd’hui, la question des raisons de cet oubli se pose. Pourquoi ce qui a été possible durant ces années-là ne l’est plus aujourd’hui ? « Croit-on, s’amuse l’auteur, que toutes les civilisations ne se valent pas ? Il est l’homme oublié à cause de la couleur de sa peau. Et alors qu’il a été porté par la 3e République, il est parti sans les honneurs réservés à ses meilleurs citoyens. C’est une profanation de l’identité nationale. » Navrant destin pour Heredia qui devrait faire partie du récit national.
Paul Strade, George Paul-Langevin et Orlando Requeijo Gual
Présentation du livre
3 questions à Paul Strade : « L’ambassadeur d’Haïti était son ami »
Quel est l’objet de votre livre ?
En quoi cet homme est-il emblématique ?
Dès que j’ai mis le nez dans la documentation le concernant, je me suis aperçu de la modernité de sa pensée et surtout de son insertion possible dans les débats actuels. Mais je pense que les mentalités françaises n’ont pas évolué aussi vite que le monde et, par conséquent, il reste encore des relents enfouis, et parfois malheureusement exprimés, d’une pensée colonialiste qui pense qu’il y a des catégories ou des individus supérieurs.
Comment se fait-il qu’il ne figure pas sur la liste des personnalités du cimetière des Batignolles ?
C’est extrêmement surprenant et il faut continuer les recherches. Une chose est certaine, il a eu des obsèques magnifiques avec cinq orateurs donc un futur président de la République, le président du Sénat et chose tout à fait extraordinaire, le corps diplomatique étranger était représenté par Haïti. C’est la seule fois où Haïti a représenté le corps diplomatique mondial. L’ambassadeur d’Haïti était un ami de Severiano, c’est-à-dire qu’on avait perçu au moment de sa mort sa dimension africaine. La presse a rendu compte de ces obsèques très solennelles comme un fait divers. Son étoile avait pali, il n’était plus rien. Il avait été quelque chose, et là, il y avait eu la conquête de l’Afrique... Tout Français doit se pencher sur son histoire en examinant les recoins qui peuvent être honteux ou simplement incompris.
Alfred Jocksan
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