Le 28 septembre, le Parlement européen a approuvé, pour l’essentiel, le « paquet » de gouvernance économique. Il s’agit de 5 règlements (textes de loi directement applicables dans les États membres sans passer par une ratification parlementaire nationale) et d’une directive (texte de loi à transposer dans la loi nationale, ce qui conduit à une adoption parlementaire nationale et donc à un débat). L’essentiel de ces nouvelles normes devrait être appliqué rapidement pour orienter, dès le 1er janvier 2012, la surveillance européenne des finances publiques prévue par la procédure de « semestre européen ».
Ce programme de politique économique va obliger de nombreux États au sein des 27 pays de l’Union européenne à renforcer drastiquement leur politique d’austérité et surtout à l’imposer durant des décennies à leur population.
En bref, ce programme de politique économique va obliger de nombreux États au sein des 27 pays de l’Union européenne à renforcer drastiquement leur politique d’austérité et surtout à l’imposer durant des décennies à leur population (ceci vaut pour les 20 pays de l’UE en situation de déficit budgétaire – plus de 3% du PIB de déficit) et de façon encore plus marquée pour les 13 pays dont la dette souveraine dépasse 60% du PIB.
Ainsi, la Belgique, qui a échappé à la vague d’austérité de 2010- 2011 car son gouvernement était en affaires courantes, est mise sous forte pression par les autorités de l’UE afin que la crise belge s’achève au plus tôt : la Belgique est engagée à prendre des mesures pour réaliser environ 22 milliards d’euros d’économie en 3 ans. Mais il ne faut pas croire que ce programme de coupes claires dans les dépenses publiques belges s’arrêtera en 2015. Ce nouveau « paquet » législatif européen pousse les États à planifier leurs dépenses publiques de façon à descendre rapidement à un niveau maximum d’endettement de 60% du PIB, sous peine d’amendes conséquentes en cas de « mollesse ». Comme l’exemple grec nous le prouve, il s’agit de facto d’une course à l’enrichissement des créanciers des États, principalement des banques privées : les États désignés comme coupables d’endettement tombent sous la vindicte des agences de notation et doivent emprunter au prix fort.
Pour atteindre ce niveau de 60%, à paramètres monétaires et politiques constants, il faudrait que la Belgique trouve les moyens de rembourser à ses créanciers 7 milliards d’euros chaque année durant… 21 ans !
Comme l’Union européenne oblige à diminuer les cotisations sociales qui servent à alimenter la sécurité sociale et à réduire la pression fiscale directe, il ne reste aux pays qu’à augmenter la TVA et développer d’autres taxes indirectes (impôts injustes car non proportionnels aux revenus). Et privatiser… ou réduire le financement de tous les services publics… ou réduire le salaire des fonctionnaires… ou supprimer le statut des travailleurs de la fonction publique… ou réduire les droits de la pension, de la santé et du chômage…
Le prix du sauvetage des banques
Rappelons que cette nouvelle injonction à l’austérité découle du sauvetage des banques en 2008 : plusieurs États de l’UE avaient alors racheté les dettes des banques, augmentant leurs propres dettes souveraines des pertes réalisées par des banques peu scrupuleuses, et ce pour un montant qui en un an (2008- 2009) a correspondu à 16,5% du PIB européen. Soit 7 fois plus que toute la richesse produite en un an en Belgique, 24 fois le montant actuel des dépenses belges de sécurité sociale. D’après les derniers chiffres communiqués par Barroso, la somme publique totale depuis 2008 de soutien bancaire s’élève à 4 600 milliards d’euros (environ 13 fois la richesse annuelle belge). Ainsi la promesse de celui-ci d’instaurer une taxe sur les transactions financières, au mieux en 2014, qui pourrait rapporter 55 milliards d’euros par an, outre l’effet d’annonce, ressemble surtout à un miroitement aveuglant. Destiné à occulter le fait que l’austérité salariale et budgétaire touche déjà profondément de très nombreux citoyens, que cette austérité semble devenir pérenne et qu’elle conduit à un projet d’État minimal sans services publics et qu’elle renverse les principes démocratiques de fond en comble. En effet, les gros « placeurs » privés acquièrent plus de pouvoir qu’un État, désormais assimilé à un individu imprévoyant qui doit être puni.
Or un État qui abandonne sa souveraineté pour se remettre pieds et poings liés au verdict des marchés est un État qui programme sa fragilité et in fine sa faillite : diminution de ses outils publics pour relancer l’économie, ce qui aboutit à la récession, à l’augmentation du chômage, à une mauvaise note par les agences de notation, à des conditions d’emprunt de plus en plus défavorables… et à l’adoption de nouveaux plans de récession.
Enterrer la démocratie et installer le gouvernement des banques et des multinationales.
Et c’est ce que veulent exactement les puissances bancaires et financières qui pilotent aujourd’hui le navire de l’Union européenne. Enterrer la démocratie et installer le gouvernement des banques et des multinationales. Mario Draghi est le nouveau pilote de ce désastre, désigné en juin à la présidence de la BCE : comme haut fonctionnaire, il a dirigé pendant 10 ans les programmes de privatisation en Italie, il fut ensuite vice-président du secteur Europe de la banque Goldman Sachs au moment où celle-ci truquait les indicateurs budgétaires de la Grèce, puis il devint gouverneur de la Banque centrale italienne. De qui se moque-t-on ?
Curieuse « loyauté »
Le « paquet gouvernance économique » impose aux États qui devraient emprunter auprès du nouveau mécanisme européen de stabilité une totale « loyauté » (c’est le terme utilisé) aux créanciers internationaux, dont, en priorité, avant même la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international. Pour respecter les contraintes imposées par l’UE, avec l’aide du FMI ou sous la menace de son intervention, des États ont déjà imposé des mesures d’exception à leur population comme si nous étions en temps de guerre : suspension des conventions collectives négociées en Grèce et imposition de conventions unilatérales patronales, réquisition militaire des contrôleurs aériens espagnols en grève en décembre 2010 par la voie d’un vieil article franquiste de la Constitution qui prévoit, en cas de non-soumission, des peines de prison pouvant aller jusqu’à 6 ans…
La Cour de justice européenne a considéré en 2008 qu’un État ne pouvait plus définir seul le contenu de son ordre public, qu’il devait s’aligner sur les définitions européennes. Et le traité de Lisbonne est clair (article 4) : la sécurité nationale reste la seule compétence souveraine de l’État ! Pour tout le reste, il doit s’aligner sur l’UE, et sa vision de l’État minimal au service du marché.
Le « paquet gouvernance économique » oblige également la mise sous tutelle de tous les budgets (et de leurs règles de procédures) de l’administration publique d’un État : communes, provinces, régions, communautés, État fédéral… Les budgets devront à l’avenir être programmés de façon pluriannuelle, bouleversant le contrôle démocratique des élus politiques. Qui ose encore parler de suffrage universel ? À quand la suppression du contrôle des élus communaux sur les budgets locaux, pour ne pas s’encombrer de lenteurs inutiles ?
L’UE pousse les États à appliquer au plus tôt ce « paquet gouvernance » alors qu’il nécessite une modification du traité de Lisbonne qui doit être d’abord ratifiée par les parlements nationaux. Personne n’en parle. Et l’UE demande d’inscrire si possible dans les constitutions nationales le principe de la mise sous tutelle européenne des budgets…
Que se passe-t-il donc ? La mort de l’État démocratique, la transformation des États en provinces subordonnées à une sorte de grand empire européen technocratique au service des multinationales.
De quoi comprendre que les indignés ne décolèrent pas…
En acceptant cette obligation d’obéir à une technocratie transnationale qui bafoue les droits les plus élémentaires des peuples, nos gouvernants ne sont-ils pas en train de s’engager vers une situation de haute trahison envers leur population |1| ? Corinne GOBIN
directrice du Groupe de recherche sur les acteurs internationaux (GRAID) - Institut de sociologie de l’ULB.
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